Fermer
Recherche:
Publications
Travail et emploi
Arbitrage de griefs et de différends
Congédiement et mesures disciplinaires
Droit du travail
Négociation de conventions collectives

Droit du travail et de l’emploi – Déc. 2021

Auteur(e)

Table des matières

Covid, décrets et force majeure

Dans l’affaire Syndicat démocratique des salariés du Château Frontenac et Fairmont Le Château Frontenac[1], l’employeur avait fait défaut d’aviser ses salariés au moins 48 heures d’avance d’une modification unilatérale des horaires de travail. Le syndicat réclamait pour cette raison une indemnité tel que prévu à la convention collective.

L’employeur allègue qu’il n’a pas été en mesure d’aviser les salariés à temps en raison d’une force majeure, soit l’adoption du décret gouvernemental 489-2021 ordonnant notamment la fermeture des restaurants. Ce décret, annoncé le 31 mars 2021 à compter de 17h00, est entré en vigueur le 1er avril suivant à 20h00, empêchant ainsi l’employeur de respecter l’avis préalable prévu à la convention collective. Pour sa part, le syndicat argumente que les conditions applicables à une telle force majeure ne sont pas satisfaites puisque l’employeur n’était pas réellement empêché d’exécuter son obligation.

Dans son analyse, l’arbitre Roy examine les conditions à remplir pour conclure à l’existence d’une force majeure :

1. Extériorité

De l’avis de l’arbitre, ce critère est satisfait puisque l’employeur n’a aucunement pris la décision de fermer son établissement. Il n’a d’ailleurs pas été consulté sur cette question qui ne dépend pas de sa volonté, mais bien d’un « ordre émanant d’une autorité politique[2] ».

2. Irrésistibilité

Le Tribunal administratif du travail (ci-après : « TAT ») considère également que cette condition est respectée puisque le décret gouvernemental n’octroyait aucune marge de manœuvre à l’employeur relativement à la possibilité d’offrir des services. À compter du 1er avril à 20h00, l’employeur était simplement dans l’obligation de fermer le restaurant.

3. Imprévisibilité

À l’égard de ce critère, le syndicat soutient que l’employeur pouvait prévoir la fermeture des restaurants en raison des nombreuses fermetures précédentes liées à la pandémie. Le TAT ne partage pas ce point de vue et juge que l’employeur ne pouvait anticiper la fermeture imminente des restaurants à la lumière des faits. Il ajoute que tout gestionnaire responsable dans la même situation n’aurait pas pris l’initiative d’annuler les quarts de travail pour la seule raison de la hausse des cas de Covid-19.

4. Impossibilité d’agir

L’arbitre conclut que ce dernier critère est également satisfait en raison de la situation exceptionnelle qui empêchait « totalement » l’employeur d’exécuter son obligation contractuelle.

En conclusion, le TAT rejette le grief puisque l’adoption par le gouvernement du décret 489-2021 constituait une force majeure empêchant l’employeur d’exécuter son obligation prévue à la convention collective.

La rétrogradation et le respect des critères de l'arrêt Costco

Dans l‘affaire Fraternité des policiers et policières de Repentigny et Ville de Repentigny[3], l’employeur annule l’assignation temporaire d’une policière au poste d’agent sociocommunautaire et retire son nom de la liste d’éligibilité à ce poste en justifiant que la présence de celle-ci dans l’équipe nuit grandement au climat de travail et qu’elle entraine des problèmes relationnels impactant l’esprit d’équipe. L’arbitre Massicotte devait alors déterminer si l’employeur pouvait agir de la sorte compte tenu des critères jurisprudentiels qui s’imposent dans de telles circonstances.

Dans un cas d’imposition d’une mesure administrative comme une rétrogradation, le comportement de l’employeur doit s’analyser en fonction des cinq critères établis par la Cour d’appel dans l’arrêt Costco[4]: le salarié doit connaitre les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard, ses lacunes doivent lui être signalées, il doit obtenir le support pour se corriger, il doit bénéficier d’un délai raisonnable pour s’ajuster et il doit être prévenu des risques de mesures à défaut d’amélioration.

Dans son analyse des exigences de l’arrêt Costco, l’arbitre précise que seul le premier critère a été respecté. L’employeur a rencontré la plaignante avant son assignation afin de lui demander d’améliorer ses relations interpersonnelles avec les membres de son équipe. Toutefois, la preuve ne révèle pas de mention de rencontres formelles avec la plaignante ayant pour but de l’avertir de problèmes ciblés avec ses collègues. On ne lui a jamais présenté l’évaluation où on lui découvre tous ses travers, dont des comportements inadéquats qui pouvaient potentiellement miner la confiance des intervenants du milieu scolaire. Conséquemment, elle n’a pas pu obtenir le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs et elle n’a pas bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster. On ne l’a d’ailleurs jamais prévenue des conséquences à défaut d’amélioration.

