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Assurances et litige civil

Quand tuyau flexible de plomberie et produit nettoyant corrosif se rencontrent: la Cour supérieure tranche un litige récurrent

Table des matières

Dans les dernières années, les réclamations pour dégâts d’eau suivant un problème de corrosion des raccords flexibles de plomberie (communément appelés « speedway ») se sont multipliées. Plusieurs de ces dossiers ont mis en lumière le fait qu’une corrosion du tuyau flexible peut survenir lorsque celui-ci est mis en contact prolongé avec des vapeurs de produits nettoyants corrosifs. Très récemment, la Cour supérieure s’est penchée sur le sujet dans l’affaire La Capitale assurances générales inc. c. Construction McKinley inc.[1]

La décision est d’intérêt dans l’industrie de l’assurance. Tant les assureurs habitation agissant en recouvrement que les assureurs commerciaux agissant en responsabilité civile sont appelés à être impliqués dans ce genre de dossier.

Comme l’écrit le juge Alain Michaud dans sa décision, le sujet de la combinaison des tuyaux flexibles à des produits nettoyants corrosifs « est problématique et préoccupant [2]». Dans une décision détaillée, la Cour se prononce ainsi sur l’implication et la responsabilité des principaux acteurs de ce genre de sinistres.

Résumé des faits

Les faits à l’origine du litige sont typiques. Une résidence privée est endommagée par l’eau suivant le bris soudain du tuyau flexible d’un robinet. La gaine tressée d’acier inoxydable du conduit flexible a cédé en raison d’une corrosion causée par les émanations de chlore provenant du produit nettoyant Lysol Advance qui était entreposé tout près, dans l’armoire située sous l’évier[3].

Agissant en recouvrement, l’assureur des propriétaires a poursuivi l’entrepreneur général ayant construit la propriété quatre ans et demi plus tôt, le distributeur canadien du tuyau flexible en cause et le fabricant du produit Lysol. À noter que le fabricant chinois du speedway n’a pas été impliqué au recours.

Décision

La responsabilité des parties est étudiée sous deux concepts juridiques s’appliquant aux vendeurs, distributeurs et fabricants : soit celui de la garantie de qualité du bien[4] et celui du devoir d’information[5].

L’analyse portant sur le premier concept de la garantie de qualité s’avère sommaire, puisque le tribunal en vient à la conclusion que ni le tuyau flexible ni le produit Lysol ne sont affectés de vice caché. Ce n’est que lors de la combinaison des deux que le conduit flexible s’altère.

Le juge ne retient aucune part de responsabilité des propriétaires de la maison malgré les reproches qui leur étaient formulés d’avoir omis de lire les instructions figurant sur la bouteille de Lysol, d’avoir mal fermé la bouteille du produit ou d’avoir mal entretenu l’armoire sous l’évier. Reprenant des passages de l’arrêt Imperial Tobacco[6] rendu par la Cour d’appel en 2019, le tribunal rappelle que le consommateur moyen dont la conduite est analysée n’est plus celui de la personne raisonnablement prudente et diligente et encore moins celle de la personne avertie. Le comportement observé du consommateur « est maintenant celui d’un individu « crédule et inexpérimenté », c’est-à-dire une personne ayant un « faible degré de discernement » [7]».

L’entrepreneur ayant construit la résidence est aussi exonéré de toute responsabilité. Au-delà du fait que le tuyau flexible vendu avec la maison ne soit atteint d’aucun vice caché, le juge souligne que l’entrepreneur a par ailleurs repoussé la présomption de connaissance du vice s’appliquant au vendeur professionnel[8], puisqu’il est un vendeur d’ouvrages immobiliers et non spécialisé dans la vente d’équipements de plomberie. Il conclut également que l’entrepreneur ne peut avoir commis de faute dans son devoir d’information, étant donné son ignorance, à l’époque de la construction de la maison et jusqu’à la survenance du sinistre en cause, des risques associés aux tuyaux flexibles exposés à des vapeurs chlorées.

En somme, la responsabilité est partagée entre le distributeur du speedway (25%) et le fabricant du produit Lysol (75%). L’un et l’autre sont tenus responsables pour avoir failli à leur devoir d’information et/ou obligation de renseignement.

En ce qui a trait au distributeur du tuyau flexible, le tribunal conclut qu’il a fait preuve « d’une certaine négligence dans son devoir d’information lorsqu’il a eu connaissance de l’existence[9] » de la fragilité de son produit, dès 2014. Selon le juge, le distributeur aurait dû transmettre un avis écrit à ses clients passés lorsque l’existence d’un risque réel associé à son produit a été portée à sa connaissance.

Enfin, pour le fabricant du Lysol, la Cour a retenu que la mise en garde figurant sur l’endos du produit qui indique « Garder le contenant fermé hermétiquement dans un endroit frais et bien aéré » n’était pas suffisante pour aviser l’utilisateur que les vapeurs pouvant s’échapper de la bouteille ont la capacité de dégrader significativement les métaux se trouvant à proximité[10]. Les risques et dangers spécifiques du produit doivent être dénoncés clairement au consommateur plus crédule et inexpérimenté auquel la Cour d’appel réfère[11]. De l’avis du juge, les risques non divulgués des caractéristiques très corrosives du Lysol représentent l’élément causal le plus déterminant dans la survenance de la perte

Commentaires

Très souvent, la responsabilité découlant du devoir d’information est escamotée en jurisprudence par celle découlant du vice caché affectant le bien.  L’intérêt de cette décision se situe sur l’attention portée au devoir d’information du distributeur et du fabricant.

Au moment d’écrire ces lignes, le délai d’appel de la décision n’était pas encore expiré. Il sera ainsi intéressant de voir la suite que connaîtra cette décision, soit par l’intervention de la Cour d’appel ou par son application dans les dossiers litigieux pendants et à venir.