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Droit du travail

Lumière sur les dernières décisions en matière de droit du travail

Table des matières

Jurisprudence récente

Dépistage de la COVID-19 en contexte de travail

Dans l’affaire Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-centre-du-Québec[1], l’arbitre Me Jean-Yves Brière est appelé à trancher deux griefs syndicaux portant sur les tests de dépistage à la COVID-19 en contexte de travail. Plus spécifiquement, par l’entremise du premier grief, le syndicat conteste le fait que l’employeur ait refusé de verser une rémunération équivalente à un rappel au travail lorsque le salarié est appelé à se soumettre à un test de dépistage à la COVID en dehors des heures régulières de travail. Puis, par le deuxième grief, le syndicat conteste le refus de l’employeur de verser une rémunération équivalente à trois heures à taux simple lorsque le salarié est appelé à se soumettre à un test de dépistage alors qu’il n’est pas déjà au travail et qu’il n’est pas en situation de temps supplémentaire.

En l’espèce, le syndicat soutient que l’ensemble des salariés qui ont été testés après leur journée ou leur semaine de travail avaient droit à la rémunération et l’indemnité prévues à la clause 19.03 de la convention collective (portant sur le rappel au travail). Quant aux salariés qui n’étaient pas déjà au travail ni en situation de temps supplémentaire, l’employeur aurait dû leur verser trois heures de rémunération à taux simple, conformément à l’article 58 de la Loi sur les normes du travail (« L.N.T. »). De son côté, l’employeur prétend que la clause 19.03 de la convention collective, de même que l’article 58 L.N.T., ne peuvent recevoir application, car aucune prestation de travail n’était exigée des salariés concernés. Par ailleurs, l’employeur prétend qu’il n’exerçait aucun contrôle sur lesdits salariés.

L’arbitre Brière rappelle qu’en vertu de l’article 58 L..N.T., un salarié a droit à une indemnité dans les deux situations suivantes :

  • Lorsqu’il se présente au lieu du travail à la demande expresse de son employeur et qu’il travaille moins de trois heures consécutives;
  • Lorsqu’il se présente au lieu du travail dans le cours normal de son emploi et qu’il travaille moins de trois heures consécutives.

En l’espèce, l’arbitre conclut que ni l’une ni l’autre de ces situations ne trouve application dans le présent dossier. En effet, les salariés concernés ne se sont pas présentés au lieu de travail, mais plutôt dans une clinique désignée de dépistage, et surtout, ils n’ont pas fourni une prestation de travail. L’arbitre insiste sur le fait que la notion de « travail » prévue à l’article 58 L.N.T. ne peut viser que le travail convenu entre l’employeur et le salarié. Ainsi, le professionnel ou le technicien ne travaille que lorsqu’il effectue, pour son employeur, des tâches de technicien ou de professionnel. Or, dans la présente affaire, le Tribunal conclut que lorsqu’un salarié se soumet à un test de dépistage, il n’effectue pas le travail convenu avec son employeur. De ce fait, l’article 58 L.N.T. ne peut recevoir application.

Puis, concernant l’application de l’article 19.03 de la convention collective portant sur la situation de rappel au travail, l’arbitre est d’avis que pour que cette disposition puisse s’appliquer, il faut que la personne salariée soit rappelée au travail alors qu’elle a quitté l’établissement. Il n’y aura rappel au travail que dans la seule mesure où la personne salariée revient sur les lieux du travail pour exécuter une prestation de travail, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce. Pour ces motifs, le Tribunal considère que l’article 19.03 de la convention collective ne souffre d’aucune ambiguïté et ne peut recevoir application.

Ainsi, les deux griefs sont rejetés.

Le temps supplémentaire obligatoire et le mode de gestion devenus abusifs

Dans l’affaire Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval (CSQ) et CISSS de Laval[2], le syndicat a déposé un grief afin de contester la pratique de l’employeur d’utiliser le temps supplémentaire obligatoire (« TSO ») de façon systématique afin de combler les besoins en personnel au centre d’activités de néonatalogie. L’arbitre Blouin devait alors déterminer si l’employeur exerce son droit de direction de façon abusive, déraisonnable ou contraire à la convention collective.

Le syndicat est d’avis que cette pratique cause des effets négatifs à l’ensemble du personnel, comme de la fatigue, des problèmes de concentration, des maux de tête, de l’irritabilité et du stress. De son côté, l’employeur soutient qu’il prend toutes les mesures nécessaires afin d’éviter l’utilisation des heures supplémentaires obligatoires. Il prétend que cette mesure est mise en application uniquement en dernier recours, de manière ponctuelle et exceptionnelle, et ce, en raison notamment de la pénurie de personnel et des besoins du service qui sont fluctuants.

