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Droit du travail avril 2024
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Droit du travail

Droit du travail et de l’emploi – Avril 2024

Table des matières

Congé d’assiduité et discrimination

Dans un arrêt récent[1], la Cour d’appel a eu à interpréter les articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (ci-après « Charte »), dans le contexte de l’octroi d’un congé d’assiduité prévu à la convention collective conclue entre les parties.

Ce congé avait été prévu par les parties afin de reconnaître la régularité de la prestation de travail des salariés et permettait à un salarié d’avoir un congé d’une ou deux semaines par année en utilisant son crédit maladie et le solde d’une banque de temps.

Pour pouvoir bénéficier de ce congé, les salariés ne devaient pas avoir cumulé plus de trois occurrences d’absences et ne devaient pas s’être absentés du travail plus de 10 jours durant l’année de référence. La notion d’occurrence avait été définie à la convention collective comme étant tout type d’absences, à l’exclusion des congés sociaux, des congés personnels, des libérations syndicales, des formations dispensées par l’employeur, des comparutions en justice, d’une lésion professionnelle et des retards. Il s’agissait donc essentiellement de congés de courte durée, à l’exception de celui résultant d’une lésion professionnelle.

Une fois cette disposition entrée en vigueur, le syndicat et l’employeur divergeaient d’opinion quant à son application.

En effet, le syndicat prétendait que le congé de maternité, le congé de paternité et le congé parental devaient faire partie des exceptions aux types d’absences, au même titre que les congés sociaux. Il plaidait qu’une interprétation contraire serait une mesure discriminatoire au sens de l’article 10 de la Charte, fondée sur l’état civil qui, selon lui, devait inclure la parentalité ou la situation familiale. Plus particulièrement pour le congé de maternité, le syndicat plaidait que l’exclusion de ce congé était une mesure discriminatoire fondée sur la grossesse.

De son côté, l’employeur plaidait plutôt que l’exclusion de ces congés s’expliquait par leur longue durée et par l’objectif du congé d’assiduité. Pour l’employeur, leur exclusion n’avait rien à voir avec l’un des motifs de discrimination prévus à l’article 10 de la Charte.

Le syndicat a déposé un grief collectif afin de contester la position de l’employeur, qui a été rejeté par l’arbitre de grief. Cette décision a été confirmée par la Cour supérieure en contrôle judiciaire, ce qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel.

La Cour d’appel a formulé les deux questions auxquelles elle devait répondre de la façon suivante :

  • Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que l’arbitre a rendu une décision raisonnable en déterminant que l’exclusion du congé de maternité, du congé de paternité et du congé parental des congés qui ne sont pas pris en compte aux fins de l’octroi du congé d’assiduité ne constitue pas une forme de discrimination fondée sur l’« état civil » au sens de l’article 10 de la Charte?
  • Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que l’arbitre a rendu une décision raisonnable en déterminant que l’exclusion du congé de maternité des congés qui ne sont pas pris en compte aux fins de l’octroi du congé d’assiduité ne constitue pas une forme de discrimination fondée sur la « grossesse » ou le « sexe » au sens de l’article 10 de la Charte?

À la première question, la Cour répond par la négative. À ce sujet, elle rappelle les enseignements de l’arrêt Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord[3], dans lequel la Cour d’appel avait conclu que l’état parental n’est pas un motif de discrimination inclus dans l’état civil. De plus, elle rappelle que l’énumération des motifs de discrimination à l’article 10 de la Charte est exhaustive, contrairement à ceux énoncés à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[4].

La Cour répond aussi par la négative à la deuxième question. À ce titre, le groupe de comparaison retenu par l’arbitre, pour déterminer s’il y avait une distinction fondée sur un motif prohibé, était constitué des salariés qui s’absentent du travail plus de 10 jours durant une année de référence pour une raison autre que les types d’absences spécifiquement exclus de la disposition prévoyant le congé d’assiduité. Ainsi, dans ce groupe de comparaison se trouvaient les salariés en congé de maternité et les salariés en congé de paternité, en congé parental, en congé à traitement différé et en congé de maladie.

Suivant cet élément, la Cour en vient à la conclusion que la raison de l’exclusion est fondée sur la durée du congé et l’objectif du congé d’assiduité. De fait, la Cour conclut qu’il y a absence de traitement discriminatoire[5].

La PCU est-elle prise en compte dans le calcul du délai de congé?

Dans cette affaire[6], la Cour du Québec accueille en partie la demande d’indemnité de départ tenant lieu de délai de congé du demandeur, un ancien employé, en raison de son congédiement injustifié. La Cour conclut entre autres que l’employeur ne peut déduire du délai de congé la somme des allocations de prestation canadienne d’urgence (« PCU ») perçues par cet employé après qu’il ait été mis fin à son emploi.