L’arbitre Massicotte souligne qu’il ne s’agissait pas d’une situation qui méritait qu’on agisse sans délai, en urgence. En effet, les incidents reprochés sont, somme toute, isolés et, n’eût été les efforts de l’employeur pour les dénicher, il appert de la preuve que personne ne s’en serait plaint.

En conclusion, l’arbitre mentionne que l’employeur n’a pas usé de son droit de direction de manière raisonnable et qu’il a agi trop rapidement, sans poser les gestes requis minimalement dans les circonstances, notamment en rencontrant la plaignante pour avoir sa version et en l’avisant des problèmes que posait parfois son attitude. Certains gestes auraient dû être posés avant de prendre la décision de la retirer de ses fonctions et de la liste d’éligibilité. Le grief est accueilli.

L'évaluation des faits postérieurs à la fin d'emploi afin de statuer sur un licenciement

Dans l’affaire CAE inc. c. Tribunal administratif du travail[5], la Cour supérieure était saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire. L’employeur demandait l’annulation de la décision du TAT, ayant annulé la terminaison d’emploi de son directeur du développement des affaires.

L’employeur soutenait essentiellement que le TAT ne pouvait utiliser des faits postérieurs à la fin d’emploi, à savoir la décision d’ouvrir un poste dont les fonctions étaient les mêmes que celles du mis en cause.

Selon l’employeur, un évènement qui s’est produit des mois plus tard ne peut être utilisé pour analyser la décision de mettre fin à l’emploi, l’analyse devant plutôt se faire à partir de la situation au moment de la prise de décision.

Or, la Cour supérieure retient que le TAT a agi à l’intérieur de sa compétence et n’a pas commis d’erreur déraisonnable en l’exerçant. En effet, la décision de l’employeur – soit d’ouvrir un poste dont les fonctions étaient les mêmes que celles du mis en cause quelques mois après la fin de son emploi sans qu’on le lui offre – pouvait être jugée pertinente par le TAT.

Ainsi, la Cour supérieure rejette le pourvoi en contrôle judiciaire.

Télétravail, grève et briseurs de grève

Dans l’affaire Unifor, section locale 177 et Groupe CRH Canada inc[6], le TAT s’est intéressé à la notion d’« établissement » dans un contexte de télétravail.

En bref, l’article 109.1 du Code du travail, qui interdit le recours à des briseurs de grève, est centré sur la notion d’établissement. Par exemple, le paragraphe g) de cet article interdit à un employeur « d’utiliser, dans l’établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d’un salarié qu’il emploie dans cet établissement pour remplir les fonctions d’un salarié faisant partie de l’unité de négociation en grève ou en lock-out. »

Traditionnellement, la notion d’établissement était entendue dans un sens très concret : un édifice, un lieu de travail, etc.

Or, dans l’affaire mentionnée ci-dessus, certains employés étaient en télétravail, et l’employeur les utilisait pour accomplir certaines tâches de salariés en grève.

Saisi d’une demande d’ordonnance, le TAT a décidé que la notion d’établissement devait recevoir une interprétation large, et s’adapter au contexte évolutif des relations de travail. En lien avec les technologies permettant de travailler à distance, le TAT retient la notion d’ « établissement déployé » pour conclure que l’établissement s’étendait aux lieux où du télétravail était effectué.

Le TAT conclut donc que l’employeur contrevient aux dispositions anti-briseurs de grève en faisant effectuer en télétravail du travail fait par les salariés en grève.

Télétravail au Québec pour une compagnie américaine

Dans l’affaire Marchetta et Visual Training Solutions Inc[7], un salarié effectuant du télétravail au Québec pour une compagnie américaine se plaignait de congédiement injustifié.

Il s’agissait pour le TAT de déterminer si la Loi sur les normes du travail pouvait s’appliquer au plaignant.

Or, l’employeur n’avait aucune activité au Québec et n’y exploitait aucune entreprise : le seul lien avec le Québec était que l’employée y travaillait de son domicile en télétravail. Le TAT écrit :

[21] En effet, la plaignante travaille uniquement pour les clients américains et se déplace aux États-Unis pour les rencontrer. Dans son cas de figure, il n’y a aucune différence entre elle et celle d’un salarié de l’entreprise demeurant aux États-Unis et œuvrant sur ce territoire. En aucun temps, pourrions-nous soutenir que la LNT s’applique à ce dernier. Conclure autrement équivaudrait à rendre applicable la LNT à tout employeur partout dans le monde dès qu’un de ses salariés réside au Québec.

Le TAT conclut donc que la Loi sur les normes du travail ne s’applique pas du seul fait qu’une personne travaille sur le territoire du Québec.

Cette décision fait cependant présentement l’objet d’une contestation devant la Cour supérieure.