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Travail et emploi

Droit du travail: quelles décisions récentes influencent votre quotidien?

Table des matières

Lisez la sélection des décisions récentes et importantes en droit du travail préparée par les avocates et les avocats de Bélanger Sauvé.

Propos controversés en réunion : congédiement annulé, suspension ordonnée

Des mots controversés lors d’une réunion départementale ont coûté son poste à un professeur de philosophie du Cégep Édouard-Montpetit. Mais, devant 27 ans d’ancienneté et un dossier vierge, le tribunal d’arbitrage a tranché : la mesure de congédiement était disproportionnée, mais une longue suspension était justifiée.

Dans l’affaire Syndicat des professeures et des professeurs du Cégep Édouard-Montpetit et Cégep Édouard-Montpetit[1], l’arbitre de grief devait statuer sur la légitimité du congédiement imposé à un professeur de philosophie ayant 27 ans d’ancienneté, en raison de son attitude et de propos tenus lors d’une rencontre à laquelle assistaient les membres de son département, une déléguée syndicale et deux membres de la direction.

Il appert de la preuve présentée devant le tribunal que cette rencontre, tenue le 15 décembre 2021, était l’aboutissement d’un long processus visant à améliorer le climat de travail au sein du département de philosophie. Selon l’employeur, l’attitude, les comportements et les propos du plaignant lors de cette rencontre ont constitué de l’insubordination, de la déloyauté, de l’intimidation, de la violence et de l’incivilité à l’égard de sa déléguée syndicale et de son supérieur immédiat. Notamment, il était reproché au plaignant d’avoir interpellé de manière agressive sa déléguée syndicale en plus d’avoir laissé sous-entendre que la direction n’avait pas la compétence nécessaire afin d’intervenir au sein du département et que les membres de celui-ci n’avaient plus confiance en elle. Le plaignant avait également visé personnellement le directeur adjoint, présent à la rencontre, en affirmant que le département ne pouvait plus continuer à travailler avec lui.

De son côté, le syndicat fait valoir que les faits reprochés au plaignant n’ont pas été prouvés, que la décision de congédier le plaignant a été prise sans cause juste et suffisante et que les propos du plaignant étaient protégés par la liberté d’expression.

Au regard de la preuve, le tribunal retient en partie les reproches formulés par l’employeur, à savoir que lors de la rencontre du 15 décembre 2021, le plaignant bougeait et échangeait des regards avec des collègues pendant la présentation et qu’il a fait valoir l’absence de confiance du département à l’égard du directeur adjoint, lequel était d’ailleurs présent à la rencontre. De plus, le tribunal retient que le plaignant a adopté une conduite vexatoire à l’endroit de la déléguée syndicale, en l’ayant interpellée de manière agressive par son ton et ses gestes. Cela dit, comme il s’agit d’un acte isolé et que celui-ci ne revêt pas la gravité nécessaire, il ne peut être considéré comme du harcèlement psychologique.

Entourant la question de la liberté d’expression évoquée par la partie syndicale, le tribunal rejette cet argument et conclut que les propos du plaignant ne visaient pas le bien-être général des citoyens du Québec ou un sujet d’intérêt public. De plus, ses propos ont eu des répercussions psychologiques tant pour le directeur adjoint que pour la déléguée syndicale. En outre, le tribunal souligne que la portée de ses paroles était prévisible pour un enseignant de philosophie ayant son expérience et sa formation.

Enfin, quant au caractère raisonnable du congédiement, le tribunal souligne comme étant des facteurs atténuants le dossier disciplinaire vierge du plaignant ainsi que ses 27 ans d’ancienneté. Aussi, bien que le plaignant ne semble pas comprendre pleinement que ses faits et gestes à l’encontre de la déléguée syndicale ont dépassé l’acceptable et que la preuve ait révélé un manque de loyauté à l’égard de l’employeur, le tribunal considère que le lien de confiance n’a pas été rompu et que le risque de récidive est plutôt faible. Le tribunal insiste particulièrement sur le fait que l’employeur n’a jamais sévi par le passé à l’encontre du plaignant, alors qu’il a été démontré que des situations similaires impliquant ce dernier étaient fréquentes, et qu’à aucun moment durant la rencontre du 15 décembre 2021, les membres de la direction présents n’ont avisé le plaignant que ses propos étaient inadéquats.

Suivant ce qui précède, le tribunal annule le congédiement imposé par l’employeur et y substitue une suspension de six mois.

Harcèlement sexuel en contexte d’activités syndicales : l’employeur peut intervenir

Le tribunal a donné raison à l’employeur ayant imposé une suspension disciplinaire au président d’un syndicat du Centre intégré et des services sociaux de la Gaspésie qui aurait commis diverses inconduites sexuelles envers sept femmes dans le contexte d’activités syndicales, et a déclaré légitimes son pouvoir d’enquête de même que la sanction disciplinaire imposée.