L’arbitre retient de la preuve qu’il existe deux situations distinctes susceptibles d’engendrer des heures supplémentaires : les cas où des besoins sont non comblés dès la confection des horaires et les cas où un plus grand nombre de bébés sont admis durant un quart de travail, ce qui nécessite davantage d’infirmières. Lorsqu’il n’y a pas de volontaire pour effectuer des heures supplémentaires, l’infirmière désignée pour le TSO est celle qui en a fait depuis le plus long délai.

Dans la convention collective, on retrouve une disposition qui régit la répartition des heures supplémentaires. Cet article prévoit le mécanisme concernant les heures supplémentaires pour lesquelles les salariées se portent volontaires. Rien dans cette disposition ne permet de conclure que les parties réfèrent également à des heures supplémentaires obligatoires.

Le Tribunal arrive alors à la conclusion que le recours au TSO n’est plus, comme l’employeur le prétend, un mécanisme exceptionnel et que l’utilisation qu’il en fait est contraire à la convention collective. En effet, ce mode de gestion est utilisé depuis au moins 2018 et l’employeur ne peut pas faire supporter indéfiniment aux infirmières les difficultés liées au recrutement. Cette mesure est utilisée afin de remédier au fait que certaines salariées sont absentes sans être remplacées, que certains postes sont vacants et aussi au fait que l’employeur ne réagit pas promptement lorsqu’il y a une augmentation du nombre de bébés admis. Dans la mesure où l’employeur offre des services en néonatalogie, il doit s’assurer d’avoir les ressources suffisantes pour le faire, et ce, sans devoir recourir au TSO de manière continuelle, comme en l’espèce.

L’arbitre Blouin accueille le grief. Il conclut que ce mode de gestion est devenu abusif, notamment en raison du fait qu’il perdure depuis bien trop longtemps et qu’il ne respecte pas la convention collective.

Il sera intéressant de suivre l’issue du pourvoi en contrôle judiciaire déposé par l’employeur.

Un salarié peut être imputable des actions posées par sa conjointe lorsqu’elle agit en son nom

Dans l’affaire Unifor, section locale 2013 et Syndicat canadien de la fonction publique[3], le syndicat contestait le congédiement imposé au plaignant en raison de fausses réclamations effectuées dans le cadre du régime d’assurance collective qu’assumait entièrement l’employeur. Le plaignant prétendait que les réclamations remises en cause ne pouvaient lui être imputables puisqu’elles avaient été effectuées par sa conjointe, également bénéficiaire au titre du régime.

La preuve a démontré que sa conjointe se chargeait de transmettre les demandes de remboursement en utilisant le code d’accès et le mot de passe du plaignant. L’enquête initiée par l’employeur avait révélé que 40 réclamations présentaient des irrégularités notamment reliées à l’identification erronée du bénéficiaire ayant reçu le soin réclamé ou au remboursement de bénéfices non couverts par le régime.

L’arbitre saisi du grief a d’emblée rejeté la défense invoquée par le plaignant, lequel alléguait qu’il ne pouvait être sanctionné en raison d’erreurs commises par sa conjointe. De l’avis de l’arbitre, les manquements reprochés relevaient de la responsabilité du plaignant puisque sa conjointe agissait en son nom et pour son compte. Le plaignant demeurait ainsi imputable des actions de cette dernière.

Analysant ensuite le caractère fautif des gestes reprochés, l’arbitre a conclu que les réclamations erronées ne résultaient pas d’une simple erreur commise par inadvertance, mais plutôt d’une volonté d’obtenir sans droit le remboursement de sommes d’argent. Le plaignant savait ou aurait dû savoir qu’il s’appropriait des sommes appartenant à son employeur.

L’arbitre a ainsi confirmé le congédiement en retenant que les manquements reprochés portaient définitivement atteinte au lien de confiance entre le plaignant et son employeur.

Le cancer des testicules chez les pompiers reconnu comme une maladie professionnelle

Dans l’affaire Desbiens et Ville de Longueuil (service incendie)[4], le Tribunal administratif du travail (« Tribunal ») était saisi d’une contestation d’une décision rendue par l’instance de révision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail qui a rejeté la réclamation du travailleur. Le travailleur occupe l’emploi de pompier chez l’employeur depuis 2006. En 2019, il fait l’objet d’un diagnostic de cancer des testicules, qu’il estime résulter de l’exposition à des contaminants dans son milieu de travail. Par conséquent, il réclame au Tribunal de reconnaître son diagnostic comme une maladie professionnelle.

