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Force majeure : quand et comment déterminer l’urgence d’agir ?

Table des matières

Gabriel Desjardins
Avocat

Inondations, feux de forêt, tornades, chaleurs extrêmes : plusieurs phénomènes naturels ont bousculé le Québec au cours des derniers mois, apportant leurs lots de sinistres. Ces situations, déjà préoccupantes et nécessitant souvent des réponses immédiates, ajoutent un degré de complexité lorsque vient le temps, pour des personnes élues, de prendre des décisions éclairées.

Ces événements, qui surgissent à l’occasion, requièrent également qu’une municipalité puisse réagir promptement et engager des fonds publics afin de les gérer. Pour ce faire, certains pouvoirs sont accordés aux instances publiques, leur offrant ainsi une marge de manœuvre dans les situations de crise. La ligne peut toutefois être mince entre une réelle situation d’urgence qui nécessite une exception à la règle et un simple besoin pressant, pour effectuer des travaux par exemple.

Imprévisible et insurmontable

Nous nous concentrerons ici surtout sur les articles 573.2 de la Loi sur les cités et villes[1] et 937 du Code municipal[2]. Dans ces articles, il est question de « force majeure », ce qui peut se traduire communément sous le célèbre terme « Act of God ». Cette force majeure doit, selon les articles en question, « mettre en danger la vie ou la santé de la population » ou « détériorer sérieusement les équipements municipaux » pour permettre au maire de la municipalité d’outrepasser la procédure d’appel d’offres.

Des sinistres naturels tels qu’une inondation, un incendie ou un tremblement de terre peuvent se qualifier comme des cas de force majeure, selon les auteurs Marc-André LeChasseur et Jean Paquette. Dans leur ouvrage Conflits d’intérêts et inhabilité en milieu municipal[3], ils expliquent que l’événement doit avoir un caractère « imprévisible, irrésistible et insurmontable ». Le contrat doit donc être conclu dans l’intérêt général de la municipalité « pour pallier les conséquences que le respect des procédures aurait pu engendrer ».

L’interprétation du terme « force majeure », utilisé dans les deux lois citées plus haut, fait directement écho à celle de l’article 1470 du Code civil du Québec. En vertu notamment du principe d’uniformité des lois[4], ce terme doit recevoir, dans le cadre de cette analyse, la même interprétation.

Urgence raisonnable et inexécution contractuelle

Lors d’un cas de force majeure, l’approche civiliste a plus d’une fois inclus les événements climatiques extrêmes comme un moyen de défense valable face à une inexécution contractuelle[5]. Il faut néanmoins que l’urgence en soit raisonnablement une.

Dans la décision Québec (Procureure générale) c. McKinnon[6], la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur un contrat de transport de personnes par hydroglisseur sur la rivière séparant la municipalité de Saint-Augustin, en Basse-Côte-Nord, de l’autre rive, où se trouve un aéroport. En hiver, les citoyens pouvaient compter sur le gel de la rivière pour traverser, mais pas durant la saison estivale.

Bien que la Cour d’appel ait reconnu que le contrat visait la sécurité des résidents de la municipalité, la fréquence quotidienne et annuelle du transport qui leur était offert faisait perdre à l’événement son aspect imprévisible, irrésistible et insurmontable.

À l’inverse, dans d’autres décisions, la Cour d’appel a reconnu que les travaux nécessaires à l’approvisionnement en eau d’une municipalité avant l’hiver[7] ou encore le traitement d’une eau contaminée par du phénol menaçant une source d’eau potable[8] étaient considérés comme urgents.

Activité humaine ou climatique

Dans cette optique, la survenance d’une situation de force majeure liée à l’activité humaine ou à une situation climatique, si elle remplit les critères que nous avons déjà expliqués, ouvre la porte à une gestion accélérée de la crise.

Plusieurs d’entre nous se rappelleront la crise du verglas qui a frappé le Québec durant l’hiver 1998. Inutile de mentionner qu’une grande quantité de municipalités ont fait face à des situations extraordinaires. Dans ce cas précis, la majorité des municipalités touchées durement a décrété l’état d’urgence. Ce statut exceptionnel permet également une gestion accélérée des travaux nécessaires, ce qui pourra faire l’objet d’un prochain article.