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Droit du travail et de l’emploi – Fév. 2022

Table des matières

Congés pour obligations familiales et pratique antérieure

Dans une décision rendue le 3 janvier 20221, l’arbitre Richard Marcheterre devait se prononcer sur l’application de l’article 79.7 de la Loi sur les normes du travail2 (ci-après « LNT »). En effet, 37 griefs avaient été déposés pour réclamer l’ajout à la convention collective des deux congés payés prévus à cette disposition.

Plusieurs admissions ont été déposées par les parties, notamment que les salariés avaient la possibilité de disposer de congés flottants en vertu de leur convention collective. Il était entendu que l’employeur avait toujours fait preuve de souplesse par rapport à la prise de ces congés. D’ailleurs, suite à l’entrée en vigueur de la modification à l’article 79.7 de la LNT, l’employeur avait affiché un avis indiquant que si un salarié bénéficiait déjà d’une banque minimale de deux journées de congés rémunérés, l’employeur n’avait pas à ajouter de congés supplémentaires pour obligations familiales. Il existait par ailleurs une pratique chez l’employeur à l’effet que les salariés pouvaient utiliser la banque de congés flottants pour tout motif. En vertu de cette pratique, avant le 1er janvier 2019, les salariés qui devaient s’absenter pour maladie ou pour obligations familiales prenaient un congé de leur banque de congés flottants. Il était également admis par les parties que les congés flottants non pris à la fin de l’année de référence étaient rémunérés aux salariés.

Il est important de noter que la convention collective ne prévoyait pas expressément que les congés flottants pouvaient être utilisés à titre de congés de maladie ou à titre de congés pour obligations familiales.

L’arbitre a procédé à une longue analyse des décisions rendues en semblables matières. Dans son raisonnement, l’arbitre conclut que la façon de faire de l’employeur ne respecte pas la LNT. En effet, basant son raisonnement sur l’article 62 de la LNT, l’arbitre conclut qu’il revient à l’employeur de rémunérer les deux premières journées d’absence pour maladie ou pour obligations familiales en vertu de l’article 79.7 de la LNT. Or, selon l’arbitre, en obligeant les salariés à prendre un congé de leur banque de congés flottants, les salariés s’en trouvent alors à « s’auto-rémunérer », ce qui est contraire à l’article 62 de la LNT. Pour l’arbitre, si un congé pour maladie ou pour obligations familiales est rémunéré à même cette banque, ce n’est pas l’employeur qui paie le salarié, mais bien le salarié. Pour l’arbitre, ceci contrevient aux articles 62 et 79.7 de la LNT. Il a donc accueilli les griefs.

Les facteurs à évaluer afin de déterminer le mode de tenue d’une audience en situation pandémique

Dans l’affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes – Factrices et facteurs ruraux et suburbains et Société canadienne des postes3, l’arbitre Denis Nadeau était confronté à une question procédurale et devait déterminer quel mode devait être retenu pour tenir l’audience dans le contexte pandémique.

En vue de la prochaine audience sur le grief, les parties ne s’entendaient pas quant au mode devant être retenu pour tenir l’audition. La partie syndicale était d’avis que l’audition devait se tenir en présentiel alors que l’employeur était plutôt d’avis que le litige devait être entendu en visioconférence.

Pour l’employeur, le contexte de la pandémie de la covid-19 ainsi que le fait que l’immunité collective n’ait pas encore été atteinte militaient fortement en faveur de la tenue de l’audition à distance. Pour le syndicat, la question devait être évaluée à la lumière du contexte particulier de chaque endroit et période de temps où elle se pose. Le syndicat prétendait que les conditions sanitaires au Québec étaient favorables à la tenue de l’audition en présentiel, contrairement à celles dans les décisions soumises par l’employeur.

L’arbitre analyse une décision de l’arbitre Moreau4 à l’effet qu’il existe une présomption voulant qu’une audition virtuelle est préférée durant une période difficile comme celle de la pandémie mondiale liée à la covid-19. Il n’adhère pas aux propos de l’arbitre Moreau puisque la décision a été rendue avant le début de la campagne de vaccination nationale et que l’audition nécessitait des déplacements interprovinciaux. L’arbitre Nadeau souligne que la présomption ne peut être étendue d’une façon automatique à toutes les situations où la question du mode d’audition se pose. Il propose les facteurs suivants afin d’évaluer la situation et de trancher la question du mode d’audition :

  • La nature du dossier;
  • L’état de développement de celui-ci;
  • Le contexte sanitaire de la province où l’audition se déroulera;
  • Les représentations particulières des parties quant à la nécessité de tenir l’audition en mode virtuel ou présentiel.