Avant d’analyser le dossier en cause, le Tribunal rappelle le cadre juridique pertinent à l’affaire. À moins de bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la Loi sur les accidents et les maladies professionnelles [5](« LATMP »), ce qui n’est pas le cas en l’espèce, afin d’établir qu’il a subi une maladie professionnelle, le travailleur doit démontrer de manière prépondérante que sa maladie est caractéristique de son travail ou directement reliée aux risques particuliers de celui-ci.

Dans son analyse sur le fond, le Tribunal reconnaît que le cancer des testicules chez les pompiers constitue une maladie professionnelle au sens de la LATMP, parce qu’il est caractéristique du travail de pompier et est également directement relié aux risques particuliers qui en découlent. Il justifie cette décision sur la base de trois éléments :

  • Le travail de pompier expose le travailleur à des contaminants cancérigènes (ex. : vapeurs de diesel, contaminants résultants de la combustion, chlorure de vinyle, benzène), et ce, surtout avant 2017 en raison du fait que la protection respiratoire des pompiers était lacunaire;
  • L’existence de mécanismes biologiques qui expliquent le développement de cancer des testicules résultant d’une exposition à de tels contaminants. Le Tribunal retient que certaines de ces substances cancérigènes constituent des perturbateurs endocriniens qui peuvent pénétrer par la peau et affecter le système reproducteur masculin;
  • La littérature médicale mise en preuve démontre de manière prépondérante une incidence plus élevée de ce type de ce cancer chez les pompiers que dans la population en général.

Pour ces motifs, le Tribunal accueille la contestation du travailleur et déclare qu’il a subi une maladie professionnelle.

L’employeur a refusé la demande d’une employée d’aménager son horaire de travail et a mis fin à son emploi

Dans l’affaire Ville de Montréal et Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal[6], l’arbitre devait statuer sur un grief contestant le refus de la ville d’autoriser la plaignante à travailler selon un horaire de travail lui permettant d’occuper un autre emploi, de même que la terminaison d’emploi qui s’en est suivie.

La plaignante occupait un poste de bibliothécaire occasionnelle à temps partiel. À ce titre, elle travaillait pendant environ quinze heures par semaine de façon régulière et en fonction d’un horaire fixe. Il lui était également possible d’ajouter des heures en remplacement dans l’une ou l’autre des bibliothèques de la ville.

La preuve a révélé que la plaignante a obtenu un emploi à la SAAQ, pour lequel l’horaire de travail était incompatible avec celui de son poste de bibliothécaire à la ville. Dans ce contexte, elle a cherché à savoir si la ville était disposée à aménager son horaire de travail afin de lui permettre d’éviter de manquer à son obligation de disponibilité, tout en étant en mesure de travailler à la SAAQ. Or, la ville a refusé un tel aménagement pour des raisons opérationnelles.

Le débat portait principalement sur deux questions.

Dans un premier temps, la ville prétendait que la plaignante avait démissionné, ce qui était contesté par le syndicat. L’arbitre conclut en lien avec cet argument que la plaignante n’a pas exprimé de façon claire son désir de démissionner de son emploi, ayant plutôt démontré qu’elle désirait simplement aménager sa relation d’emploi avec la ville afin d’occuper un autre emploi à la SAAQ. Ainsi, la ville a été placée devant la volonté de la plaignante de revoir les paramètres de la relation d’emploi et, devant son insistance, a pris la décision de mettre fin au lien d’emploi. Il ne s’agissait donc pas d’une démission.

Dans un deuxième temps, le syndicat prétendait que les agissements de la ville étaient déraisonnables, en ce qu’elle aurait dû accommoder la plaignante. En lien avec cet argument, l’arbitre conclut que, bien que la démarche de la plaignante était légitime, la ville n’avait pas l’obligation de convenir d’aménagement dans la mesure où cela lui causait des problèmes opérationnels. L’arbitre souligne que l’argument d’accommodement au soutien du grief n’était pas fondé sur un droit fondamental.

Évidemment, un employeur ne peut refuser sans un motif valable de considérer une telle demande, à défaut de quoi la décision pourrait être qualifiée de déraisonnable. Or, l’arbitre retient que, dans le présent cas, la ville a fait valoir des arguments sérieux qui soutiennent sa décision. L’arbitre rejette l’argument du syndicat quant aux 20 années de service de la plaignante. En effet, ses années de service ne sont pas un critère utile dans un tel contexte et n’imposaient pas à la ville de traiter la plaignante différemment.

Pour ces motifs, l’arbitre rejette le grief.