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Droit du travail mars 2024
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Droit du travail et de l’emploi – Mars 2024

Table des matières

Démission et déménagement dans une autre province : l’employeur est-il obéré injustement?

C’est la question à laquelle le juge administratif Marco Romani a eu à répondre dans une décision rendue le 26 janvier dernier[1].

Dans cette affaire, la travailleuse, membre de l’équipe des ventes pour Réno-Dépôt, a subi une lésion professionnelle le 18 mai 2020, dont les diagnostics retenus sont une fracture de la tête radiale droite et une fracture du condyle huméral gauche. Le 8 juillet 2020, la travailleuse a débuté une assignation temporaire, avant de démissionner de son emploi le 22 août 2020 et de déménager en Nouvelle-Écosse. Sa lésion professionnelle n’était à ce moment pas consolidée et ne l’a été que le 23 février 2023, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

Suivant la démission et le déménagement de la travailleuse, l’employeur a déposé une demande de transfert d’imputation alléguant être obéré injustement en vertu de l’article 326 alinéa 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [2](ci-après « LATMP »). Il prétendait qu’il lui avait été impossible de l’assigner temporairement au travail. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail a rejeté la demande de l’employeur, concluant qu’il n’était pas obéré injustement. Cette décision a été confirmée par la révision administrative.

C’est suivant cette trame factuelle que le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») avait à se demander si l’employeur avait droit à un transfert d’imputation.

À ce titre, le juge administratif rappelle les critères devant être démontrés par un employeur afin d’obtenir un transfert d’imputation en vertu de l’article 326 alinéa 2 de la LATMP, et ce, selon la jurisprudence majoritaire : une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter ainsi qu’une proportion des coûts attribuables à cette injustice qui est significative.

À partir de ces critères, l’employeur plaidait que la démission de la travailleuse ne faisait pas partie des risques inhérents à ses activités, se basant sur le courant minoritaire du TAT à cet effet.

D’abord, le juge administratif précise qu’il ne partage pas l’avis des juges administratifs adhérant au courant jurisprudentiel minoritaire. Selon lui, la démission d’un travailleur fait partie des risques inhérents que tout employeur doit supporter.

Ensuite, le juge administratif mentionne que les faits de l’affaire qu’il avait à décider sont suffisamment inusités pour permettre à l’employeur d’obtenir un transfert d’imputation. En effet, non seulement la travailleuse a démissionné de son emploi, elle a également déménagé dans une autre province, ce qui a eu un effet sur son suivi médical et sur les soins et traitements qu’elle devait suivre. Il souligne également que le déménagement de la travailleuse s’est fait dans le contexte de la pandémie de COVID-19, à un moment où les déplacements interprovinciaux étaient fortement restreints.

Suivant ces éléments, le juge administratif retient que l’employeur a été incapable de se prévaloir de la procédure d’évaluation médicale et de faire évaluer la travailleuse par un professionnel de la santé qu’il désigne. C’est pour cette raison particulière qu’il conclut que l’employeur subit une injustice, dans les circonstances de l’affaire.

Considérant ce qui précède, le TAT accueille la contestation de l’employeur et déclare que le coût des prestations relié à la lésion professionnelle doit être imputé aux employeurs de toutes les unités à compter du 23 août 2020.

Congédiement sans cause juste et suffisante ou licenciement découlant de la pandémie de la covid-19?

Dans cette affaire[3], le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») rejette la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante déposée par un salarié en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[4], concluant que ce dernier n’a pas été congédié, mais qu’il a plutôt fait l’objet d’un licenciement découlant de motifs d’ordre économique et organisationnel causés par la pandémie de la COVID-19, puis que la décision de l’employeur de le licencier était fondée sur un critère objectif de polyvalence.

En raison de la pandémie de la COVID-19, l’employeur, qui œuvre dans le domaine de l’impression haut de gamme et qui dessert une clientèle variée, subit une baisse de son volume d’affaires. Le 23 mars 2020, il procède ainsi à 68 mises à pied temporaires, soit plus de la moitié de ses effectifs. Sept des huit divisions chez l’employeur sont touchées par ces mises à pied; uniquement celle des ventes n’est pas affectée. Entre les mois d’avril et de septembre 2020, 35 des employés mis à pied sont progressivement rappelés au travail, puis 18 de ces employés démissionnent. En septembre 2020, sur la base du critère de polyvalence, l’employeur prend la décision de terminer définitivement l’emploi du plaignant, un des deux chauffeurs affectés à la division de la réception et de l’expédition, ainsi que celui de 14 autres employés.

Le plaignant conteste sa fin d’emploi, alléguant qu’il ne s’agit pas d’un réel licenciement, mais bien d’un congédiement sans cause juste et suffisante, l’employeur ayant appliqué le critère de polyvalence de manière partiale à son égard. Au soutien de sa position, le plaignant invoque que l’employeur n’a pas pris en compte ses six ans d’ancienneté, puis que certaines difficultés relationnelles entre lui et son supérieur expliquent sa fin d’emploi.