Le demandeur, alors qu’il est à l’emploi d’un autre employeur chez qui il gagne un salaire annuel équivalent à 100 000 $, se fait approcher par l’employeur, qui réussit à le convaincre de démissionner de son emploi afin de venir travailler pour lui, moyennant un salaire annuel de 90 000 $. Convaincu par l’enthousiasme et les représentations du président, le demandeur démissionne de son emploi et se joint à l’employeur, d’abord à titre de Leader transformation des processus d’affaires & Lean Management, puis est ensuite promu Directeur de Qualités et Méthodes. Au bout de cinq mois, le demandeur est licencié en raison d’une réorganisation corporative. L’employeur lui offre un préavis et une indemnité de fin d’emploi équivalant à deux semaines de rémunération, ce que le demandeur refuse, réclamant un délai de congé plus long.

Le demandeur réclame donc l’équivalent de 26 semaines de salaire à titre d’indemnité de départ, en plus d’une indemnité de 10 000 $ pour le préjudice qu’il aurait subi du fait d’avoir démissionné d’un emploi antérieur qui offrait une rémunération plus élevée. L’employeur, pour sa part, allègue que le préavis de deux semaines de salaire proposé au plaignant était suffisant, puis souligne que la somme des allocations de PCU perçues par le demandeur après qu’il ait été mis fin à son emploi devrait être déduite de l’indemnité que la Cour accordera à titre de délai de congé.

La Cour conclut que le demandeur aurait droit à un délai de congé de trois mois, mais qu’elle ne peut accorder un délai de congé allant au-delà de la date à laquelle le demandeur s’est trouvé un nouvel emploi. La Cour accorde donc un délai de congé d’environ 10 semaines, délai s’étant écoulé entre son congédiement et le début de son nouvel emploi. La Cour rejette l’argument de l’employeur voulant que la somme des allocations de PCU devrait être déduite du délai de congé accordé, s’appuyant sur le courant jurisprudentiel majoritaire dans d’autres provinces canadiennes et sur l’article 1608 du Code civil du Québec, qui prévoit ce qui suit :

1608. L’obligation du débiteur de payer des dommages-intérêts au créancier n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que le créancier reçoive une prestation d’un tiers, par suite du préjudice qu’il a subi, sauf dans la mesure où le tiers est subrogé aux droits du créancier.

Enfin, la Cour refuse d’accorder au demandeur une indemnité pour le préjudice subi du fait qu’il a été incité de démissionner de son ancien emploi, écrivant « qu’un employé ne peut obtenir des dommages moraux suite à la résiliation de son contrat d’emploi à moins de démontrer un abus de droit »[7], puis qu’ « on ne peut accorder des dommages pour le motif invoqué ici puisqu’il s’agit d’un des facteurs à considérer dans l’évaluation du délai de congé »[8].

Suspension de cinq jours substituée au congédiement d’un enseignant pour gestes inappropriés à caractère sexuel sur des élèves

Dans l’affaire Centre de services scolaire de la Région-de-Sherbrooke[9], le Tribunal d’arbitrage a été saisi d’un grief contestant notamment le congédiement du plaignant, un enseignant de 25 années d’expérience avec des élèves du secondaire, dont cinq années à l’emploi de l’employeur.

En décembre 2017, trois élèves du secondaire ont accusé leur enseignant, le plaignant, d’avoir posé des gestes inappropriés à caractère sexuel à leur égard. Elles ont notamment allégué qu’il les enveloppait lorsqu’elles posaient une question, il mettait sa main sur la leur – parfois même sur leur cuisse – afin de déplacer la souris d’ordinateur, il les a accueillies dans la classe en lui disant « salut ma belle », il leur a fait des clins d’œil, il a mis sa main dans leur dos en la glissant jusqu’au bas du dos, il a donné un coup de « pad » sur les fesses et il a demandé leur numéro de téléphone afin d’envoyer le titre d’une chanson.

En janvier 2018, le plaignant est relevé de ses fonctions pendant la durée de l’enquête policière et, par la suite, durant l’enquête de l’employeur. Au terme de celles-ci, il sera congédié au mois de septembre 2018.

Le syndicat conteste le congédiement du plaignant puisqu’il estime que l’employeur n’avait pas de motif pour justifier la suspension administrative, que les délais ont été trop longs entre les faits reprochés et le congédiement et que le principe de la gradation des sanctions n’a pas été respecté, le plaignant n’ayant pas d’antécédents disciplinaires. Il plaide également que l’employeur a porté atteinte aux droits fondamentaux du plaignant en le soumettant à un processus d’enquête qui le désavantageait et dont la durée a été particulièrement longue et pénible.

De son côté, l’employeur plaide que les deux suspensions administratives étaient nécessaires, justes et raisonnables et qu’elles ont été prises pour des motifs reliés à la sécurité des élèves. Il allègue également que les agissements du plaignant étaient inacceptables et incompatibles avec son rôle d’enseignant, ce qui le justifiait de mettre fin à son emploi sans respecter le principe de la gradation des sanctions.

