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Travail et emploi

Droit du travail : quelles décisions récentes pourraient influencer votre quotidien ?

Table des matières

Lisez la sélection des décisions récentes et importantes en droit du travail préparée par les avocates et les avocats de Bélanger Sauvé.

L’EMPLOYEUR EST-IL TENU D’ACCORDER COMME NOUVEAU JOUR FÉRIÉ ET PAYER LA JOURNÉE NATIONALE DE LA VÉRITÉ ET DE LA RÉCONCILIATION EN VERTU DE LA CONVENTION COLLECTIVE APPLICABLE ?

Dans l’affaire Ville de Gatineau et Syndicat des cols bleus de Gatineau[1], le syndicat dépose un grief à la suite d’une mésentente concernant l’interprétation d’une disposition de la convention collective selon laquelle la Ville s’engage à accorder à ses salariés les jours fériés, chômés et payés décrétés par un « gouvernement supérieur », en plus de ceux déjà prescrits dans la convention collective.

Le syndicat soutient que la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation instituée par la Loi modifiant la Loi sur les lettres de change, la Loi d’interprétation et le Code canadien du travail[2] doit s’ajouter aux quatorze jours de fête chômés et payés auxquels ont déjà droit les salariés qu’il représente. Il réclame, pour chacun d’eux, une indemnisation pour un avantage dont ils ont été privés le 30 septembre 2021. La Ville, pour sa part, avance que cette journée ne s’ajoute pas aux jours fériés sur lesquels les parties se sont entendues à l’occasion de la conclusion de leur convention collective.

En l’espèce, l’arbitre estime que :

  • L’esprit du paragraphe 13.02 fait appel à une décision d’un ordre de gouvernement ayant un pouvoir législatif différent de celui de la Ville qui est à même de décréter des lois d’application générale ou particulière. Selon l’arbitre, c’est indiscutablement le cas du gouvernement du Parlement du Canada ;
  • Rien dans la preuve ne lui permet de conclure que la référence à un « congé décrété par un gouvernement supérieur » ne vise qu’une fête édictée par une loi générale ou spéciale du gouvernement ou de l’Assemblée nationale du Québec ;
  • Le fait de donner à l’expression « gouvernement supérieur » le sens favorisé par le syndicat s’accorde avec le sens usuel des mots. L’arbitre procède ainsi à l’interprétation en fonction d’autres clauses prévues à la convention collective.

Compte tenu de ce qui précède, l’arbitre a fait droit au grief syndical.

COVID-19 ET DEMANDE DE TRANSFERT DE COÛTS DANS LE CAS D’UNE LÉSION PROFESSIONNELLE

Dans l’affaire Résidence Beauharnois[1], le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») devait déterminer si l’employeur, une résidence pour personnes âgées, avait droit à un transfert de coûts en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] dans le cas d’un travailleur, directeur général de deux résidences, ayant subi une lésion professionnelle d’ordre psychologique dans le contexte de la Covid-19.

L’employeur alléguait avoir été obéré injustement puisque la survenance de la pandémie de la Covid-19 et l’urgence sanitaire qui en a découlé ont constitué une situation exceptionnelle ayant joué un rôle déterminant dans la survenance de la lésion du travailleur ayant causé un trouble de l’adaptation avec humeur dépressive.

En ce qui concerne la situation d’injustice, l’employeur voyait en la Covid-19 une situation rare, inusitée ou exceptionnelle ayant influé la survenance du fait accidentel. Dans sa réclamation, le travailleur expliquait que la situation avait été très difficile émotivement durant cette période, citant notamment comme exemples le fait d’avoir trouvé un résident décédé dans son lit et d’avoir dû annoncer à 10 familles le décès de leur proche. De plus, à compter de la mi-mars jusqu’au début mai 2020, le travailleur travaillait des quarts de 14 h à 16 h par jour.