Le TAT rejette la plainte. Dans son analyse, le TAT conclut d’abord que « l’employeur s’est déchargé du fardeau de démontrer, par prépondérance des probabilités, que les motifs d’ordre économique et organisationnel invoqués au soutien de la fin d’emploi du plaignant sont bien réels »[5]. Il note ensuite que l’employeur peut s’appuyer sur un critère de polyvalence pour justifier son choix des salariés à licencier, puis qu’il peut abolir certains postes et répartir différemment les tâches relevant de ces postes. Le TAT écrit que c’est ce que l’employeur a fait en l’espèce en réassignant les tâches de deux chauffeurs, dont le plaignant, à un commis à l’expédition, ce dernier ayant déjà occupé un poste de chauffeur chez l’employeur et étant en mesure d’accomplir plusieurs autres tâches, comme la gestion du système d’expédition et du travail de bureau.

Quant aux allégations du plaignant relativement à son ancienneté, le TAT note qu’ « en l’absence de politique interne ou de pratique passée dans une entreprise non syndiquée, l’employeur n’a aucune obligation de licencier ses employés par ordre d’ancienneté »[6]. Puis, quant aux prétentions du plaignant à l’effet que son congédiement est dû à ses difficultés relationnelles avec le directeur de la production, le TAT note qu’il ne peut retenir que l’employeur a appliqué partialement le critère de polyvalence à l’égard du plaignant, ces difficultés ayant « pris naissance plus d’un an avant sa mise à pied »[7] et le plaignant n’ayant jamais reçu d’avertissement ou de mesure disciplinaire à cet égard.

Bref, le TAT rejette la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante du plaignant, concluant qu’ « [a]ucun indice ne permet de démontrer que les motifs d’ordre économique et organisationnel invoqués par l’employeur ont pu consister un prétexte visant à camoufler un congédiement déguisé du plaignant »[8], de sorte que ce dernier ne peut bénéficier du recours prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.

Contravention à un protocole d’intervention : l’employeur obtient un transfert de l’imputation des coûts

Dans l’affaire Services préhospitaliers Paraxion inc.[9], le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») conclut qu’il serait injuste d’imputer à l’employeur les coûts de la lésion professionnelle du travailleur alors que les évènements à son origine sont non seulement imputables à un tiers, mais sortent également du cadre normal et habituel de ses activités.

Dans cette affaire, le travailleur, un technicien-ambulancier, subit une lésion professionnelle à l’épaule gauche avec des séquelles permanentes en aidant un policier à maitriser un patient suicidaire non coopératif qui venait d’être extirpé d’une rivière.

Avant d’analyser le bien-fondé de la demande de l’employeur, le TAT rappelle d’abord les conditions qui permettent d’obtenir un transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[10] :

  • La survenance d’un accident du travail;
  • La présence d’un tiers;
  • L’accident du travail est majoritairement attribuable au tiers;
  • Il est injuste d’imputer à l’employeur les coûts découlant de cet accident du travail.

En l’occurrence, les trois premiers critères n’étaient pas contestés, le quatrième critère était particulièrement en litige. Selon la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « Commission »), le dossier en cause ne rencontrait pas suffisamment le caractère d’injustice nécessaire pour faire droit à la demande de transfert de coûts de l’employeur, car la lésion du travailleur découlait des risques inhérents du travail de technicien-ambulancier.

Le TAT rejette cette prétention. Après une revue de la preuve, le TAT conclut que le travailleur a outrepassé ses fonctions en venant en aide au policier pour maitriser le patient agité. Bien qu’il ait été de bonne foi, il a contrevenu aux protocoles d’interventions cliniques relativement aux patients présentant des problèmes psychiatriques. Ces directives précisent clairement que, lorsqu’un technicien-ambulancier fait face à un patient qui refuse de se rendre à l’hôpital, son rôle se limite à tenter de l’en convaincre. Dans l’éventualité où le patient devient agressif ou tente de s’enfuir, le technicien-ambulancier doit faire appel à la police qui est habilitée à user de la force. En aucun cas il ne doit intervenir physiquement auprès d’un patient. Les circonstances de ce dossier revêtent donc un caractère exceptionnel. Au surplus, le TAT note que les transports sans consentement de l’usager qui nécessitent une intervention forcée de la police sont rares dans le cadre des fonctions d’un technicien-ambulancier. Il ne pouvait donc pas retenir que la situation découle des risques inhérents de ce travail comme le prétendait la Commission.

Pour ces motifs, le TAT accueille la demande de l’employeur.

Obligation d’accommodement en milieu de travail : étendue et limites

Dans l’affaire Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 573 et Commission de la construction du Québec[11], la plaignante, une agente de bureau, contestait un congédiement lui ayant été imposé en raison de son incapacité à effectuer l’essentiel de ses tâches et responsabilités.

