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Droit du travail - bulletin 72
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Table des matières

Menaces et intimidation dans le cadre d’une campagne de syndicalisation chez Starbucks

Le 15 novembre dernier, le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») a eu à décider si l’employeur, une succursale des restaurants Starbucks, avait enfreint les articles 12 et 13 du Code du travail[1] dans le cadre d’une campagne de syndicalisation par le syndicat des employé-es de la restauration – CSN (ci-après « syndicat »)[2].

C’est au printemps 2023 que le syndicat a débuté sa campagne de syndicalisation en champ libre afin de représenter les employés d’une succursale du Starbucks. Le syndicat a déposé une requête en accréditation le 19 juillet 2023 et alléguait avoir agi précipitamment en raison de l’entrave, de menaces et de l’intimidation exercées par une représentante de l’employeur à l’égard de trois salariés. Celle-ci occupait le poste de gérante de soir et de fin de semaine et était la supérieure immédiate des trois salariés s’étant plaints de son comportement.

À ce titre, il a été mis en preuve par le syndicat que dans les jours précédents le dépôt de la requête en accréditation, la gérante a discuté avec deux salariés de la syndicalisation. Puis, dans les jours suivant le dépôt de la requête en accréditation, la gérante a informé un salarié que la directrice de la succursale se sentait trahie et a mentionné que « c’est la panique » du côté de l’employeur. Elle a ajouté qu’une fermeture comme celle survenue au Walmart de Jonquière n’était pas exclue dans les circonstances et qu’il serait moins agréable de travailler dans un environnement syndiqué puisque les gestionnaires seraient moins ouverts à accorder des demandes de congés. D’autres commentaires au même effet ont été faits par la gérante à d’autres employés.

Suivant ce qui précède, le TAT conclut que la preuve est sans équivoque et qu’elle démontre qu’il y a eu entrave aux activités syndicales, puisque les paroles prononcées par la gérante de la succursale avaient pour but de mettre des bâtons dans les roues du syndicat. De même, le TAT conclut qu’il y a eu de l’intimidation au sens de l’article 13 du Code du travail de la part de la gérante de la succursale, qui a intimidé et menacé des salariés afin qu’ils s’abstiennent de devenir membre du syndicat.

Suivant ces éléments, le TAT conclut qu’il y a eu une atteinte illicite et intentionnelle au droit d’association prévu à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne[3] et accorde un montant de 5 000,00 $ à titre de dommages punitifs, contrairement à la somme de 10 000,00 $ réclamée par le syndicat. À ce sujet, le TAT retient que la gérante de la succursale n’avait discuté qu’avec trois salariés du processus de syndicalisation, alors que l’unité de négociation en comptait environ une quarantaine.

Lettres d’ « attentes signifiées » envoyées par l’employeur à ses salariés: mesures disciplinaires abusives ou mesures administratives?

Dans cette affaire[4], l’arbitre conclut qu’en imposant aux plaignants des mesures disciplinaires déguisées sous le couvert de lettres d’ « attentes signifiées » qu’il qualifie de mesures administratives, l’employeur a traité les plaignants de façon inéquitable et a exercé son droit de direction de façon abusive, ce qui donne lieu à l’octroi d’une compensation pour les préjudices subis par les plaignants.

Pendant la pandémie de la COVID-19, des enseignants d’une école secondaire exposent, dans un local d’enseignants, deux affiches en carton sur lesquelles sont griffonnées des citations, expressions vulgaires et/ou moqueries. La direction de l’école prend connaissance de l’existence de ces affiches, mais surtout des propos qui y sont griffonnés, puis les retire des murs du local d’enseignants et les confisque. De nouvelles affiches sont alors exposées par les enseignants, puis à nouveau retirées par la direction.

Certains des enseignants, qui n’ont pas participé à l’affichage des pancartes et qui n’ont pas griffonné sur celles-ci, interviennent auprès de la direction de l’école pour la questionner au sujet du retrait des affiches des murs du local ou pour réclamer que les affiches soient remises aux enseignants. Quatre de ces enseignants se font envoyer des lettres – qui ne sont pas déposées à leur dossier – dans lesquelles il leur est rappelé par la direction en quoi consistent les attentes du centre de services scolaire en matière d’éthique et dans lesquelles il leur est demandé « d’avoir des communications empreintes de respect avec tous, notamment l’équipe de direction »[5] et « d’apporter les ajustements nécessaires (…) afin d’assurer un environnement de travail sain pour tous »[6].

Le syndicat conteste ces lettres pour le compte des quatre enseignants, invoquant que ces lettres constituent des mesures disciplinaires et non administratives et que la procédure d’imposition d’une mesure disciplinaire n’a pas été respectée par l’employeur, de sorte que les lettres doivent être annulées. Le syndicat allègue également que l’employeur a abusé de ses droits et réclame ainsi du tribunal qu’il accorde aux plaignants une compensation pour les préjudices subis.

L’arbitre note notamment que les lettres reprochent aux plaignants des agissements que l’employeur n’a pas hésité à qualifier d’insubordination, que les lettres traduisent la volonté claire de l’employeur d’exprimer des remontrances à l’endroit des plaignants et qu’il est évident que l’employeur a inféré dans les lettres que les plaignants avaient manqué de respect à l’égard de la direction, de sorte que les lettres sont des mesures disciplinaires et non administratives. La procédure pour imposer des mesures disciplinaires n’ayant pas été respectée par l’employeur, l’arbitre annule les lettres envoyées aux plaignants.

