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La démocratie ou le droit des citoyens de se doter d’un pouvoir politique moyennant un recours judiciaire

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Table des matières

Commentaire sur la décision Québec Mérite Mieux et al. c. Ville de Québec

L’auteure commente et analyse ce jugement dans lequel la Cour supérieure établit les limites d’application du droit constitutionnel en droit municipal et se prononce sur les différents aspects juridiques du droit au référendum.

INTRODUCTION

L’affaire Québec Mérite Mieux c. Ville de Québec[i] (la «  Décision  ») est une décision concernant un projet de la Ville de Québec (la «  Ville  ») afin de se doter d’un système structurant son transport en commun moyennant un tramway. Ce projet d’envergure, en gestation depuis plus de 15 ans, est contesté par un regroupement de citoyens de la ville de Québec, Québec Mérite Mieux, dans le cadre d’une demande introductive d’instance en contrôle judiciaire, d’une demande d’injonction et d’un recours en réparation en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne et de la Charte canadienne des droits et libertés (les «  Chartes  »).

Québec Mérite Mieux est un organisme à but non lucratif créé spécifiquement par des résidents de la capitale québécoise dans le but de contrer le projet de tramway. Plusieurs autres demandeurs ont participé dans le cadre du recours pour des motifs qui ne sont pas les mêmes.

I– LES FAITS

Dès 2005, la Ville vise à mettre en place un réseau structurant son transport en commun, incluant un tramway «  à l’horizon 2021  ». En 2009, la Ville crée un groupe de travail sur la mobilité durable afin de coordonner ce projet et tient des consultations publiques préliminaires sur les enjeux et les orientations en matière d’urbanisme. À la suite de ces consultations citoyennes, un rapport est produit sur la mobilité durable. En 2010, la Ville produit un Plan de mobilité durable et tient d’autres consultations publiques auprès de ses citoyens. Un rapport de consultation sur le projet de Plan de mobilité durable a ensuite été produit puis le conseil d’agglomération a mis en place une structure de coordination pour diriger les études relatives au tramway : le comité d’orientation.

En 2014, le comité d’orientation demande d’explorer d’autres alternatives au tramway puisque le financement public est insuffisant et propose d’envisager le système rapide par autobus. En 2015, une étude conclut que les alternatives sont réalisables, mais que le système de bus rapide atteindra sa charge maximum de façon plus expéditive. Dès cette étude, les autorités municipales annoncent qu’elles choisissent de privilégier le système d’autobus rapide pour répondre à moindres coûts aux besoins à moyen terme.

Au printemps 2017, les autorités municipales modifient leur position et annoncent la fin du projet de service rapide par autobus. La Ville crée un nouveau comité consultatif sur la mobilité durable et tient de nouvelles consultations publiques. Pour améliorer la participation citoyenne, elle engage un organisme indépendant. Au terme de ce processus, plus de 11 000 personnes sont consultées et, d’emblée, elles conviennent que la Ville doit se doter d’un réseau de transport en commun. Cette consultation n’aborde pas de manière plus spécifique le moyen à privilégier pour parvenir à cette fin.

La même année, à la suite des élections municipales tenues en novembre, l’idée du tramway refait surface. L’année suivante, le projet de tramway est soumis au gouvernement du Québec.

Le 16 mars 2018, une entente de principe est signée entre le gouvernement provincial et la Ville concernant le financement de 3 milliards de dollars pour le projet de tramway. Le 4 avril 2018, le conseil d’agglomération de la Ville ratifie cette entente. Le 14 juin 2019, l’Assemblée nationale adopte la Loi concernant le réseau structurant de transport en commun de la ville de Québec[i]. Le 5 novembre 2020, après avoir mené des consultations publiques, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (le «  BAPE  ») recommande de ne pas aller de l’avant avec le projet de tramway. Malgré cet avis, le gouvernement provincial adopte, le 6 avril 2022, le Décret 655-2022 concernant la délivrance d’une autorisation à la Ville de Québec pour le projet de construction d’un tramway entre les secteurs Chaudière et D’Estimauville sur le territoire de la ville de Québec[ii]

À la suite de ces événements, les demandeurs, qui se décrivent comme des citoyens qui veulent être consultés par voie référendaire, déposent un recours contre la Ville, le conseil d’agglomération de la Ville, le Procureur général du Québec et le Procureur général du Canada.

Les demandeurs sont d’accord avec la mise en place d’un réseau de transport, mais désapprouvent le choix du tramway puisque celui-ci pourrait grandement affecter leur milieu de vie, la sauvegarde du cachet historique et patrimonial de la ville et nuire à l’environnement. Selon les demandeurs, ce choix purement politique de forme de transport atteint à leurs droits fondamentaux et doit être revu par le pourvoi judiciaire.

