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Assurances et litige civil

Droit des assurances – Sept. 2020

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Table des matières

Polices responsabilité civile au Québec : la loi applicable et l’érosion des limites par les frais de défense

Le 6 avril 2020, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision dans l’affaire SNC Lavalin inc. c. Lise Deguise. Les principales questions juridiques traitées par la Cour sont résumées ci-dessous. Les conclusions de la Cour clarifient les règles relatives aux conflits de lois et à l’érosion de garanties d’assurance.

Le contexte

Les procédures judiciaires ont été engagées par les propriétaires de centaines d’immeubles construits entre 2003 et 2008 dans la région de Trois-Rivières. Des dommages ont été découverts sur les immeubles peu de temps après qu’ils aient été construits.

La dégradation des fondations des immeubles a été causée par la présence de pyrrhotite dans le béton qui a été utilisé pour les construire. La pyrrhotite est un sulfure de fer qui peut causer des réactions chimiques indésirables lorsque présent en une certaine quantité dans le béton.

Il y a trois vagues de litiges liés à l’affaire de la pyrrhotite impliquant des vendeurs particuliers, des entrepreneurs généraux, des bétonnières, la société exploitant la carrière d’où provenait le granulat délétère, le géologue et les assureurs des parties.

Les décisions de première instance

La Cour Supérieure a rendu 69 décisions sur le fond concernant la première vague de demandes. Les conflits judiciaires de la deuxième et de la troisième vague sont encore pendants en première instance.

Les décisions de première instance concernent 832 immeubles. Les demandeurs alléguaient qu’un vice majeur affectait la solidité des fondations de leurs immeubles.

La Cour a jugé que les entrepreneurs, les bétonnières, la société exploitant la carrière, le géologue et leurs assureurs devaient être tenus responsables des dommages causés aux immeubles.

Les questions posées à la Cour d’appel

La Cour d’appel a abordé des questions relatives à la responsabilité des parties impliquées et aux polices d’assurance applicables. Toutefois, elle a également fourni des réponses à des questions juridiques spécifiques relatives aux clauses de choix de la loi applicable dans les polices d’assurance et à l’érosion des limites de polices d’assurance, selon la loi applicable et des questions d’ordre public.

La loi applicable

Dans l’affaire qui a été examinée par la Cour, une clause de choix de la loi applicable et de la juridiction compétente contenue dans la police d’assurance excédentaire prévoyait que la loi de la province de l’Ontario était applicable et que tous les différends devaient être soumis aux tribunaux de l’Ontario. Cependant, la police d’assurance primaire stipulait que la loi de la province de Québec était applicable et que les tribunaux du Québec étaient compétents.

Zurich, l’assureur qui a émis la police d’assurance excédentaire, alléguait que la loi de l’Ontario devait être appliquée au litige.

L’article 3119 du Code civil du Québec a été analysé par la Cour afin de déterminer quelle loi est applicable. L’article en question prévoit :

3119. Malgré toute convention contraire, le contrat d’assurance qui porte sur un bien ou un intérêt situé au Québec ou qui est souscrit au Québec par une personne qui y réside, est régi par la loi du Québec dès lors que le preneur en fait la demande au Québec ou que l’assureur y signe ou y délivre la police.

De même, le contrat d’assurance collective de personnes est régi par la loi du Québec, lorsque l’adhérent a sa résidence au Québec au moment de son adhésion.

Toute somme due en vertu d’un contrat d’assurance régi par la loi du Québec est payable au Québec.

La Cour d’appel a indiqué que, sur la base de l’article ci-dessus, la loi du Québec est applicable si les conditions suivantes sont remplies :

a) Un contrat d’assurance :

1. portant sur un bien ou un intérêt situé au Québec; ou

2. souscrit au Québec par une personne qui y réside;

b) dès lors que :

1. le preneur en fait la demande au Québec; ou

2. l’assureur y signe ou y délivre la police.

Il a été conclu que la loi du Québec s’appliquait à la police d’assurance malgré la clause de choix de la loi applicable et de la juridiction compétente puisque les conditions de l’article 3119 C.c.Q sont satisfaites.

