Fermer
Recherche:
Publications
Assurances et litige civil
Droit du travail

Droit du travail et de l’emploi – Mai 2021

Table des matières

Offre d'emploi et mitigation des dommages

Dans un jugement récent, la Cour d’appel s’est prononcée sur l’obligation d’une employée d’accepter une offre d’emploi de son employeur afin de minimiser ses dommages.

Les faits ayant mené à la décision de la Cour d’appel sont relativement simples. Alors que l’employée était en congé de maladie, son poste de directrice de gestion de projets a été aboli suite à une restructuration. Un poste de chef de gestion de projets lui a été offert par l’employeur, plutôt qu’un poste de directrice. Il apparaissait toutefois de la preuve que le poste de chef de gestion de projets comportait une diminution significative du revenu, un régime de retraite moins avantageux et la perte d’avantages importants.

De même, malgré la restructuration, un nouveau poste de directrice avait été créé. Celui‑ci avait été offert à la personne ayant remplacé l’employée, alors que celle-ci était en congé de maladie.

Par voie de mise en demeure, l’employée a indiqué à l’employeur son refus d’accepter le nouveau poste de chef de gestion de projets, considérant que celui-ci était une rétrogradation par rapport à son ancien poste. Elle a ensuite entrepris une poursuite où elle réclamait la somme de 280 000,00 $. Le juge de la Cour supérieure a conclu que l’employée avait fait l’objet d’un congédiement déguisé et a donc condamné l’employeur à verser notamment une indemnité de fin d’emploi.

L’une des questions qui se posaient était de savoir si l’employée avait mitigé ses dommages, l’employeur présentant un argument à l’effet qu’elle aurait dû accepter le poste de chef de gestion de projets qui lui était offert en exécution de son obligation de mitiger ses dommages. Le juge de la Cour supérieure a écarté cet argument, ce qui a donné lieu au premier moyen d’appel de l’employeur. Celui-ci se fondait sur un arrêt de la Cour suprême du Canada.

La Cour d’appel conclut à ce titre que l’employée n’avait pas à accepter l’offre de son employeur. Elle conclut que l’employée « […] pouvait raisonnablement soutenir que d’accepter ce nouveau poste à ces conditions et au su de ses anciens collègues aurait été gênant, voire humiliant, pour elle après plus de 31 ans de service […] ». Elle rejette donc ce moyen d’appel.

Demande préliminaire pour obtenir une ordonnance en anonymat : L’absence de risque sérieux

Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est-CSN et Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est5, le syndicat avait présenté une requête préliminaire afin d’obtenir une ordonnance en anonymat de la plaignante. Il demandait que cette dernière soit identifiée selon ses initiales dans la sentence arbitrale devant être rendue sur le fond.

Les motifs invoqués au soutien de cette demande étaient en lien avec le risque d’atteinte à la réputation et à la vie privée de la plaignante qui avait été congédiée pour avoir posé des gestes à caractère sexuel auprès d’une patiente.

En début d’analyse, l’arbitre a pris soin d’insister sur la primauté du caractère public des débats judiciaires consacrée à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne. Elle a ainsi rappelé qu’en principe « le potentiel d’une atteinte à la réputation, la honte ou encore l’embarras pouvant résulter de la participation à une action en justice ne sont pas des raisons suffisantes justifiant une demande d’anonymat6 ».

L’arbitre a ensuite analysé si le syndicat avait démontré l’existence d’un risque sérieux pour la bonne administration de la justice militant en faveur de l’anonymat de la plaignante. Elle a retenu que les risques invoqués n’étaient pas suffisamment étayés par la preuve. Il convient de préciser que le dossier en était toujours au stade préliminaire alors qu’aucune preuve n’avait été entendue quant aux reproches adressés à la plaignante. L’argument du syndicat voulant que la plaignante risquait de se désister de son grief en cas de rejet de la demande d’anonymat n’a pas été retenu par l’arbitre. Cette dernière a ainsi conclu que la preuve présentée ne permettait pas d’écarter le principe de la publicité des débats.

L’obligation d’accommodement en cas d’absentéisme excessif pour des motifs multiples

Dans l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière et Syndicat des travailleuses et travailleurs du CISSS de Lanaudière-FSSS-CSN7, l’arbitre était saisi d’un grief contestant la fin d’emploi de la travailleuse, préposée à l’entretien ménager, en raison d’un taux d’absentéisme excessif.

D’abord, l’arbitre retient que le taux d’absentéisme de la travailleuse au cours des cinq années précédant son congédiement, soit de 56,10%, était excessif. En effet, un taux d’absentéisme excédant la moitié du temps prévu au contrat de travail et dépassant plus de quatre fois la moyenne de ses collègues au cours de la même période est excessif, à moins d’une explication particulière et bien documentée.

Par ailleurs, puisque le taux d’absentéisme excessif était occasionné par une multitude de diagnostics, autant physiques que psychologiques, il incombait à la travailleuse de démontrer qu’elle pourrait fournir une prestation de travail normale et régulière dans le futur. Or, cette preuve n’a pas été faite.