Il est intéressant de noter qu’au courant de l’année 2022, deux jugements en cours d’instance ont été rendus par le juge Samson, j.c.s., d’abord pour refuser l’injonction interlocutoire[iii] et, par la suite, pour refuser aux demandeurs la communication des documents confidentiels relatifs aux délibérations du Conseil des ministres en lien avec le projet de tramway[iv].

De plus, à la mi-février 2023, les demandeurs ont officiellement annoncé sur leur site que le dossier ne va pas être porté en appel.

II– LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

A. Demande introductive d’instance en contrôle judiciaire, jugement déclaratoire, en nullité, inopérabilité et inconstitutionnalité

En dépit des nombreuses questions de fait abordées par le juge Samson, j.c.s., l’essentiel de l’argumentation soumise par les demandeurs est la nullité du Décret 655-2022.

Avant toute chose, le juge se penche sur la question du délai raisonnable pour intenter le recours, car les demandeurs ont déposé la demande 78 jours après la publication du décret, alors que le délai raisonnable déterminé par la jurisprudence est normalement plafonné à 30 jours. En raison de la situation exceptionnelle en litige, l’ampleur du recours ainsi que du pouvoir discrétionnaire accordé au pouvoir judiciaire, le juge considère ce délai comme étant raisonnable.

Quant à la demande de nullité du Décret 655-2022, le juge Samson, j.c.s., rappelle que la Cour supérieure a le pouvoir de réviser une décision du Conseil des ministres comme elle le ferait pour un tribunal administratif. La question a alors été analysée en deux volets : 1) la marge d’exercice de la discrétion ministérielle et 2) les limites de sa compétence, à savoir s’il a eu un excès.

La Loi sur la qualité de l’environnement[i] (la «  LQE  ») ainsi que le Règlement relatif à l’évaluation des impacts sur l’environnement[ii] de certains projets prévoient une procédure d’approbation ministérielle pour certains types de projets, dont la construction d’un système de transport collectif guidé ou sur rail. Le projet de tramway est donc visé par cette législation et doit recevoir une approbation gouvernementale, sur recommandation du ministre. D’ailleurs, le processus qui mène à la décision est prévu à l’article 31.5 LQE.

Les demandeurs reprochent au gouvernement provincial d’avoir outrepassé sa compétence en mettant de côté les recommandations du BAPE dans le cadre de son processus décisionnel. À cet effet, le juge nous rappelle que cette question a déjà été tranchée par diverses instances judiciaires et que le gouvernement du Québec n’a aucune obligation de suivre les recommandations du BAPE, car il s’agit d’un processus de consultation. De plus, quant au fond de la décision prise par le Conseil des ministres, le tribunal doit se garder de poser un regard sur l’opportunité de la décision, soit de s’assurer que la décision n’est pas fantaisiste, qu’elle n’a pas été prise de mauvaise foi, qu’elle tient compte des objectifs poursuivis par le pouvoir habilitant et que les règles de justice naturelle et d’équité procédurale ont été suivies. En l’espèce, la preuve abondante déposée devant la cour démontre que le processus de la prise de décision a été fait de façon judicieuse, autant par la Ville pour le choix de transport que par le gouvernement provincial pour l’adoption du décret. Le juge soulève également que l’acceptabilité sociale n’est pas expressément un critère exigé par la législation pour autoriser un projet. Bref, le Décret 655-2022 est une décision prise par le Conseil des ministres bénéficiant d’une large discrétion[iii]. La demande est donc rejetée.

B. Demande d’injonction en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement

Les demandeurs prétendent que la construction éventuelle de l’infrastructure nécessaire à la création d’un tramway modifiera le paysage patrimonial de la Ville. À titre de fondement du recours, ils se basent sur l’article 19.1 LQE qui accorde un pouvoir d’injonction à la Cour supérieure. Cependant, dès que le décret autorisant les travaux préparatoires est légalement émis, les demandeurs n’ont plus d’assise judiciaire pour obtenir une injonction contre les autorités gouvernementales.

De façon complémentaire, les demandeurs contestent plusieurs dispositions réglementaires, car celles-ci auraient pour effet d’interdire ou de ne pas obliger la tenue d’un référendum. À cet effet, les demandeurs soulèvent le non-respect de leurs droits fondamentaux prévus dans les Chartes. Cependant, malgré un éventail d’arguments, la réponse du juge demeure la même : le droit au référendum n’est pas protégé par les dispositions de ces Chartes. Ainsi, nulle part dans la loi une obligation n’est faite à la Ville de devoir consulter la population par référendum et cela découle des renseignements de la Cour suprême selon lesquels «  il n’existe aucun droit constitutionnel de voter à un référendum  »[iv] ».

