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Droit du travail

Nouvelles décisions en droit du travail : quelles sont-elles ?

Table des matières

Nos avocates et nos avocats en droit du travail vous proposent chaque mois des décisions de différents tribunaux susceptibles d’influencer vos pratiques en milieu de travail. Si ce n’est pas déjà fait, nous vous convions à ce rendez-vous mensuel afin de vous tenir informés de ces éléments d’intérêt pour vous et vos collègues.

Bonne lecture !

Congédié pour avoir acheminé des informations confidentielles à son adresse courriel personnelle

Le Tribunal administratif du travail maintient le congédiement imposé à un représentant commercial d’une entreprise de courtage et de logistique en transport cumulant plus de 20 ans d’ancienneté pour avoir utilisé son courriel professionnel afin d’envoyer des documents confidentiels à son adresse personnelle.

Dans l’affaire, Annesley c. Traffic Tech inc.[1], l’employeur œuvrait dans le domaine du courtage et de la logistique en matière de transport. Le plaignant avait été embauché au mois de janvier 1998, comme représentant commercial. Son travail consistait à vendre des services de transport, d’entreposage et de courtage en douane à des entreprises ayant des besoins en lien avec l’expédition de marchandise en Amérique du Nord.

Par sa plainte déposée le 28 avril 2021, en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, le plaignant alléguait avoir fait l’objet d’un congédiement sans cause juste et suffisante le 4 mars précédent. Bien qu’il ne contestait pas avoir commis les gestes lui étant reprochés par l’employeur, il soutenait que cela ne suffisait pas pour justifier son congédiement. De son côté, l’employeur insistait sur le fait que le dossier du plaignant contenait plusieurs mesures disciplinaires pour des motifs similaires, incluant des avis verbaux, des avis écrits ainsi que des suspensions. Il plaidait essentiellement que la transmission d’informations confidentielles confirmait que le plaignant ne pouvait pas ou ne voulait pas modifier son comportement et que, par conséquent, il n’avait d’autre choix que de procéder à son congédiement.

Le tribunal est d’avis que le geste commis par le plaignant est fautif et l’imposition d’une mesure disciplinaire pour le sanctionner est justifiée. Quant à la sanction applicable, le tribunal affirme que, bien qu’il ne s’agisse pas exclusivement de fautes de même nature, le dossier disciplinaire du plaignant confirme qu’il a été prévenu à plusieurs reprises que son comportement était problématique et qu’il devait le changer, notamment lorsqu’il a été suspendu pour deux semaines, à peine un mois avant le congédiement.

Malgré que l’employeur lui ait alors indiqué clairement qu’il s’agissait de sa dernière chance, le plaignant a envoyé à nouveau des informations confidentielles à son courriel personnel dans les jours suivants son retour au travail, faisant ainsi abstraction de l’avertissement déjà reçu pour des gestes identiques. En prenant en considération les nombreuses années de service du plaignant, le tribunal mentionne que l’employeur était justifié de s’attendre à une pratique irréprochable de la part d’un représentant commercial cumulant une telle expérience et qu’il devrait ainsi connaître l’importance devant être accordée à la protection des informations confidentielles et sensibles comme les prix coûtants, ceux facturés ainsi que les volumes de fret des clients.

Dans les circonstances, le tribunal conclut que le congédiement constitue une sanction appropriée et qu’il a ainsi été imposé pour une cause juste et suffisante.

« Tipflation » : l'employeur a le pouvoir de modifier la configuration des terminaux

La décision de l’Hôtel Four Seasons de modifier la configuration des terminaux de paiement utilisés pour son restaurant et de dorénavant fixer le calcul du pourcentage des pourboires sur le montant total avant taxes de la facture plutôt que sur le montage après taxes, comme c’était la pratique depuis trois ans, a été considérée comme légitime par le tribunal d’arbitrage, bien que celle-ci ait occasionné, pour des serveuses et des serveurs, une baisse de revenus associés aux pourboires[1].

La preuve a démontré que cette nouvelle configuration modifiait la méthode de calcul des pourcentages de pourboires versés par les clients de l’un des restaurants de l’hôtel. Auparavant, le pourcentage des pourboires était calculé à partir du montant de la facture après les taxes alors que la nouvelle configuration calculait dorénavant le pourcentage à partir du montant avant les taxes. Le syndicat a contesté la nouvelle méthode de calcul en invoquant les pertes salariales subies par les serveurs de l’hôtel.

L’arbitre appelée à trancher le grief a d’abord retenu que la convention collective n’encadrait ni directement ni indirectement le montant à partir duquel le pourcentage de pourboires devait être calculé. En l’absence de disposition conventionnelle, l’arbitre a donc conclu que la configuration des terminaux de paiement relevait du droit de gérance de l’employeur. Elle a précisé qu’il n’y avait donc pas lieu de s’immiscer dans la gestion de l’entreprise de l’employeur, sous réserve que la décision prise soit arbitraire, abusive ou déraisonnable.

Dans le cas en litige, l’employeur avait tenu compte de plusieurs facteurs afin de modifier la configuration des terminaux. Il avait notamment voulu uniformiser la méthode de calcul des pourboires qui s’effectuait avant les taxes dans ses autres restaurants de la chaîne d’hôtels et au service aux chambres. Cette décision ne pouvait ainsi être qualifiée d’arbitraire, abusive et déraisonnable.

