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Dérogation mineure, conséquences majeures

Table des matières

La décision rendue en 2021 par monsieur le juge Michel Déziel de la Cour supérieure[i] et qui ordonnait la démolition d’une luxueuse maison évaluée à 3 millions de dollars sur le territoire de la Ville de Gatineau avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque.

Pour résumer l’affaire, la Ville avait autorisé par dérogation mineure un propriétaire à poursuivre les travaux de construction de sa maison plus près de la ligne de rue que ce qu’autorisait le règlement de zonage. Lors de la délivrance du permis de construction, il n’avait pas été réalisé qu’une marge avant minimale plus importante que celle autorisée trouvait application. Les officiers municipaux s’étaient faits rassurants et avaient pris la décision de ne pas suspendre les travaux en attendant la décision du conseil municipal sur la dérogation mineure qui a finalement été accordée.

Des voisins ont contesté la validité de la résolution et ont obtenu gain de cause en Cour supérieure. Selon le juge Déziel, la décision de présenter une demande de dérogation mineure, plutôt que d’interrompre les travaux, avait été prise par les employés du département d’urbanisme pour éviter une poursuite en dommages en cas d’arrêt des travaux ou de demande de démolition. Il considérait que les critères exigés par la loi n’étaient pas satisfaits et que la résolution était nulle. Comme conséquence de l’annulation de la dérogation mineure, le juge avait également ordonné la démolition de l’imposante maison.

Cette décision a été portée en appel et la décision a été infirmée le 7 mars dernier[ii].

L’arrêt de la Cour d’appel, basé sur les motifs du juge Stéphane Sansfaçon, est fort intéressant puisque, au-delà du contexte factuel particulier du dossier, on y souligne plusieurs éléments importants sur le rôle des officiers et des élus municipaux dans le cadre d’une demande de dérogation mineure.

Le préjudice sérieux

L’article 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[i] prévoit que la dérogation ne peut être accordée que si l’application du règlement a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande.

Le juge de la Cour supérieure avait reproché aux employés de Gatineau de ne pas avoir analysé ce premier critère. Or, selon la preuve, le propriétaire avait déjà réalisé entre 400 000 $ et 450 000 $ de travaux lorsque les fonctionnaires lui ont recommandé de présenter une demande de dérogation mineure. De l’avis du juge Sansfaçon, il était inutile d’exiger des officiers municipaux qu’ils préparent une évaluation précise des impacts financiers qu’engendrerait la démolition de la construction avant d’opter pour le dépôt d’une demande de dérogation, puisque la première condition était satisfaite.

À ce sujet, je juge souligne également :

Il importe ici de préciser qu’une étude des critères d’octroi d’une dérogation mineure n’est généralement pas requise préalablement à la décision d’en faire cheminer la demande, vu que l’étendue de l’atteinte à la jouissance du droit de propriété des voisins peut aussi bien être analysée lors des étapes ultérieures du processus, qui se termine par l’adoption de la résolution par les membres du conseil municipal. D’ailleurs, rien dans la LAU n’indique qu’une étude formelle et écrite est même requise. Il peut être tout à fait justifié, même usuel que les critères d’octroi d’une dérogation mineure ne soient analysés qu’après le dépôt de la demande, comme c’est d’ailleurs le cas pratiquement chaque fois qu’un citoyen en dépose une[ii].

En d’autres termes, le rôle de l’officier municipal est avant tout de vérifier que la demande est complète avant de la transmettre au comité consultatif d’urbanisme (CCU) et, éventuellement, au conseil municipal. Bien qu’il soit courant que des officiers municipaux assistent les membres du CCU et le conseil municipal et fournissent des recommandations et des projets de résolutions, le défaut de le faire ne peut pas constituer une faute de la part des officiers municipaux, puisque ce ne sont pas eux qui doivent ultimement apprécier les critères et décider de la demande. En conséquence, le seul fait que cette analyse n’avait pas été faite avant que la décision de demander une dérogation ait été prise ne pouvait constituer un motif de nullité de la résolution du conseil municipal.

