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Droit du travail

Droit du travail et de l’emploi – Avril 2021

Table des matières

Boni et discrimination

Dans une récente affaire1, l’arbitre Côté a eu à décider de trois griefs où les plaignants contestaient la décision de leur employeur de réduire le montant qui leur a été accordé à titre de bonification annuelle selon la durée d’une absence au cours de l’année de référence. Il avait été mis en preuve que les plaignants s’étaient absentés en raison d’une maladie et d’un congé de paternité. Le syndicat invoquait que la réduction du boni des plaignants était discriminatoire.

Dans son analyse, l’arbitre suggère que le litige porte essentiellement sur le groupe de comparaison qui doit être retenu par le tribunal. L’employeur invoquait que le groupe de comparaison à retenir devait être composé de tous les salariés qui s’absentaient pour une période supérieure à quatre semaines durant l’année de référence. À ce titre, il avait été mis en preuve qu’une absence inférieure à quatre semaines n’avait aucun impact sur le calcul du boni. Pour sa part, le syndicat suggérait plutôt que le groupe de comparaison soit composé de tous les salariés au travail, de même que les salariés absents.

L’arbitre conclut que les plaignants ont été exclus des avantages du programme de la bonification pour les périodes au cours desquelles ils ont été absents. Selon l’arbitre, ceci portait atteinte au droit à l’égalité des deux plaignants. Il ne retient pas le groupe de comparaison proposé par l’employeur, parce que celui-ci ne prend pas en considération que l’absence du travail est intrinsèquement reliée à la notion de handicap ou de l’état civil. Ceci a eu pour conséquence que les plaignants ont été privés du versement complet du boni, alors que ceux qui n’étaient pas absents ou qui l’ont été pour moins de quatre semaines ont pu en bénéficier.

Pour l’arbitre, cette méthode de calcul a un effet disproportionné pour les personnes qui doivent s’absenter plusieurs semaines en raison d’un handicap ou en raison de leur état civil. Si l’arbitre considère louable l’objectif de l’employeur de partager les bénéfices de l’entreprise avec ceux qui ont fourni une prestation de travail, il conclut que les critères et conditions qui donnent droit à ce boni sont discriminatoires.

L’arbitre accueille donc les griefs et ordonne à l’employeur de verser aux plaignants le montant qui leur aurait été versé s’ils avaient été au travail durant l’année financière.

La doctrine des laches et la fin de non-recevoir de griefs

Dans l’affaire Unifor, section locale 2013 et Syndicat canadien de la fonction publique2, l’arbitre Mercier devait se prononcer sur deux griefs relatifs à des avantages sociaux déposés respectivement en décembre 2010 et en avril 2011. L’employeur soulevait une objection préliminaire voulant que les griefs soient périmés considérant le délai de neuf années qui s’est écoulé entre leur dépôt et le moment de la demande de nomination d’un arbitre, soit en octobre 2019.

Le syndicat plaidait que l’employeur n’a pas démontré le bien-fondé de son objection puisque les griefs n’auraient jamais été abandonnés et que ceux-ci ont toujours été actifs. De plus, le syndicat prétend que l’employeur n’a soumis aucune preuve solide quant au préjudice, preuve primordiale afin de pouvoir juger du bien-fondé de l’objection préliminaire.

Afin d’analyser la situation, l’arbitre fait référence à la doctrine des laches qui s’articule autour d’une présomption d’abandon des recours. Celle-ci permet d’opposer une fin de non-recevoir à un recours lorsque le requérant a été négligent pour se prévaloir de droit d’action et qu’il en résulterait un préjudice indu pour l’adversaire. L’arbitre précise que la jurisprudence arbitrale exige que le délai soit un indu, c’est-à-dire qu’il ne doit ni être raisonnable ni justifié pour que la doctrine des laches puisse s’appliquer. Il faut aussi montrer l’existence d’un préjudice, de même que d’un lien causal entre le retard et le préjudice.

Dans son analyse du délai, l’arbitre juge déraisonnable le fait qu’il se soit écoulé neuf ans entre le dépôt desdits griefs et la demande de nomination d’un arbitre, les griefs sont alors présumés abandonnés. La preuve démontre une inertie du syndicat et l’arbitre conclut que ce dernier n’a pas réussi à renverser la présomption.

L’arbitre souligne également que la convention collective exige que les étapes de la procédure des griefs doivent être entreprises sans délai excessif et que les parties doivent s’efforcer d’accélérer celle-ci et arriver à une entente finale dans les plus brefs délais. Cela n’a en l’occurrence pas été respecté par le syndicat. De plus, le fait que l’employeur ait continué à participer à des rencontres avec le syndicat, et ce, même après avoir annoncé qu’il considérait les griefs abandonnés, n’a aucune importance. L’arbitre conclut finalement que l’employeur n’avait pas à faire la preuve d’un réel préjudice étant donné que le syndicat n’a pas fourni d’explication valable pour justifier le délai de neuf ans.

L’arbitre accueille donc l’objection préliminaire de l’employeur et rejette les deux griefs.

Congédiement d’une préposée aux bénéficiaires : Agression d’une personne vulnérable

Dans l’affaire Syndicat des salariés(es) de résidences de la région de Montréal (CSD) et Manoir Claudette Barré3, le syndicat contestait le congédiement imposé à une préposée aux bénéficiaires ayant commis une agression physique à l’égard d’une résidente âgée et atteinte de troubles cognitifs.