Par ailleurs, l’arbitre note que les mesures disciplinaires imposées aux plaignants sont déraisonnables, aucun des plaignants n’ayant manqué de respect, ces derniers ayant seulement fait valoir une position contraire à celle de la direction. Bien qu’il exclut que l’employeur ait exercé son droit de gérance de façon malicieuse, dans l’intention de nuire aux plaignants ou de mauvaise foi, l’arbitre écrit que dans sa manière de faire, l’employeur a fait preuve d’iniquité envers les plaignants, qu’il a manqué de prudence et de diligence dans l’exercice de ses droits de gestion, ayant abusé de ses droits, ce qui donne ouverture à l’octroi de dommages.

Bref, l’arbitre accueille les griefs, déclare nulles les lettres d’ « Attentes signifiées » et réserve sa compétence pour déterminer toute compensation payable aux plaignants pour réparer les préjudices subis, le cas échéant.

Un arbitre de grief a tranché une divergence d’interprétation quant au taux de rémunération du temps supplémentaire effectué une journée de fin de semaine par des salariés à l’occasion du jour de noël ou du jour de l’an

Dans l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent[7], le litige opposant l’employeur et le syndicat portait essentiellement sur une divergence quant à l’interprétation de la convention collective concernant le taux de rémunération du temps supplémentaire effectué par des salariés le jour de Noël ou le jour de l’An, lorsque ces congés fériés tombent une journée de fin de semaine.

La disposition de la convention collective traitant de la rémunération stipule en l’espèce que le salaire régulier d’un salarié qui travaille le 25 décembre ou le 1er janvier est majoré de 50 %. Dans la présente affaire, la divergence de vues entre les parties reposait davantage sur le taux applicable sur ce salaire augmenté lors de ces deux journées.

Dans son argumentation, le syndicat a invoqué la clause sur le temps supplémentaire prévue à la convention collective et dont le second alinéa prévoit un taux double de salaire quand il est effectué durant un congé férié. Selon lui, c’est cette disposition qui doit trouver application en l’espèce.

De son côté, l’employeur a expliqué que la convention collective prévoit 13 congés fériés. Chaque année, il fournit une liste qui distingue le jour férié de la date où il sera chômé qui, elle, est toujours un jour ouvrable rapproché de la fin de semaine. Ainsi, lorsque les fêtes de Noël et du jour de l’An surviennent un samedi ou un dimanche, elles sont chômées le lundi suivant. Dans le présent cas de figure, l’employeur a soutenu que c’est plutôt la règle générale du temps supplémentaire qui prévaut et que pour adopter le taux double, il faudrait que le temps supplémentaire soit travaillé lors de la journée chômée de la semaine qui est associée à Noël ou au jour de l’An.

Après avoir analysé la notion de « congé férié » prévue à la convention collective, l’arbitre est d’avis qu’on ne peut décider que Noël et le jour de l’An ne peuvent être observés respectivement que le 25 décembre et le 1er janvier. De même, il soutient qu’on ne peut interpréter que Noël et le jour de l’An sont des congés fériés le samedi et le dimanche, tout en étant reportés au lundi suivant. Ce serait, aux dires de l’arbitre, leur accorder une sorte de double statut que la convention ne prévoit pas.

Suivant ce qui précède, le Tribunal conclut que l’application de la convention fait en sorte que le congé férié se place lors d’un jour ouvrable de semaine. Ainsi, lorsque Noël et le jour de l’An surviennent un samedi ou un dimanche, ils seront nécessairement repris dans la semaine qui suit. Durant la fin de semaine, c’est donc la règle générale du taux supplémentaire, et non du taux double, qui s’ajoute au salaire déjà augmenté pour ces fêtes.

Dans ces circonstances, le Tribunal rejette le grief déposé par le Syndicat.

Services essentiels : un employeur peut réduire les temps de pauses en période de grève

Il est légitime pour un employeur administrant des services essentiels de réduire la durée des temps de pause des salariés en grève au prorata du temps de travail nécessaire au maintien des services essentiels.

C’est ce que conclut le Tribunal administratif du travail (ci-après le « Tribunal ») dans l’affaire FIQ et Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais[8]. Dans cette affaire, le syndicat avait transmis un avis de grève d’une durée de deux jours. Au terme de la première journée, le syndicat saisit le Tribunal notamment d’une demande d’intervention urgente alléguant que l’employeur avait modifié unilatéralement les conditions de travail des salariés en réduisant la durée de leurs pauses pendant la grève en contravention de la convention collective et des dispositions du Code du travail. Selon lui, cette pratique est illégale, car elle allonge indument la prestation de travail des salariés en grève. L’employeur, quant à lui, s’est opposé à cette demande en présentant un moyen préliminaire rejetant la compétence du Tribunal d’entendre l’affaire. Selon lui, la demande du syndicat vise uniquement la durée des pauses ce qui relève de la compétence de l’arbitre de grief.

Le Tribunal rejette cette objection. Il soutient que le respect de la liste de services essentiels relève de sa compétence exclusive, et c’est précisément l’objet de l’affaire dont il est saisi.

Quant au fond du dossier, le Tribunal rejette les prétentions syndicales. Il constate qu’au contraire, la pratique de l’employeur n’enfreint ni le temps de grève des salariés ni la durée de leur présence au travail. L’ajustement du temps de pauses permet simplement de respecter le temps de travail nécessaire au maintien des services qu’il a déterminé dans une décision antérieure[9]. Cet ajustement était nécessaire pour assurer l’administration de services essentiels afin d’assurer la santé et la sécurité du public. Dans ces circonstances, il ne peut non plus constituer une modification unilatérale des conditions de travail en vertu l’article 111.11 du Code du travail, comme le prétend le syndicat. Le Tribunal souligne par ailleurs que cette décision ne doit pas être interprétée comme légitimant les employeurs de retirer totalement les temps de pause durant les périodes de grève.

Pour ces motifs, le Tribunal rejette la demande du syndicat.