Dans l’affaire CSN-Syndicat du personnel de bureau du CISSS de la Gaspésie et Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie[1], l’arbitre de grief devait statuer sur la légitimité d’une suspension avec solde pour fins d’enquête et d’une suspension disciplinaire sans solde de trois mois imposées au président du syndicat en raison de diverses inconduites sexuelles envers sept femmes, dont six salariées. Le syndicat avait invoqué plusieurs moyens préliminaires remettant en cause le pouvoir d’intervention de l’employeur considérant le contexte dans lequel les gestes reprochés étaient survenus. La preuve démontrait que les événements ayant mené à l’imposition des suspensions avaient eu lieu dans le cadre d’activités syndicales.

Le tribunal rappelle d’abord qu’un rôle prépondérant est dévolu à l’employeur à l’égard du milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et sexuel qu’il doit offrir à ses salariés. À cette fin, il se doit d’enquêter et d’intervenir, qu’une plainte formelle ait été déposée ou non. Analysant le moyen préliminaire soulevé par le syndicat, le tribunal conclut qu’il existait un lien de rattachement entre le milieu de travail et la conduite reprochée au plaignant :

[56] Toutes les personnes concernées par les allégations en litige sont à la base des personnes salariées de l’Employeur au moment des événements en litige, à l’exception de Marie Pagès qui est représentante syndicale pour la FSSS. Leur rémunération leur est versée par l’Employeur. Certaines d’entre elles font l’objet parfois de libérations syndicales dont les modalités sont alors encadrées par la convention collective. Même dans ce cas, elles sont rémunérées par l’Employeur. Elles sont libérées pour poser diverses actions syndicales visant toutes la négociation et l’application des conditions de travail chez l’Employeur. En cela, elles contribuent à la réalisation de la mission de l’établissement. C’est le travail qui unit entre elles les personnes libérées syndicalement et rien d’autre. Souvent, leurs actions sont exercées à même des locaux dans l’établissement qui sont mis à leur disposition par l’Employeur en application de la convention collective.

Bien que le syndicat ait invoqué la protection législative et quasi constitutionnelle dont jouissent les activités associatives, il a été déterminé que les manquements reprochés relevaient d’initiatives personnelles de la part du plaignant, n’ayant aucun lien avec le travail et les aspirations légitimes d’un syndicat. L’immunité relative d’un représentant syndical n’était d’ailleurs d’aucun secours considérant que celle-ci doit être levée lorsque les agissements sont illégaux ou préjudiciables. Le tribunal retient ainsi qu’une conduite harcelante n’est pas protégée par l’immunité relative des représentants syndicaux.

De plus, il a été déterminé que les événements survenus dans la sphère privée du plaignant et des salariées concernées pouvaient faire l’objet d’une enquête par l’employeur, considérant que ces événements avaient eu un effet néfaste sur l’entreprise et le climat de travail. Plusieurs salariées avaient adopté des pratiques d’évitement afin de fuir la présence du plaignant en milieu de travail. Une salariée avait également quitté en invalidité pendant une période importante, notamment en raison des agissements du plaignant.

Considérant les obligations en matière de harcèlement psychologique incombant à l’employeur, le tribunal conclut que ce dernier pouvait valablement enquêter sur les événements qui s’étaient produits lors d’activités syndicales ou qui relevaient de la sphère privée en raison des conséquences sur le milieu de travail. La suspension pour fins d’enquête ainsi que la suspension disciplinaire ont été maintenues par le tribunal qui a insisté sur la gravité des gestes posés et le manque de regrets sincères du plaignant.

Processus de sélection interne sur les heures de travail : les salarié(e)s ont droit à leur rémunération

Le tribunal a déclaré nulle une note de service du Centre de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent qui avait pour but d’annoncer le refus de rémunérer les personnes salariées pour leur participation aux processus de sélection internes lorsqu’elles étaient convoquées durant leur temps de travail.

Dans l’affaire APTS et Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent (CISSS du Bas-Saint-Laurent)[1], l’arbitre de grief était saisi d’un litige concernant le traitement devant être versé aux salariés lors de leur participation à des processus de sélection.

L’employeur refusait de rémunérer les salariés pour leur participation aux processus de sélection internes, et ce, même s’il les convoquait durant leur temps de travail. L’employeur leur donnait la possibilité de prendre un congé, de recourir à leur banque de temps, de réaménager leur temps de travail avec leur supérieur immédiat ou encore d’accepter une baisse de leur rémunération. Une note de service à cet effet avait d’ailleurs été diffusée.

Le tribunal conclut que l’employeur a de ce fait contrevenu à la convention collective. Il retient que le droit d’un salarié de présenter sa candidature est prévu à la convention collective et que les salariés sont convoqués à des entrevues – dont la durée est déterminée par l’employeur – pendant leurs heures de travail.