La preuve démontrait que la préposée avait saisi par les poignets la résidente pendant de longues secondes, ce qui lui avait occasionné des ecchymoses. Le syndicat faisait valoir la thèse de la légitime défense puisque la résidente avait mis sa main devant la bouche de la préposée pour l’amener à se taire quelques instants avant l’agression. Il prétendait que la préposée n’avait cherché qu’à se défendre.

L’arbitre reconnaît que la préposée a pu se sentir menacée lorsque la résidente a levé la main vers elle. Il note cependant que la préposée ne faisait pas face à une inconnue tentant de l’agresser sur la rue, mais plutôt à « une des pensionnaires dont elle est chargée d’assurer le confort et la sécurité, d’une personne vulnérable qu’elle doit protéger et non pas agresser4 ». De plus, il avait été démontré que la préposée avait elle-même initié l’altercation avec la résidente en se dirigeant de manière agressante vers cette dernière. La thèse de la légitime défense a été écartée et l’arbitre conclut donc que les gestes posés étaient inacceptables.

L’arbitre retient que la faute commise était grave bien que les fonctions de préposé aux bénéficiaires pouvaient s’avérer très difficiles. La préposée en question a manqué à son devoir de traiter la résidente avec courtoisie, respect et dignité justifiant ainsi le congédiement.

Le refus de travail peut-il être invoqué pour ne pas porter le masque en situation de pandémie?

Dans l’affaire Fiset et Olymel Yamachiche5, le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») devait statuer sur le droit du travailleur de refuser de porter un masque à son poste de travail comme lui demandait son superviseur et en application des mesures prises par l’employeur pour prévenir les risques de contamination de la COVID-19.

Au printemps 2020, une éclosion de la COVID-19 avait eu lieu parmi les travailleurs, forçant un ralentissement temporaire des activités. Cela avait mené l’employeur à instaurer des mesures additionnelles de protection, incluant le port du masque, de lunettes et de séparateurs entre les postes de travail.

Arrivé à son poste de travail, le travailleur a retiré son masque puisque, selon lui, la distance de plus de deux mètres entre ses collègues et les séparateurs étaient suffisants.

Au soutien de son droit de refus, le travailleur alléguait que le port du masque entraînait un danger par manque d’oxygène, par accumulation de dioxyde de carbone et par contamination bactérienne causée par la chaleur et l’humidité sous ce masque. De plus, le risque de contamination était augmenté du fait qu’il toucherait nécessairement son masque pendant la journée de travail. Selon lui, le port du masque était inefficace et comportait plus de risques que d’avantages.

Le TAT retient qu’au moment où le travailleur a enlevé son masque et a refusé de le remettre, il n’appréhendait aucun danger. Il trouvait simplement illogique le port obligatoire d’un masque inefficace. De plus, l’utilisation du droit de refus était un prétexte pour justifier un acte d’insubordination et pour tenter de contrecarrer des mesures disciplinaires potentielles.

Bien que le désir de s’exprimer et de défendre son point de vue soit légitime, le véhicule pris pour y parvenir n’est pas le bon.

Ainsi, aucun motif raisonnable et objectif ne permettait au travailleur de refuser d’exécuter son travail. En refusant d’adhérer à une mesure de prévention prise par l’employeur avec l’aval de la santé publique en pleine crise sanitaire, le travailleur a mis en péril sa santé et celle de ses collègues, en plus de s’exposer à des mesures disciplinaires. Il a tenté de justifier son comportement après coup par l’usage abusif d’un droit de refus.

Le TAT déclare donc qu’il n’existait pas de danger justifiant un refus de travail.

Inconstitutionnalité d’une loi de retour au travail

Dans le contexte des négociations devant mener au renouvellement de la convention collective des juristes de l’État, échue depuis mars 2015, l’Assemblée nationale a adopté une loi, en février 2017, forçant le retour au travail et établissant un processus menant à une nouvelle convention collective, qu’il y ait entente ou non.

Cette loi a été contestée par le syndicat représentant les juristes de l’état, lequel invoquait la liberté d’association. La Cour supérieure a déclaré la loi invalide, ce que vient de confirmer la Cour d’appel6.

Les relations entre les parties ont été marquées par des lois de retour au travail. La ronde de négociation devant mener au renouvellement de la convention collective expirant le 31 mars 2015 a été particulièrement difficile pour les parties. En bref, les juristes de l’État réclamaient un statut similaire à celui des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, ainsi qu’un régime d’établissement des conditions de travail similaire, ce que refusait le gouvernement.

Devant l’échec des négociations, les juristes de l’État ont déclaré une grève générale au mois d’octobre 2016. En janvier 2017, l’Assemblée nationale a adopté la Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation de ces services juridiques7 (la « Loi 2017 »), laquelle mettait fin à la grève, ordonnait le retour au travail, et permettait une période de négociation additionnelle de 60 jours, suivie d’une période de médiation de 45 jours (où il ne pourrait pas être sujet d’un statut similaire à celui des procureurs aux poursuites criminelles et pénales) et, en cas d’échec, la loi prévoyait les conditions de travail qui seraient applicables.

La Cour d’appel est d’abord d’avis que l’arrêt Saskatchewan de la Cour suprême8 demande que le droit de grève, lorsqu’il est entièrement retiré, soit remplacé par un véritable mécanisme de règlement des différends. Un tel mécanisme doit être indépendant et impartial, et ne doit pas permettre à une partie de dicter ses conditions à l’autre. La Cour d’appel note cependant que des cas exceptionnels peuvent se présenter, sans élaborer sur ceux-ci.

Constatant donc qu’en adoptant la Loi 2017, le droit de grève avait été complètement retiré aux juristes de l’état, la Cour d’appel constate une entrave substantielle à la liberté d’association.