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Réforme de la Charte de la langue française : quels impacts sur les municipalités ?

Table des matières

Le contrat municipal à l'ère de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français

À titre d’organismes de l’Administration, les municipalités, les arrondissements municipaux, les communautés métropolitaines, les conseils d’agglomération, les régies intermunicipales et les offices municipaux d’habitation sont soumis aux nouvelles dispositions de la Charte de la langue française[1] édictées par la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français[2].

Cette réforme a déjà suscité beaucoup d’attention, autant dans les médias que devant les tribunaux. Toutefois, les nouvelles règles n’ont probablement pas fini de faire des vagues, car plusieurs dispositions ne sont pas encore en vigueur. C’est notamment le cas de l’interdiction de conclure des contrats avec certaines entreprises et de dispositions concernant la langue de l’Administration dans les contrats.

En effet, les conséquences de la contravention à ces dispositions sont très importantes. Dans le cas d’un contrat, certaines dispositions pourraient être annulées à la demande d’une personne qui en subit préjudice[3]. Le contrat peut aussi être frappé de nullité absolue, que la contravention cause ou non préjudice, lorsque la contravention concerne la langue de l’Administration dans les contrats[4]. La contravention ne peut pas être invoquée par son auteur, mais seulement contre lui[5]. De plus, en cas de manquement par un organisme municipal, le ministre de la Langue française peut retenir toute subvention tant qu’il n’a pas été remédié au manquement[6].

L’interdiction pour l’Administration de conclure des contrats avec certaines entreprises ou de leur octroyer des subventions

À compter du 1er juin 2023, il sera interdit pour l’Administration de conclure des contrats avec certaines entreprises qui ne se conforment pas aux exigences de la Charte et de leur octroyer des subventions. Les exigences de la Charte varient selon s’il s’agit d’une entreprise qui emploie plus de 50 employés au Québec[7] ou qui emploie plus de cinq employés au Québec.

Une entreprise de 50 employés ou plus doit s’inscrire à l’Office québécois de la langue française et, dans les trois mois de son inscription, elle doit soumettre une analyse de sa situation linguistique. L’Office émet alors un certificat de francisation ou demande l’adoption d’un programme de francisation. Lorsque ce programme a été approuvé et que sa mise en œuvre est terminée de manière satisfaisante pour l’Office, ce dernier délivre un certificat de francisation.

Pour l’organisme de l’Administration, il est donc interdit de conclure un contrat avec une entreprise de 50 employés ou plus ou de lui octroyer une subvention si elle ne possède pas de certification d’attestation d’inscription, n’a pas fourni, dans le délai prescrit, l’analyse de sa situation linguistique, ne possède pas d’attestation d’application de programme, ni de certificat de francisation ou si son nom figure sur la liste publiée par l’Office des entreprises pour lesquelles il a refusé de délivrer une attestation ou dont il a suspendu ou annulé une attestation ou un certificat[8].

Pour sa part, une entreprise de plus de cinq employés qui est assujettie à la Loi sur la publicité légale des entreprises[9] peut se faire offrir par l’Office de mettre en place les services d’apprentissage du français fourni par Francisation Québec. Si l’entreprise refuse cette offre, un organisme de l’Administration ne peut conclure de contrat avec elle ou lui octroyer des subventions tant qu’elle n’a pas convenu de mettre en place les services d’apprentissage du français fournis par Francisation Québec[10]. Par ailleurs, si l’entreprise accepte l’offre, mais fait défaut de respecter les modalités convenues avec Francisation Québec, alors elle est frappée des interdictions[11].

Il est à noter que ces interdictions ne font l’objet d’aucune exception. Or, leur application semble difficile en pratique. Certes, certaines listes sont publiées sur le site Web de l’Office pouvant permettre à une municipalité de se renseigner par elle-même, soit la liste des entreprises certifiées, la liste des ententes particulières en vigueur et la liste des entreprises non conformes au processus de francisation[12], mais est-ce suffisant ?

Des informations pourront également être demandées dans le cadre d’une demande de prix ou d’un appel d’offres public qui permettent de vérifier le nombre d’employés au Québec d’une entreprise et le certificat de francisation, le cas échéant. Qu’en est-il, cependant, du contrat de peu de valeur conclut de gré à gré avec une entreprise ayant franchi le seuil de plus de 50 employés depuis tout juste un peu plus de six mois qui n’aurait pas débuté le processus d’inscription ? Même l’Office pourrait ignorer qu’elle est en défaut à ce stade. Ou encore, qu’en est-il du contrat conclut le même jour que la survenance du défaut ? Aucun élément de connaissance n’est requis par la Charte. Comment alors exiger cette connaissance des organismes de l’Administration pour leur interdire de contracter ? Quelle sera alors la valeur du contrat conclu en contravention à la Charte ? On peut croire qu’à compter du 1er juin 2023, l’interdiction pèsera lourd sur les organismes de l’Administration.

