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Expropriation déguisée : un propriétaire perd son pari

Table des matières

Un citoyen désireux de réaliser un projet résidentiel sur un terrain qui ne permettait pourtant que les usages de parc et de récréation au moment de son achat s’est vu refuser par la Cour d’appel du Québec sa demande de dédommagement en expropriation déguisée adressée à la Ville de Sorel-Tracy. Le citoyen a interpellé le plus haut tribunal du pays afin de faire tomber la décision. En vain. Sa demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada a été rejetée le 20 avril 2023.

Avant de s’adresser aux tribunaux, le citoyen avait tenté par trois fois, sans succès, de faire modifier le zonage de sa nouvelle propriété.

Robitaille c. Ville de Sorel-Tracy : le propriétaire qui perd son pari ne peut pas invoquer l’expropriation déguisée

En 2022, l’arrêt Dupras[1] de la Cour d’appel du Québec aura été un arrêt important en matière d’expropriation déguisée. La Cour y résume de manière concise les principes aux contours parfois fuyants développés en jurisprudence québécoise[2]. Certains prétendront que le passage suivant confère un droit automatique à une indemnité d’expropriation dès qu’un règlement affectant un immeuble est restrictif :

[28]      L’expropriation déguisée peut résulter du seul fait d’un règlement restrictif ou de la conjugaison d’un tel règlement et d’une appropriation physique. Chaque cas repose sur les circonstances propres de l’espèce et, en ce sens, l’existence d’une expropriation déguisée constitue une question de fait ou au mieux une question mixte. Notre Cour n’interviendra qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante.

[notre emphase]

Cependant, l’arrêt Robitaille[3], rendu quelques mois plus tard, nous apporte à lire un peu plus loin, et de tenir compte du fait que « [c]haque cas repose sur les circonstances propres de l’espèce et, en ce sens, l’existence d’une expropriation déguisée constitue une question de fait ou au mieux une question mixte ».

  1. Robitaille avait acheté un terrain à l’occasion d’une vente pour non-paiement de taxes. Au moment de son achat, le règlement de zonage applicable ne permettait que les usages de parc et de récréation et le plan d’urbanisme prévoyait une affectation publique et institutionnelle. Ayant l’ambition de réaliser un projet résidentiel sur son terrain, il présentera, sans succès, trois demandes de changement de zonage. À la suite du troisième refus de modifier le zonage, M. Robitaille mettra la Ville en demeure de modifier le règlement de zonage, à défaut de quoi il entreprendra un recours en expropriation déguisée. Peu après, une demande introductive d’instance en expropriation déguisée est effectivement signifiée à la Ville. Or, une demande en irrecevabilité sera accueillie[4], rejetant le recours à sa face même[5].

Dans le jugement de première instance, le juge Vaillancourt relève que le demandeur n’explique aucunement, dans sa demande introductive d’instance, les motifs qui l’ont poussé à acheter le terrain. Il n’avait eu aucune discussion avec la Ville avant de procéder à l’achat. Ainsi, il faut conclure que l’acheteur avait espoir que la Ville modifie son règlement de zonage.

Cependant, acheter avec l’espoir infondé qu’un changement du règlement de zonage permette un jour de construire ne permet pas au demandeur, une fois cet espoir anéanti, de plaider l’expropriation déguisée et d’obtenir une indemnité[6]. Bref, le juge de première instance constate que « le demandeur a perdu son pari »[7].

Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel ayant déterminé que l’acheteur qui procède à l’acquisition d’un terrain affecté de restrictions en toute connaissance de cause ne peut prétendre qu’il y a expropriation déguisée[8].

La décision du juge Vaillancourt sur la demande en irrecevabilité sera portée en appel par M. Robitaille[9]. Il plaidera alors qu’en se portant acquéreur du terrain, il serait devenu le nouveau créancier d’une indemnité d’expropriation déguisée :

[17]      Devant la Cour, l’appelant plaide que sa connaissance du règlement de zonage au moment de l’achat ne fait pas échec à son recours. Il soutient qu’une municipalité qui, par règlement, supprime tout usage raisonnable d’un terrain a l’obligation de verser une juste indemnité en fonction de la valeur du terrain avant le changement de zonage et que cette obligation ne disparaît pas lorsque le terrain est vendu. Le nouveau propriétaire, selon lui, en devient plutôt le nouveau créancier.

La Cour d’appel ne retiendra pas cet argument, décidant que l’adoption d’un règlement de zonage ayant pour effet d’empêcher tout usage raisonnable d’un terrain peut conférer à celui qui en est alors propriétaire le droit d’être indemnisé, mais qu’il s’agit là d’un droit personnel et non d’un droit réel. En l’espèce, le fait demeure que M. Robitaille avait acheté le terrain en toute connaissance de cause et qu’il avait échoué à faire modifier le règlement de zonage. Il n’en résulte pas un droit d’exiger que la Ville rachète le terrain et l’indemnise.

Suivant l’analyse de l’arrêt Robitaille, il faut conclure que la seule existence d’une réglementation restrictive ne donne pas un droit automatique à quiconque de se réclamer une indemnité en expropriation déguisée. Il faut plutôt se pencher sur les circonstances particulières de chaque affaire afin de déterminer s’il y a « [un] acte qui a pour effet de déposséder un particulier ou une entreprise d’un bien ou d’enlever pratiquement toute possibilité d’usage d’un bien’ »[10].