En l’espèce, le grief à l’étude en était un d’interprétation et seulement trois témoins devaient se faire entendre. De plus, selon l’arbitre, la couverture vaccinale au Québec est dorénavant large et le passeport vaccinal est obligatoire pour accéder à plusieurs endroits publics. L’arbitre conclut que l’audience se tiendra en présentiel, les conditions le permettant.

Le congédiement d’une agente des services correctionnels est confirmé

Dans l’affaire Gouvernement du Québec – Ministère de la Sécurité publique5, l’arbitre Mercier était saisi d’un grief contestant le congédiement d’une agente des services correctionnels.

L’employeur avait congédié la plaignante pour avoir publié plusieurs messages sur les réseaux sociaux ayant pour effet de ternir l’image de l’employeur et du Gouvernement du Québec, pour avoir continué d’utiliser les réseaux sociaux de manière inappropriée et en incitant à la désobéissance civile, ainsi que pour avoir organisé et participé à un événement visant à défier les mesures sanitaires.

Le tribunal précise d’abord que son rôle n’est pas de décider de cette affaire en fonction du choix idéologique de la plaignante, rappelant le droit à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression.

Toutefois, par ses agissements, la plaignante a manqué à ses devoirs de loyauté et de réserve. En effet, en tant qu’agente des services correctionnels, la plaignante avait pour rôle de participer au maintien de l’ordre, à l’application de la discipline en milieu carcéral et elle était tenue au respect de la règle de droit.

Or, en insultant son employeur par l’entremise des réseaux sociaux, en défiant les consignes sanitaires et en appelant à la désobéissance civile, elle a eu un comportement indigne de sa fonction et de son statut d’agente de la paix.

Le tribunal considère également le fait que la plaignante a ignoré les avertissements de son employeur et que le ministère a dû commenter publiquement le comportement de son employée. De plus, le tribunal retient que son ancienneté de 23 ans est un facteur aggravant, considérant qu’elle ne pouvait ignorer ses devoirs envers son employeur.

Quant au dossier disciplinaire vierge de la plaignante, le tribunal conclut qu’il ne suffit pas à lui seul à faire pencher la balance en faveur de l’application du principe de la progression des sanctions.

Pour ces motifs, le tribunal rejette le grief et confirme le congédiement.

L’exclusion des cadres du régime du Code du travail déclarée constitutionnellement inopérante par la Cour d’appel

Dans l’affaire, Association des cadres de la société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec6, la Cour d’appel a reconnu le droit de l’Association des cadres de la société des casinos du Québec (ci-après « l’Association ») d’être accrédité au sens du Code du travail pour représenter des cadres.

La Société des casinos du Québec est une filiale de la Société des loteries du Québec (ci-après « Loto-Québec »), qui arbore une structure organisationnelle se déclinant en cinq paliers de direction. Au dernier palier se trouvent les superviseurs des opérations, qui sont au cœur de la présente affaire. Il s’agit en fait de cadres de premier niveau qui, en pratique, n’ont que peu ou pas de pouvoir décisionnel dans l’entreprise.

Malgré les nombreuses demandes de l’Association, l’employeur et Loto-Québec ont toujours refusé d’actualiser les conditions de travail de ses membres ou de la reconnaître à titre de véritable agent négociateur.

Face à ces refus, l’Association a déposé une requête en accréditation au Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT »), malgré qu’elle soit composée de cadres de premier niveau qui ne sont pas des salariés au sens du Code du travail. L’Association a prétendu que l’exclusion des cadres du régime d’accréditation prévue au Code du travail ne respectait pas la liberté d’association de ses membres et qu’ils devaient pouvoir se syndiquer. Le TAT a accepté cette position et déclaré l’exclusion invalide constitutionnellement. La Cour supérieure avait annulé cette décision, et la Cour d’appel a été saisie de l’affaire.

Dans un premier temps, la Cour d’appel partage les conclusions du TAT selon lesquelles, l’Association ne jouit pas d’une véritable reconnaissance de l’employeur en raison de l’absence de liberté de choix de ses membres ainsi que du manque d’indépendance qu’elle a à l’égard de la direction, ce qui porte directement atteinte au droit à la négociation collective.