Le juge Sansfaçon souligne également que le fait que l’erreur à l’origine de la demande de dérogation mineure émanait d’un employé de la municipalité ne pouvait avoir pour effet de priver le conseil de la possibilité de l’accorder si les conditions prévues par la LAU sont satisfaites. La LAU précise les paramètres applicables à une telle demande et n’exclut pas que la dérogation puisse être accordée si l’erreur a été commise par un employé de la ville. Le juge fait remarquer qu’il serait d’ailleurs incongru qu’un citoyen puisse obtenir une telle dérogation à la suite de sa propre erreur ou de celle de son arpenteur-géomètre, par exemple, mais non à la suite d’une erreur commise par l’officier qui a délivré le permis, le forçant ainsi à démolir son bâtiment en tout ou en partie.

Le droit de propriété des voisins

Le deuxième critère énoncé à l’article 145.4 LAU précise que la dérogation mineure ne peut être accordée si elle porte atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété.

Sur ce point, la Cour d’appel reproche au premier juge d’avoir outrepassé les limites d’intervention accordée par la norme en matière de contrôle judiciaire en s’ingérant dans le rôle des membres du conseil municipal à qui le législateur a confié le pouvoir d’en apprécier l’importance.

En effet, c’est au conseil municipal que le législateur a confié le mandat de déterminer, en tenant compte de toutes les circonstances, si ces critères sont bien satisfaits. Celui-ci est certainement le mieux placé pour évaluer l’importance de ce qui lui est demandé, de même que l’impact que pourrait avoir l’octroi de la dérogation sur le voisinage, et plus spécifiquement sur celle qu’elle pourra avoir sur la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété.

Bien que l’exercice auquel doivent s’astreindre les membres du conseil municipal soit exigeant, vu la volonté du législateur d’imposer cette limite à leur pouvoir d’accorder une dérogation, il demeure que celui-ci a choisi de ne pas reconnaître au propriétaire d’un immeuble voisin qui soutiendrait subir une atteinte à la jouissance de son droit de propriété un droit d’appel auprès d’un organisme administratif.

Dans ce dossier, les voisins avaient eu l’occasion de faire valoir aux membres du conseil municipal l’entièreté de leur préjudice et ces derniers étaient ainsi à même de départager les inconvénients découlant de l’octroi d’une dérogation de ceux liés au caractère imposant de la construction. Le seul fait pour les voisins d’alléguer un préjudice ne signifie pas que le conseil doive refuser la demande, comme l’explique le juge Sansfaçon :

Il revenait donc aux membres du conseil municipal d’évaluer les circonstances de la demande ainsi que les prétentions des parties et de décider si les critères prévus dans la LAU étaient satisfaits, qu’il s’agisse de ceux prévus à l’article 145.4 LAU ou encore celui plus général voulant que la dérogation en soit une qui soit « mineure ». Ces critères ne s’évaluent pas de façon mathématique ni selon une formule définie, mais en fonction de l’ensemble des faits, ce que les élus ont été à même de faire[i].

 

Conclusion

Cet arrêt de la Cour d’appel vient réitérer que l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui consiste à accorder ou refuser une dérogation mineure repose dans les mains du conseil municipal et non des officiers municipaux ou aux membres du CCU. Ultimement, ce sont les élus qui doivent examiner si les conditions qui permettent d’accorder une dérogation sont remplies, juger si la dérogation est en soi mineure, déterminer si l’application du règlement cause un préjudice sérieux au demandeur et si la dérogation portera atteinte à la jouissance du droit de propriété des propriétaires voisins.

En cas de contestation d’une dérogation mineure devant la Cour supérieure, celle-ci ne devrait être annulée que s’il s’agit d’une résolution qui n’aurait pu être adoptée par un organisme raisonnable, considérant la grande variété de facteurs dont les conseillers municipaux élus peuvent légitimement tenir compte. La Cour d’appel a conclu que ce n’était pas le cas dans cette affaire.