Le syndicat prétendait que l’employeur avait manqué à son obligation d’individualiser l’accommodement envers la plaignante présentant des limitations fonctionnelles et qu’il n’avait pas été en mesure d’établir l’existence d’une contrainte excessive. L’employeur prétendait quant à lui avoir tenté de trouver une solution adaptée à la condition de la plaignante pendant près de quatre ans, mais sans succès. Il invoquait donc la contrainte excessive.

L’arbitre devait déterminer si l’employeur avait respecté ses obligations découlant de la Charte des droits et libertés de la personne[12], notamment si l’accommodement était suffisamment individualisé. De plus, il devait évaluer l’existence ou non d’une contrainte excessive justifiant une fin d’emploi.

L’arbitre retient que l’employeur a déployé d’importants efforts pour faciliter l’accomplissement des exigences de l’emploi de la plaignante, et ce, avant même de recevoir la confirmation médicale écrite indiquant la présence de limitations fonctionnelles. En effet, des mesures de soutien, de la formation, et une charge de travail allégée, voire réduite à une seule tâche, ont été mises en place. Cependant, malgré ces initiatives, la plaignante n’était toujours pas en mesure d’accomplir les tâches de son emploi de manière satisfaisante, occasionnant des répercussions sur les autres employés.

L’arbitre rappelle les principes établis par la Cour suprême du Canada concernant l’obligation d’accommodement en milieu de travail[13]. Selon ces principes, il ne s’agit pas pour l’employeur d’une obligation de créer un nouvel emploi sur mesure, mais bien d’ajuster, dans la mesure où cela ne représente pas une contrainte excessive, le poste ou les tâches de l’employée afin de faciliter l’exécution de son travail.

En outre, il est important de mentionner que l’employée se devait de participer activement à ce processus d’accommodement. Or, dans la présente affaire, l’arbitre retient que la plaignante a omis de remplir cette obligation de collaboration, attribuant plutôt la responsabilité de ses erreurs à ses collègues. Le climat de travail étant également affecté, il était alors impossible pour l’employeur de composer avec les limitations de la plaignante.

Suivant ce qui précède, l’arbitre conclut que la plaignante a bénéficié d’un accommodement individualisé pendant plusieurs années, dépassant ainsi largement le seuil de la contrainte excessive, et ce, tout en recevant une rémunération complète malgré une prestation de travail jugée insatisfaisante.

Dans ces circonstances, l’arbitre rejette le grief.

Congédié pour s'être approprié une somme d'argent appartenant à une personne en situation d'itinérance

Dans l’affaire Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu[14], le Tribunal d’arbitrage a été saisi de deux griefs, l’un contestant la suspension pour enquête du plaignant, un col bleu œuvrant chez l’employeur depuis 2014, et l’autre son congédiement.

En février 2023, l’employeur a suspendu pour enquête le plaignant pour s’être approprié, lors d’un quart de travail, un sac contenant une somme de 400$ appartenant à une personne en situation d’itinérance et pour avoir failli à son engagement de rapporter la totalité de l’argent lorsque cela lui a été demandé. Le 9 mars 2023, le Plaignant a été congédié pour les mêmes motifs.

Le syndicat a admis lors de l’audience que le plaignant a commis une faute en prenant l’argent. Il a toutefois plaidé qu’il s’agissait d’une erreur de jugement et non pas d’un vol. Il a également soutenu que le plaignant n’avait aucune intention malicieuse. De son côté, l’employeur a plaidé que le plaignant s’est approprié le bien d’autrui, contrevenant ainsi notamment au Code d’éthique et à la directive concernant les biens trouvés. Il allègue également qu’en raison du fait que le plaignant n’a pas rapporté le montant lorsque cela lui a été demandé, le lien de confiance est irrémédiablement rompu et que le congédiement est la seule sanction possible.

Au regard de la preuve administrée, le Tribunal est d’avis que le plaignant s’est bel et bien approprié de l’argent qui appartenait à une personne en situation d’itinérance. Contrairement aux prétentions syndicales, le Tribunal conclut qu’il s’agit d’un geste délibéré, puisqu’après avoir fait preuve d’aveuglement volontaire et d’insouciance, il a persisté dans son entêtement en conservant l’argent malgré avoir été averti par ses collègues. Ce faisant, il a contrevenu au Code d’éthique ainsi qu’à la directive de l’employeur, ce qui constitue une faute grave. De plus, en ne remettant pas la totalité de la somme volée lorsque tel que demandé par l’employeur, il s’agit pour le Tribunal d’une deuxième faute qui s’ajoute à la première.

Bien qu’au moment de prendre l’argent, il ne semblait pas y avoir de préméditation, le Tribunal considère que la décision du plaignant de le conserver revêt une gravité objective équivalente. Suivant ce qui précède et en tenant compte des circonstances aggravantes dans lesquelles a eu lieu l’appropriation de biens, le Tribunal conclut que l’employeur était justifié de congédier le plaignant. L’arbitre retient notamment comme éléments de contexte l’absence d’empathie du plaignant à l’égard de la personne en situation d’itinérance, la vulnérabilité de cette dernière et le manque d’introspection du plaignant à l’égard de son geste.

Pour ces motifs, le Tribunal rejette les deux griefs.