Par ailleurs, le tribunal rejette l’argument de l’employeur selon lequel les mutations sont volontaires et permettent aux salariés différentes opportunités tant personnelles que professionnelles. En effet, ces processus visent à combler les besoins organisationnels de l’employeur et sont conventionnés. Les règles de mutations volontaires font donc partie de la liste des matières négociées.

Le tribunal conclut que l’employeur ne pouvait exercer ses droits de direction dans la conduite d’un processus de sélection en ayant comme résultat que le salarié ne reçoive pas le salaire afférent au poste qu’il occupe.

Ainsi, il accueille le grief et déclare la note de service de l’employeur nulle et sans effet.

Congédiement cavalier et imprévisible de l’employeur : un abus de droit, tranche la Cour d’appel

Un vice-président sénior des opérations de la société publique Patrao, qui s’est fait congédier d’une manière cavalière par téléphone à son retour de vacances sous prétexte qu’il ne correspondait plus à la culture d’entreprise, a été victime d’abus de droit, tranche la Cour d’appel du Québec, qui condamne son ancien employeur à lui verser 20 000 $ à titre de dommages moraux.

Dans l’affaire Tecsys inc. c. Patrao[1], l’appelante, une société publique œuvrant dans le domaine du développement, de la vente et de l’installation de logiciels de gestion des chaines d’approvisionnement, a porté en appel le jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie la réclamation de l’intimé pour des montants lui étant dus à la suite de son congédiement.

Les faits à l’origine de ce litige sont les suivants. L’intimé a été embauché chez l’appelante en 2013 comme vice-président sénior des opérations. Il était alors performant et contribuait significativement à la croissance de l’entreprise. Deux ans plus tard, il a été promu au poste de vice-président principal des opérations globales et a continué d’être un atout majeur pour le développement des activités de l’appelante. En 2017, de retour de vacances, l’intimé s’est fait congédier par l’appelante d’une manière cavalière par téléphone, sous prétexte qu’il ne correspondait plus à la culture d’entreprise. L’intimé n’avait pourtant jamais été avisé d’une quelconque problématique au cours de son emploi. Au surplus, en cours de négociation des modalités de départ, l’appelante s’est ravisée à fournir une lettre de recommandation à l’intimé. Cette offre devenait conditionnelle à ce que l’intimé accepte l’offre de règlement proposée. Nous précisons ici qu’il s’agissait d’un congédiement sans motif sérieux.

La Cour d’appel était appelée à se prononcer sur trois aspects de la décision de première instance, à savoir la durée du délai de congé, le versement de dommages pour abus de droit et pour abus de procédure.

Relativement au premier aspect, la Cour d’appel conclut que le délai de congé d’une durée de 13 mois accordé en première instance est raisonnable. Bien que le juge de la Cour supérieure ait commis une erreur en retenant comme facteur pertinent le refus de l’appelante de fournir une lettre de recommandation, cette erreur ne justifiait pas une intervention de la Cour d’appel pour revoir à la baisse la durée du délai de congé. Elle rappelle par ailleurs qu’un délai de congé a une vocation « indemnitaire » et la durée raisonnable de celui-ci ne doit pas être allongée en raison des fautes ou des comportements de mauvaise foi de l’employeur. Ces dommages doivent être traités de façon distincte.

La Cour d’appel estime aussi que la Cour supérieure n’a pas erré en considérant le manque de transparence de l’appelante et l’état du marché de l’emploi dans le calcul du délai de congé. Le manque de transparence qui a été considéré renvoie à la difficulté dans laquelle s’est retrouvé l’intimé de se trouver un nouvel emploi alors qu’il n’avait pas d’explication raisonnable pouvant justifier son congédiement.

Concernant le deuxième aspect, la Cour d’appel estime que le montant de 20 000$ accordé au titre de dommages moraux pour abus de droit est adéquat à la lumière du raisonnement de la Cour supérieure. Elle conclut que l’appelante a exercé son droit de congédier de manière abusive en mettant fin à l’emploi de l’intimé de manière soudaine et imprévisible sans l’avoir avisé au préalable d’une quelconque insatisfaction. Elle évoque également que le refus de remettre une lettre de recommandation dans les circonstances constitue de la mauvaise foi qui pouvait être considérée dans le calcul des dommages moraux.

Quant au troisième aspect, soit l’abus de procédure, le juge de première instance avait conclu que l’appelante avait commis un abus de procédure en maintenant des moyens de défense et des questions en litige dans ses procédures qui ne concordaient pas à l’aveu formel exprimé au tribunal quelques jours avant le procès. La Cour d’appel estime que la preuve ne permet pas de soutenir une telle conclusion. Elle infirme alors cet aspect de la décision de première instance et annule le versement de dommages de 20 000 $ pour abus de procédure.

Pour ces motifs, l’appel est donc accueilli en partie.