Dans un deuxième temps, la Cour d’appel estime que le non-accès à un mécanisme spécialisé de règlement des différends empêche l’Association d’obtenir juste réparation dans les cas d’ingérence de l’employeur ou de négociation de mauvaise foi, ce qui une fois de plus, porte atteinte à leur liberté d’association.

Dans un troisième temps, contrairement à la Cour supérieure, la Cour d’appel estime que le droit de grève de l’Association est entravé. Le droit de grève est intrinsèquement lié au processus de négociation collective qui lui, est inhérent à la liberté d’association. L’impossibilité d’exercer son droit de grève peut s’évaluer par l’effet de la loi ou encore l’absence de cadre législatif, et non uniquement par une disposition expresse à cet effet.

Finalement, considérant l’effet potentiel de la présente décision sur le régime québécois des relations de travail des cadres en général, la Cour estime approprié de suspendre pour une période de 12 mois les effets de la décision du TAT.

Il semble probable que cette affaire soit entendue par la Cour suprême, mais à notre connaissance, il n’y a pas encore de procédure déposée à cet égard.

Moyen de pression en cours de convention collective : la modification de l’uniforme par les salariés n’est pas permise lorsque l’uniforme est prévu par la convention collective

Dans la décision Corporation d’Urgences-Santé de la région de Montréal Métropolitain c. Syndicat du préhospitalier-CSN7, la Cour d’appel du Québec a confirmé une sentence arbitrale dans laquelle un arbitre de griefs a décidé que les modifications à un uniforme de manière contraire aux dispositions d’une convention collective en cours étaient illégales.

Le 12 avril 2013, le syndicat et la partie patronale ont signé une convention collective malgré l’existence de différends latents. À ce propos, les parties ont signé une lettre d’entente. Suivant la signature de cette convention collective, la partie syndicale a « organis[é] des “moyens de visibilité collectifs” afin d’amener l’Employeur à respecter la lettre d’entente […] ». Les moyens employés consistaient en des modifications à l’uniforme des paramédics. Suite à cela, la partie patronale a déposé sept griefs pour contravention à une clause dans la convention collective portant sur le port obligatoire de l’uniforme.

L’arbitre saisi du dossier a donc évalué si les moyens de pression employés pendant la durée de vie de la convention collective étaient légaux, le tout à l’aune des libertés d’expression et d’association prévues dans la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après « Charte »)8. Pour trancher la question, l’arbitre reconnaît que l’imposition du port d’un uniforme restreint la liberté d’expression des employés, mais ne restreint pas leur liberté d’association de manière substantielle. En revanche, l’arbitre soulève que les modifications apportées aux uniformes ont été faites de manière contraire à la convention collective en cours. Dans un exercice de pondération entre les droits prévus dans la Charte et les obligations prévues dans la convention collective, l’arbitre a conclu que les modifications apportées à l’uniforme étaient illégales et a donc accueilli les griefs.

Dans sa décision, l’arbitre relève certains principes. Tout d’abord, les moyens de pression ont été faits pendant la durée de vie de la convention collective et non pendant les négociations de cette dernière. L’arbitre ajoute ensuite que, dans son analyse, elle doit faire une pondération entre les droits prévus dans la Charte et les obligations contractées par les parties dans la convention. De plus, bien que la convention ne puisse pas déroger à la Charte, cette dernière ne peut pas non plus servir d’excuse aux parties pour ne pas honorer leurs engagements pris dans la convention collective. L’arbitre note aussi que le syndicat bénéficiait d’autres moyens d’expression conforme à la convention collective pour faire pression sur l’employeur tel que des tracts, des communiqués et des conférences de presse, des manifestations et des annonces.

Pour sa part, la Cour d’appel a conclu que la décision de l’arbitre était raisonnable et qu’il n’y avait pas lieu de la casser. Elle a donc infirmé la décision de la Cour supérieure. La Cour d’appel a rappelé que l’arbitre devait analyser et appliquer la clause en litige dans le contexte de la Charte, en mettant en balance la gravité de l’atteinte aux valeurs protégées par celle-ci et le droit de l’employeur au respect de sa convention collective9.

L’arbitre ayant effectué cette analyse, la Cour a conclu que la décision était raisonnable et a donc confirmé la sentence arbitrale.