De plus, les tiers lésés avaient le droit d’engager un recours direct contre les assureurs conformément à l’article 2501 C.c.Q. puisque la police d’assurance est régie par la loi du Québec.

L’érosion des limites des polices d’assurance

L’assurée avait souscrit des polices d’assurance internationales ce qui signifie qu’elle était couverte sur tous les territoires sur lesquels elle faisait affaire. Toutefois, si des indemnités étaient payées à des réclamants prioritaires, le montant de la garantie annuelle stipulée dans la police s’épuisait selon les indemnités versées. Cet aspect est pertinent dans cette affaire puisque des indemnités avaient été payées et des frais engagés en Alberta pendant la même année pour des réclamations prioritaires à celles initiées au Québec.

Zurich alléguait également que la police qu’elle avait émise était régie par la loi de la province de l’Ontario qui, tout comme la loi de l’Alberta, autorise les assureurs à éroder le montant de la garantie si des frais de réclamation ont été engagés pour régler une réclamation.

La Cour indique que, puisque l’article 3119 C.c.Q. prévoit que la loi du Québec est applicable, les autres articles pertinents du Code civil du Québec s’appliquent également.

Cela inclut l’article 2414 C.c.Q. qui est rédigé comme suit :

2414. Toute clause d’un contrat d’assurance terrestre qui accorde au preneur, à l’assuré, à l’adhérent, au bénéficiaire ou au titulaire du contrat moins de droits que les dispositions du présent chapitre est nulle.

Est également nulle la stipulation qui déroge aux règles relatives à l’intérêt d’assurance ou, en matière d’assurance de responsabilité, à celles protégeant les droits du tiers lésé.

Ainsi, une clause contenue dans une police d’assurance qui est régie par les lois du Québec et qui accorde moins de droits que ceux prévus par le Code civil du Québec est nulle.

En outre, l’article 2500 C.c.Q. est une disposition d’ordre public qui prévoit que le montant de l’assurance est affecté exclusivement au paiement des tiers lésés. La Cour souligne que la jurisprudence a établi que l’objectif de cette disposition est de protéger les tiers lésés en leur accordant l’intégralité du montant de la couverture d’assurance et d’éviter que l’indemnité se confonde avec le patrimoine de l’assuré.

De plus, l’article 2503 C.c.Q. qui s’applique aussi aux polices régies par le droit du Québec précise ce qui suit :

2503. L’assureur est tenu de prendre fait et cause pour toute personne qui a droit au bénéfice de l’assurance et d’assumer sa défense dans toute action dirigée contre elle.

Les frais et frais de justice qui résultent des actions contre l’assuré, y compris ceux de la défense, ainsi que les intérêts sur le montant de l’assurance, sont à la charge de l’assureur, en plus du montant d’assurance.

Par conséquent, les frais de défense ne peuvent éroder les limites stipulées dans une police d’assurance qui est régie par les lois du Québec. Toutefois, la Cour indique qu’en vertu du droit québécois, le paiement d’indemnités pour des réclamations prioritaires peut provoquer l’érosion de la couverture d’assurance.

La Cour a conclu que l’assuré et ses assureurs ne peuvent réduire la garantie d’assurance qui est due aux tiers se trouvant au Québec d’un montant qui serait équivalent aux frais engagés pour régler des réclamations. Ainsi, tous les frais engagés par les assureurs pour des réclamations en Alberta devaient être exclus du montant causant l’érosion de la limite de garantie disponible pour les réclamants se trouvant au Québec.

Conclusions

En plus des conclusions relatives aux polices d’assurance applicables mentionnées ci-dessus, la Cour d’appel a jugé que les entrepreneurs, les bétonnières, la société exploitant la carrière et le géologue étaient responsables in solidum vis-à-vis des propriétaires des immeubles.

Toutefois, la Cour d’appel a conclu, contrairement à la décision de la Cour Supérieure, que les entrepreneurs n’étaient pas responsables des dommages. Par conséquent, les bétonnières et la société exploitant la carrière doivent indemniser les entrepreneurs pour les dommages-intérêts qu’ils pourraient devoir payer aux propriétaires des immeubles.