L’arbitre a également rejeté l’argument du syndicat voulant que la pratique passée empêchait l’employeur de modifier la méthode de calcul des pourboires. Elle a rappelé que l’argument de pratique passée ne peut être invoqué qu’aux fins d’éclaircir un texte ambigu d’une règle conventionnelle écrite. Or, cet argument ne pouvait être retenu puisqu’aucun texte ne prévoyait la méthode de calcul du pourboire. Le grief a donc été rejeté.

Une enquête criminelle considérée imparfaite, mais raisonnable

Deux policiers du Service de police de la Ville de Montréal, acquittés après avoir dû faire face à des accusations criminelles à la suite d’une enquête menée par employeur en lien avec une arrestation qui a mal tourné, n’ont pu obtenir les dommages et intérêts qu’ils réclamaient pour enquête bâclée et atteinte à leur dignité. Bien qu’imparfaite, le tribunal d’arbitrage a conclu que l’enquête était raisonnable[1].

Le tribunal estime que l’enquête ne devait pas répondre à un standard de perfection, mais qu’elle devait répondre à une norme de raisonnabilité évaluée en fonction de la conduite d’un policier normalement prudent, diligent et compétent placé dans les mêmes circonstances à laquelle elle a satisfait, malgré qu’elle contienne quelques imperfections.

En guise de contexte, il faut rappeler qu’en 2012, deux policiers ont fait l’objet de trois chefs d’accusation : voies de fait, menaces de mort et séquestration. Ces chefs faisaient suite à la plainte d’un citoyen qui aurait allégué que les plaignants l’auraient amené sur le Mont-Royal, l’auraient battu et l’auraient laissé sur la montagne. C’est une sergente-détective aux enquêtes spéciales de la division des affaires internes du Service de police de la Ville qui avait été mandatée en 2011 pour effectuer l’enquête criminelle.

À la lumière de la preuve présentée sur 21 journées d’audience, le tribunal conclut que l’enquête criminelle a été menée de bonne foi et de manière suffisamment minutieuse par la sergente-détective. Cette enquête n’était pas de nature à engager la responsabilité civile de la Ville, bien qu’elle n’ait pas été parfaite. D’ailleurs, le tribunal réfère aux différentes lacunes qui ont été soulevées dans l’expertise produite par la partie syndicale.

Il convient de préciser que le syndicat reprochait à la Ville d’avoir mené une enquête criminelle à l’endroit des policiers de manière négligente, incomplète et en contravention des règles de l’art, ce qui aurait conduit à des poursuites criminelles. Il prétendait que, n’eût été les lacunes de l’enquête, aucune accusation n’aurait été déposée contre les policiers. Le tribunal n’adhère pas à ces prétentions. Il rappelle que c’est le procureur de la Couronne assigné au dossier des policiers qui a pris l’ultime décision de déposer les chefs d’accusation à leur encontre à la lumière de l’ensemble de la preuve qui lui a été fournie par l’enquêtrice et des compléments d’enquête qu’il a réclamés par la suite.

La sergente-détective ne peut être tenue responsable de la conduite ou de la décision du poursuivant. La norme de raisonnabilité à laquelle elle est tenue ne lui commande pas de se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence des suspects[2]. Par ailleurs, le tribunal ne pouvait se résoudre à conclure qu’aucune accusation n’aurait été déposée, n’eût été ces lacunes.

Pour ces motifs, le tribunal conclut que les plaignants ne peuvent prétendre à un droit d’être compensé pour le préjudice subi du seul fait qu’ils ont été acquittés ou libérés de certains chefs d’accusation. Bien que ce genre de situations occasionne des désagréments, uniquement des cas exceptionnels peuvent justifier le versement de dommages.

L'entrevue de sélection doit être faite avant l'embauche

En laissant une enseignante enseigner à temps plein au secondaire pendant une période d’environ un mois, le Centre de services scolaires de Montréal a de facto renoncé à son droit d’exiger une entrevue de sélection après coup, a tranché le tribunal d’arbitrage[1].

L’enseignante avait été embauchée le 16 août 2021 dans un poste à temps plein menant à sa permanence, lequel était sujet à la réussite d’une entrevue de sélection. L’employeur prétendait qu’il avait jusqu’au 1er décembre 2021 pour lui faire passer cette entrevue. Or, considérant que l’enseignante s’était absentée pour cause de maladie en octobre 2021 sans avoir passé l’entrevue, l’employeur avait transformé l’affectation en contrat en temps partiel, signifiant qu’elle quittait le cheminement menant à sa permanence.

L’arbitre conclut que la décision de l’employeur était déraisonnable. En effet, l’employeur a transformé ce qui doit être une entrevue de sélection, donc avant l’embauche, en entrevue d’évaluation du travail. Ce faisant, l’employeur a ajouté à la convention collective.

L’arbitre retient ainsi la position du syndicat selon laquelle une telle entrevue doit se faire en amont, c’est-à-dire avant l’embauche. Le but même de l’entrevue est de voir si l’enseignant a la formation requise et s’il est prêt à enseigner. Le fait de retarder potentiellement jusqu’au mois de décembre la tenue de cette entrevue de sélection signifierait qu’après trois mois d’enseignement, l’employeur pourrait conclure que la personne choisie n’a pas la formation requise ou qu’elle n’est pas prête.

Or, en enseignant pendant un mois, il faut conclure que l’enseignante a démontré qu’elle remplissait ce qui est recherché par l’entrevue de sélection.

Par ailleurs, l’employeur avait soulevé un argument en lien avec une pratique passée, lequel n’a pas été retenu par l’arbitre.

Pour ces motifs, l’arbitre a accueilli le grief et a ordonné à l’employeur d’octroyer à l’enseignante son poste régulier tel que confirmé le 16 août 2021.