Au regard de la preuve administrée, le Tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas satisfait à son fardeau de preuve, en ce qu’il n’a pas pu démontrer de façon claire que les gestes reprochés au plaignant ont été posés à des fins d’ordre sexuel ou qu’il ait exercé du harcèlement à connotation sexuelle à l’égard des élèves. Ainsi, aux yeux de l’arbitre, si certains gestes posés par le plaignant[10] méritent une mesure disciplinaire, ils ne sauraient donner lieu à un congédiement dans les circonstances particulières du présent dossier.

Pour le Tribunal, il est clair que le plaignant a manqué de jugement en ne faisant pas attention lors de certains contacts physiques avec ses élèves. Cela dit, en l’espèce, l’arbitre conclut qu’une suspension disciplinaire de cinq jours était davantage appropriée.

Le grief contestant le congédiement du plaignant est donc accueilli partiellement et une suspension sans traitement de cinq jours est substituée.

Retrait préventif et maintien de l’indemnité de vacances

Le Tribunal d’arbitrage a récemment reconnu le droit au cumul des avantages liés aux vacances à une salariée en retrait préventif. Il énonce qu’un employeur ne devrait pénaliser une employée qui exerce un droit prévu à la Loi sur la santé et la sécurité du travail[11], pour ce simple motif.

Cette conclusion est tirée de l’affaire Syndicat des intervenantes en petite enfance de Québec (SIPEQ-CSQ) et Centre de la petite enfance l’Amhirondelle inc.[12] dans laquelle le syndicat contestait le refus de l’employeur de reconnaitre le droit à l’indemnité de congé annuel de la plaignante alors qu’elle était en retrait préventif.

L’employeur soutenait que, selon la convention collective, le droit à l’indemnité de congé annuel est acquis lorsqu’une personne fournit une prestation de travail pendant l’année de référence, ce qui n’était pas le cas de la plaignante. Celle-ci s’était absentée toute l’année de référence, d’abord en raison d’un retrait préventif, puis d’un congé de maternité. Le syndicat, quant à lui, plaidait entre autres que le retrait préventif créait une présomption à l’effet que la plaignante était au travail, malgré qu’elle ait été retirée de son lieu de travail, de telle sorte qu’elle satisfasse aux exigences de la convention collective aux fins du versement de l’indemnité de vacances.

L’arbitre retient les prétentions syndicales. Elle adopte l’approche selon laquelle une salariée qui se prévaut d’un retrait préventif est présumée fournir une prestation de travail. Tel que la Cour suprême du Canada le souligne dans l’arrêt Dionne[13], un raisonnement que fait sien l’arbitre, un retrait préventif constitue avant tout une demande d’affectation à une tâche sans risque. Ainsi, un employeur qui est dans l’incapacité de réaffecter une salariée se prévalant d’un retrait préventif ne peut le lui opposer par la suite afin de lui refuser des avantages auxquels elle aurait eu droit si elle était restée au travail. Autrement, cela violerait l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne[14] qui garantit la non-discrimination fondée sur la grossesse.

Pour ces motifs, l’arbitre accueille le grief.

Indemnisation pour une victime indirecte d’un accident de travail

Les faits de cette affaire[15] se résument comme suit. Alors que le travailleur, un chef de train, passait près de la gare de triage de Pointe-Saint-Charles, il a aperçu une scène d’accident à la gare ainsi que la présence de véhicules d’urgence. Il n’a toutefois pas eu de contact visuel direct sur l’évènement. Arrivé à destination, en discutant avec son superviseur, le travailleur a appris qu’un collègue était décédé à la suite d’un accident de travail. Puis, après avoir entendu le déroulement de l’accident, le travailleur n’a pas été en mesure d’effectuer une manœuvre et a quitté le travail. Il a obtenu un diagnostic de stress post-traumatique.

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail a rendu une décision à la suite d’une révision administrative par laquelle elle a confirmé le refus de la réclamation du travailleur.

L’employeur soutenait qu’il n’y avait aucun évènement imprévu et soudain, puisque le travailleur n’a pas été témoin de l’accident mortel et n’a pas vu le corps après le décès. De plus, l’évènement n’est pas survenu à l’occasion de son travail de chef de train, qui partait de la Ville de Saint-Lambert pour se rendre à Saint-Laurent.

Or, le TAT conclut à l’existence d’un évènement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail.

D’abord, le TAT retient qu’un accident au cours duquel un travailleur perd la vie dans le cadre de ses fonctions est en soi un évènement qui sort du cadre normal et habituel du travail. Ensuite, il conclut que l’évènement revêt un caractère imprévu et soudain bien que le travailleur n’ait pas été un témoin direct de l’évènement. En effet, le travailleur exerçait exactement les mêmes fonctions que le travailleur décédé et son trouble s’est manifesté au moment précis où il s’apprêtait à faire la manœuvre au cours de laquelle son collègue est décédé. Il s’est imaginé la scène de l’accident et a pensé que cela pourrait aussi lui arriver. Le travailleur était donc une victime indirecte de l’évènement.

Le TAT déclare donc que le travailleur a subi une lésion professionnelle.