La question du référendum est également soulevée sous l’angle des droits démocratiques des demandeurs, à savoir les engagements électoraux soi-disant non tenus. La sanction proposée au tribunal devrait être la tenue d’un référendum pour invalider le projet. Il s’agit d’une question nouvelle qui se répond par un vieux principe : un candidat n’engage pas la Ville. Comme le mentionne le juge «  une fois élus, les candidats municipaux s’expriment collectivement à travers les résolutions et les règlements […] le candidat élu, avec les meilleures intentions du monde, ne pourrait à lui seul décider du sort d’un dossier, tel le tramway  »[v]. »

Essentiellement, nous devons donc retenir les points suivants : il n’existe pas de loi qui donne aux tribunaux le pouvoir de sanctionner les manquements de l’exercice politique, le droit au vote ne vise pas les référendums ni les élections municipales, il n’existe pas de droit formel de voter lors d’un référendum et aucun tribunal ne peut imposer la tenue d’un référendum municipal à partir des textes des Chartes. La demande est donc rejetée.

C. Demande en réparation en vertu des Chartes

Les demandeurs allèguent avoir subi plusieurs atteintes à leurs droits fondamentaux, à savoir aux droits à la vie, à la santé, à la liberté et à la sécurité, le droit à la jouissance de sa propriété et le droit à la liberté économique sociale. À cet égard, le tribunal conclut que ni la Ville ni le gouvernement du Québec n’ont commis de faute et n’ont fait preuve d’abus de droit. En conséquence, la demande en indemnisation est rejetée.

III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

Cette décision illustre parfaitement la complexité des questions qui peuvent être soulevées dans le cadre d’une contestation d’un décret gouvernemental et d’une action politique d’envergure, particulièrement lorsque divers droits fondamentaux entrent en jeu.

Dans le cadre de cette décision très détaillée, tant en faits qu’en droit, le juge souligne à maintes reprises la place occupée par les tribunaux dans notre société. Dans ce contexte, il rappelle que les tribunaux n’ont pas un rôle politique et qu’ils n’ont pas à décider ce qui est bon pour la population. Le rôle d’un tribunal judiciaire est de s’assurer de la légalité des décisions prises par les différents paliers gouvernementaux et non pas de leur opportunité dans les circonstances. En effet, les tribunaux interviennent en aval de la démocratie alors que le présent dossier demandait au juge d’intervenir en amont[i].

Quant à la démocratie pure, il est intéressant d’observer que malgré diverses tentatives des demandeurs d’invoquer les droits fondamentaux prévus par les Chartes, le cœur du litige repose sur la question du droit au référendum. S’agit-il d’une question nouvelle ?

La réponse peut se répondre par un oui, mais seulement en partie. De façon générale, peu de jurisprudence a déjà traité du droit au référendum sous la forme qu’on le voit dans le présent dossier. Cependant, cette question a déjà été en partie répondue dans la décision Baie-D’Urfé (Ville) c. Québec (Procureur général)[ii], dans laquelle plusieurs villes de la province de Québec demandaient de rendre nulle et inapplicable la Loi portant sur la réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais[iii]. Dans le cadre de cette décision, les villes reconnaissaient implicitement qu’il n’appartient pas aux tribunaux de statuer sur l’opportunité de mesures législatives, mais elles plaidaient tout de même qu’il y a une violation du principe structurel de la démocratie du fait que le gouvernement refusait de soumettre la loi à un référendum. À cet argument, le juge de la Cour supérieure avait souligné à juste titre que «  le fait de ne pas procéder par référendum n’a absolument rien à voir avec la liberté fondamentale d’expression garantie par les chartes  »[iv] ».

Un nouveau volet fort intéressant de cette question a été proposé par les demandeurs dans la décision de la manière suivante : est-ce qu’il existe un référendum pour corriger des promesses électorales soi-disant non tenues ? Cette réflexion n’a jamais encore été faite par les tribunaux judiciaires et le juge a répondu de façon succincte «  qu’il n’existe pas de loi qui donne aux tribunaux le pouvoir de sanctionner les manquements de l’exercice démocratique  »[v] » et il précise que la demande d’intervenir moyennant les tribunaux judiciaires serait néfaste pour la démocratie[vi].

CONCLUSION

Nous devons retenir de la décision commentée qu’en tout temps pertinent au litige, nonobstant la position des demandeurs, les principes démocratiques ont été respectés. Déjà, en 2001, dans le contexte de la contestation des regroupements municipaux imposés par le législateur, la Cour supérieure avait eu l’occasion de souligner qu’«  exprimer son opposition est une chose, mais que faire primer son opinion surtout en dehors d’une période électorale en est une autre. Un gouvernement démocratiquement élu peut décider d’imposer la mesure qu’il estime justifiée pour réaliser un objectif qu’il croit nécessaire et qu’il s’appuie sur de nombreuses recommandations  »[1].