Quant à l’argument du syndicat selon lequel l’employeur n’a pas respecté son obligation d’accommodement, l’arbitre mentionne que, pour bénéficier du droit à l’accommodement, la travailleuse devait démontrer avoir été victime de discrimination sur la base d’un des motifs mentionnés à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Selon l’arbitre, le seul motif pouvant se rapprocher de la condition invoquée par la travailleuse était le handicap. Or, il est difficile de parler de handicap lorsque les motifs d’absence sont aussi variés. De toute façon, puisque le motif de la fin d’emploi de la travailleuse était l’historique de sa prestation de travail et non un handicap, l’employeur n’avait pas d’obligation d’accommodement.

À tout évènement, même si l’employeur avait eu une telle obligation, il a fait la preuve qu’il a accommodé la travailleuse à plusieurs reprises dans le passé. Il aurait subi une contrainte excessive de devoir reprendre la travailleuse à son emploi.

Pour ces motifs, l’arbitre rejette le grief.

Congés pour obligations familiales

Dans l’affaire Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 et Keurig Canada inc.8, l’arbitre Mercier était saisi de griefs contestant la politique de l’employeur prévoyant que les deux premières journées d’absence (obligation familiale et maladie) de tout employé syndiqué seraient automatiquement rémunérées à même leurs banques de journées de maladie.

Or, l’article 79.7 de la Loi sur les normes du travail prévoit le droit de tout salarié de s’absenter du travail pendant 10 jours par année pour remplir des obligations liées à la garde, à la santé ou à l’éducation de son enfant, ou en raison de l’état de santé d’un parent. Ce même article prévoit aussi que les deux premières journées prises annuellement sont rémunérées.

Pour sa part, la convention collective accordait aux salariés une banque de journées de maladie de 48 heures pour les salariés à l’emploi depuis un an. La même banque prévoit que ces journées peuvent être utilisées en cas d’absence pour obligations familiales.

La banque pour le salarié à l’emploi de l’employeur depuis moins d’un an était de huit heures par période de trois mois de travail.

L’arbitre constate que les dispositions prévues à la convention collective sont plus avantageuses que celles de la Loi sur les normes du travail en ce qui concerne les absences pour obligations familiales et pour cause de maladie pour les salariés à l’emploi depuis plus d’un an.

Cependant, pour un employé ayant trois mois de travail, celui-ci n’a droit qu’à huit heures payées, alors que la Loi sur les normes du travail lui accorderait deux jours de travail payés.

En conséquence, la disposition est invalide, puisqu’elle a pour effet d’accorder à certains salariés des droits moindres que ce que prévoit la Loi sur les normes du travail.

Suspension de six semaines pour avoir consommé de la marijuana sur les lieux de travail

Dans l‘affaire Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce et Canam bâtiments et structures inc.9, l’arbitre Cléroux devait se prononcer sur la suspension de six semaines imposée à un assistant-inspecteur auquel on reprochait d’avoir consommé de la marijuana sur les lieux de travail, en contravention de la politique de tolérance zéro de l’employeur en la matière.

Deux cadres avaient surpris le plaignant dans une pièce où flottait une odeur de cannabis. Questionné par son contremaitre, le plaignant était resté vague et avait indiqué à l’employeur qu’il devrait prouver qu’il a effectivement consommé sur les lieux de travail. Il nie avoir consommé de la drogue et mentionne qu’il a plutôt fumé de la marijuana la veille. Il accepte ainsi de passer un test de dépistage, les résultats sont positifs. L’avis de suspension soulève deux reproches au plaignant, soit qu’il a consommé de la drogue sur les lieux de travail pendant sa pause et qu’il est retourné à son poste avec des facultés affaiblies par la suite.

Pour ce qui est du premier reproche, l’arbitre Cléroux souligne que personne n’a vu le plaignant en train de fumer de la marijuana, seulement l’odeur distincte de ce type de drogue a été perçue par les témoins. Le tribunal accorde beaucoup d’importance au fait que le plaignant n’a pas nié à son contremaitre la consommation de marijuana, mais le met plutôt au défi de le prouver. L’arbitre conclut que le plaignant a bel et bien consommé sur les lieux du travail lors de sa pause. L’absence de preuve matérielle, telle que cendre ou mégot, n’empêche pas le tribunal d’arriver à cette conclusion.

Pour ce qui est du deuxième reproche, on souligne que le test de dépistage indique seulement la présence de marijuana et ne fait pas preuve directe de facultés affaiblies. En effet, contrairement à l’alcool où la loi introduit des éléments scientifiques pour déterminer le seuil où les facultés sont affaiblies, un tel seuil n’existe pas dans le cas de la consommation de marijuana. Toutefois, comme le tribunal a reconnu que le plaignant avait consommé lors de sa pause, on doit conclure que ses facultés sont affaiblies lorsqu’il est retourné à son poste.

Même si l’employeur n’a pas procédé à l’analyse des facteurs atténuants et aggravants, le tribunal ne retrouve pas de facteurs atténuants qui peuvent justifier une intervention sur la sanction imposée. Le grief est alors rejeté, la suspension de six semaines est confirmée. Les fautes sont graves et la sanction relativement sévère, mais elle est appropriée en regard à toutes les circonstances de l’affaire.