Le TAT estime que la situation vécue par le travailleur était exceptionnelle et a joué un rôle déterminant dans la survenance de sa lésion professionnelle. Bien que ce ne soit pas à la suite d’un diagnostic de la Covid-19 du travailleur que l’employeur demande un transfert de la totalité du coût des prestations, mais plutôt à la suite d’un diagnostic d’ordre psychologique, le TAT considère que le virus a bel et bien eu un impact sur le déroulement du dossier du travailleur. La preuve prépondérante démontre que le virus et ses impacts dans la vie professionnelle du travailleur ont eu des conséquences sur la condition de ce dernier et ont entrainé une lésion nécessitant des soins psychologiques et des indemnités de remplacement de revenu.

Il importe de souligner que la jurisprudence retient que, lorsqu’il est question de demandes soumises en lien avec la Covid-19, l’employeur n’a pas à démontrer que la proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice est significative par rapport à ceux qui découlent de l’accident de travail. Cette exception est uniquement permise lors de telles demandes.

Le TAT accorde le transfert de coûts demandé par l’employeur.

DISPOSITIONS ANTI-BRISEURS DE GRÈVE : LA NOTION D’ÉTABLISSEMENT NE S’ÉTEND PAS AU TÉLÉTRAVAIL

Dans l’affaire Groupe CRH Canada inc. c. Tribunal administratif du travail[1], la Cour supérieure siégeant en contrôle judiciaire déclare que la notion d’établissement prévue à l’article 109.1 du Code du travail (ci-après « C.t. ») ne s’étend pas à la résidence d’un employé en télétravail.

L’employeur, qui exploite une cimenterie, déclare un lock-out suivant l’expiration de la convention collective. Le syndicat demande l’intervention d’un enquêteur, alléguant que l’employeur violerait l’article 109.1 g) C.t. L’enquêteur confirme que l’employeur viole cette disposition en utilisant les services d’une salariée, hors de l’unité de négociation, en télétravail pour effectuer le travail de salariés visés par le lock-out. Suivant cette conclusion, le syndicat saisit le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») d’une demande d’ordonnance permanente et provisoire pour faire cesser ces contraventions.

Le TAT déclare que la notion d’établissement à laquelle renvoient les dispositions anti-briseurs de grève se déploie jusqu’à la résidence des employés qui fournissent leur prestation de travail à distance puisque leur travail participe à l’exploitation de l’entreprise de l’employeur. Il soutient que cette conclusion s’aligne avec l’esprit des dispositions anti-briseurs de grève qui ont un caractère impératif.

Saisie du pourvoi en contrôle judiciaire intenté par l’employeur, la Cour supérieure conclut que la décision du TAT est déraisonnable puisqu’elle est « frappée d’une apparente incohérence significative »[2]. Elle note les incohérences suivantes :

  • L’élargissement de la notion d’établissement proposée par le TAT crée une dichotomie entre la notion d’établissement dans un contexte d’accréditation et cette même notion dans un contexte de grève/lock-out. La Cour rappelle que l’accréditation d’un syndicat ne peut manifestement pas englober la résidence d’un employé en télétravail. Elle ne peut que viser l’établissement physique de l’employeur. Selon elle, la notion d’établissement à l’article 109.1 C. t. devrait recevoir la même interprétation.
  • L’élargissement de la notion d’établissement serait incompatible avec les enseignements de la Cour d’appel qui a conclu que la notion d’« établissement » au sens de l’article 109.1 t. vise le « lieu précis dont l’employeur a théoriquement verrouillé les portes »[3]. De ce fait, la Cour supérieure rejette l’interprétation du TAT selon laquelle l’employeur pourrait théoriquement verrouiller l’accès au télétravail et estime que l’établissement renvoie aux frontières traditionnelles de l’immeuble où l’employeur exerce ses activités.
  • Le TAT n’a pas su démontrer que la prestation de travail à distance qui est contestée engendrerait un déséquilibre des forces de la négociation entre les parties et nuirait ainsi à l’esprit des dispositions anti-briseurs de grève. Ses constats n’étaient que purement hypothétiques.