L’obligation de l’Administration d’utiliser le français de façon exemplaire

Depuis le 1er juin 2022, l’Administration doit, de façon exemplaire, utiliser la langue française[13]. L’usage exemplaire de la langue française exige présentement que l’Administration ne fasse pas un usage systématique d’une autre langue que le français, c’est-à-dire que, dans les cas où il est permis d’utiliser une autre langue, l’Administration utilise néanmoins exclusivement le français dès qu’il l’estime possible. Cependant, à compter du 1er juin 2023, l’usage exemplaire du français exigera que l’Administration utilise exclusivement le français dans ses écrits et dans ses communications orales, sous réserve des exceptions prévues par la Charte. Les exceptions sont nombreuses et il peut être difficile de s’y retrouver[14].

Par exemple, les représentants de l’Administration peuvent discuter de vive voix avec une personne pour obtenir les renseignements nécessaires pour établir si une exception s’applique[15]. Néanmoins, dès que possible, l’Administration doit utiliser le français.

Le premier alinéa de l’article 21 de la Charte énonce comme principe en matière contractuelle que « Les contrats conclus par l’administration, y compris ceux qui s’y rattachent en sous-traitance, sont rédigés exclusivement dans la langue officielle ». Les écrits relatifs à un contrat sont également soumis à cette règle[16].

Ce principe fait l’objet d’exceptions selon l’identité du cocontractant et en fonction de la nature du contrat. L’exception au contrat ou à l’entente s’applique alors également aux écrits relatifs à celui‑ci[17]. Mentionnons que des exceptions supplémentaires pourraient être adoptées par règlement du gouvernement.

Dans certains cas, l’entente ou le contrat doit être rédigé en français, mais il peut y être joint une version dans une autre langue, par exemple, une entente intergouvernementale[18] ou un contrat conclu avec une personne physique qui ne réside pas au Québec ou une personne morale qui n’a pas d’obligation d’être immatriculée aux Québec et dont le siège est situé dans un État où le français n’est pas une langue officielle[19].

Certains contrats peuvent être rédigés à la fois en français et dans une autre langue, soit les contrats d’emprunt, les instruments et contrats financiers qui ont pour objet la gestion des risques financiers, notamment les conventions d’échange de devises ou de taux d’intérêt, les contrats prévoyant l’achat ou la vente d’une option et les contrats à terme[20].

Par ailleurs, peuvent être rédigés dans une autre langue les contrats conclus à l’extérieur du Québec et certains autres documents[21].

Même, lorsqu’une exception existe, un organisme sera tenu de rendre disponible une version française de toute partie d’un contrat ou d’un écrit rédigé dans une autre langue aux membres de son personnel dont les fonctions requièrent qu’ils en prennent connaissance[22].

Dans tous les cas, le produit obtenu par un organisme de l’Administration doit être conforme aux dispositions de la Charte, notamment en ce qui a trait aux inscriptions, modes d’emploi et garanties, à moins qu’il soit impossible de se les procurer en temps utile et qu’il n’existe pas de produit équivalent conforme[23]. Similairement, les services rendus par une personne morale ou une entreprise doivent être rendus à l’organisme en français, à moins qu’ils ne puissent pas l’être. Cependant, dans le cas où les services sont destinés au public, ils doivent toujours être rendus aux mêmes conditions que si l’organisme les avait rendus lui-même[24].

Enfin, il est important de souligner que l’obligation d’utiliser le français de façon exemplaire ne s’applique pas aux organismes et établissements dits « à statut bilingue », soit ceux reconnus par l’Office québécois de la langue française en application de l’article 29.1 de la Charte, notamment une municipalité dont plus de la moitié des résidents de son territoire sont de langue maternelle anglaise et qui a présenté une demande de reconnaissance[25].

En conclusion

Une municipalité devra, à compter du 1er juin 2023 communiquer par écrit ou à l’oral en français, ce qui comprend les ententes et les contrats et les communications en lien avec ceux-ci, à moins que l’identité du cocontractant ou la nature du contrat permettent l’utilisation d’une autre langue.

Puisque rien n’indique que la valeur du contrat doit être prise en compte, la règle ne souffrirait d’aucune exception à cet égard. Éventuellement, une nouvelle politique linguistique de l’État sera adoptée pour guider les organismes de l’Administration dans l’exécution de leurs obligations[26]. Les organismes de l’Administration disposeront ensuite d’un délai de trois mois pour prendre une directive précisant la nature des situations dans lesquelles ils entendent utiliser une autre langue que le français dans les cas où il est permis de le faire[27].

Espérons que la politique linguistique de l’État aidera à clarifier le tout et à démêler les règles et les nombreuses exceptions en matière contractuelle, et ce, dans un français… compréhensible.