À la lumière de ce qui précède, la Cour supérieure accueille le pourvoi en contrôle judiciaire, annule en partie la décision du TAT en modifiant ses conclusions pour qu’elle autorise l’employeur à utiliser les services d’employés en télétravail.

TRANSFERT D’IMPUTATION EN RAISON D’UNE LÉSION ATTRIBUABLE À UN TIERS

Dans la décision Centre de services scolaire de l’Énergie[1], le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») devait déterminer s’il y avait lieu de transférer le coût des prestations de la lésion professionnelle subie par la travailleuse, une enseignante au primaire, à l’ensemble des employeurs de toutes les unités de classification, en raison du fait que cette lésion était attribuable à un tiers.

Alors que la travailleuse effectuait une intervention dans la cour d’école, elle a été rouée de coups d’un élève et a ainsi subi une lésion professionnelle.

Dans les circonstances, l’employeur a demandé un transfert d’imputation en invoquant que cette lésion était attribuable à un tiers, soit l’élève. Le TAT précise d’emblée que l’élève qui fréquente l’un des établissements d’enseignement de l’employeur doit être considéré comme un tiers au sens de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (ci-après « LATMP »). Aussi, la lésion lui est majoritairement attribuable.

Par ailleurs, en ce qui concerne le critère d’injustice, le TAT rappelle que celui-ci doit s’analyser à la lumière des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, ainsi qu’en regard aux circonstances propres à l’accident du travail en cause.

Le TAT souligne que le fait de devoir maîtriser physiquement un élève qui se désorganise correspondait certainement à un risque inhérent aux activités de l’employeur. Toutefois, considérant la violence des gestes de l’élève, leur répétition tout au long de son intervention ainsi que les sites anatomiques visés, le TAT retient qu’il s’agit de circonstances exceptionnelles ayant un caractère extraordinaire et inusité.

Ainsi, le TAT a accordé le transfert d’imputation aux employeurs de toutes les unités de classification.

L’UNIVERSITÉ N’A PAS À RÉMUNÉRER LES CHARGÉS DE COURS POUR SUIVRE UNE FORMATION EN LIGNE OBLIGATOIRE PORTANT SUR LES VIOLENCES À CARACTÈRE SEXUEL

Dans l’affaire Syndicat des professeures et professeurs enseignants de l’UQAM (SPPEUQAM) c. Université du Québec à Montréal (UQAM)[1], l’arbitre devait statuer si l’Université avait l’obligation de rémunérer les chargés de cours pour suivre une formation en ligne obligatoire portant sur les violences à caractère sexuel.

Faisant suite à l’entrée en vigueur de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur[2], l’Université a adopté une politique qui prévoyait notamment l’obligation pour le personnel — ce qui incluait les chargés de cours — de suivre une formation offerte en ligne.

Le syndicat soutenait que ces formations ne faisaient pas partie des tâches d’enseignement des chargés de cours telles que définies à la convention collective. Se basant sur l’article 57 (1⁰) de la Loi sur les normes du travail[3], le syndicat prétendait que les chargés de cours suivant la formation étaient réputés être au travail et, en application de l’article 58, ils avaient droit à une rémunération équivalente à trois heures de salaire à taux simple.

D’abord, l’arbitre rejette cet argument. Il retient que l’Université n’a jamais requis la présence des chargés de cours sur les lieux du travail, que les formations étaient disponibles en ligne et pouvaient être suivies à partir de l’endroit et du temps de la journée qui convenaient aux chargés de cours.

Ensuite, il conclut à la lumière de la preuve que le fait de suivre cette formation fait partie intégrante de la tâche d’enseignement des chargés de cours, plus précisément des volets de préparation et de prestation devant les étudiants. En effet, la preuve a révélé que le chargé de cours devait connaître et bien maîtriser la politique sur laquelle portait la formation.

Pour ces motifs, l’arbitre rejette les griefs.