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Droit du travail

Droit du travail : consultez notre sélection des décisions récentes

Table des matières

Lisez la sélection des décisions récentes et importantes en droit du travail préparée par les avocates et les avocats de Bélanger Sauvé.

Une agression sur un agent de sécurité considérée comme faisant partie des risques inhérents aux activités de l’employeur

Dans l’affaire Sécuritas Canada ltée[1], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») devait déterminer s’il est injuste de faire supporter à l’employeur, une entreprise de sécurité se spécialisant en services de protection, le coût d’un accident du travail attribuable à un tiers.

Le travailleur, un agent de sécurité, a été agressé de façon inattendue par un intrus lors d’une de ses patrouilles. Il a reçu une tige d’aluminium dans le dos par l’intrus et ce dernier s’est ensuite rué sur l’agent de sécurité pour le frapper avec ses mains et ses pieds. Cet accident a entrainé une luxation du 5e doigt gauche ainsi qu’une contusion au thorax. L’employeur a alors demandé à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « Commission »), en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2], de transférer aux employeurs de toutes les unités l’imputation du coût de ces prestations au motif que l’accident du travail est attribuable à un tiers et qu’il en supporte le coût injustement.

La Commission a refusé cette demande en indiquant qu’il n’est pas injuste de faire supporter le coût de l’accident à l’employeur puisqu’il fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble de ses activités. La Commission a confirmé cette décision à la suite d’une révision administrative.

Le TAT s’attarde donc aux activités de l’employeur et mentionne que sa mission est de « déployer tous les efforts possibles afin de protéger les propriétés, les lieux de travail et les communautés en fournissant un service de sécurité de grande qualité ». Les tâches du travailleur consistent à surveiller, garder ou protéger des personnes, des biens et des lieux. D’ailleurs, le Décret sur les agents de sécurité prévoit en outre qu’un agent recevra une prime s’il est assigné à certaines institutions et est appelé à intervenir physiquement dans l’exercice normal et habituel de ses fonctions. Aussi, le Guide pour le personnel de sécurité, rédigé par l’employeur, prévoit que l’agent utilisera la force uniquement lorsque cela sera nécessaire pour protéger les autres et lui-même d’un danger évident et immédiat de blessure corporelle.

Bien que le TAT conclut que l’accident est bel et bien attribuable à un tiers, il détermine que l’accident fait partie des risques inhérents aux activités de l’employeur. En effet, l’accident survient pendant que le travailleur exerce son rôle d’agent de sécurité, et ce, pour que la mission de l’employeur consistant à protéger la propriété de son client soit remplie. De plus, le TAT détermine que les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance de l’accident du travail ne sont pas extraordinaires, inusitées, rares ou exceptionnelles. À cet égard, la preuve démontre que l’agent est susceptible de rencontrer des personnes particulièrement difficiles ou agressives dans le cadre de son travail, car le Guide précise que l’agent doit tenter de désamorcer la situation lorsqu’il a affaire à une telle personne.

En conséquence, le TAT rejette la contestation de l’employeur, et déclare que l’imputation du coût de ces prestations au dossier de l’employeur demeure inchangée.

Un accident survenu lors d’un événement organisé par l’employeur peut néanmoins être considéré comme une activité relevant de la sphère personnelle

Dans l’affaire Murphy c. Ville de Léry[3], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») avait à déterminer si une travailleuse avait subi un accident à l’occasion du travail en participant à un jeu consistant à lancer un sapin de Noël dans le contexte d’un événement organisé par l’employeur. La travailleuse avait accepté de travailler au cours de cet événement de Noël qui était destiné aux citoyens. Elle devait ainsi installer le site, tenir un kiosque et démanteler les installations à la fermeture du site. Suivant le départ des derniers citoyens et le démantèlement des installations, la coordonnatrice de l’événement avait proposé à la travailleuse de demeurer sur les lieux en présence de collègues et de bénévoles afin de participer au jeu du lancer du sapin. C’est dans ce contexte que la travailleuse s’est blessée au genou.

La juge administrative rappelle d’abord qu’un accident survient à l’occasion du travail lorsqu’il existe un lien de connexité entre l’activité exercée au moment de l’accident et le travail. En effet, il ne peut s’agir d’une lésion professionnelle lorsque l’activité ayant occasionné la blessure s’inscrit dans la sphère personnelle du travailleur.

Dans le cas en litige, il n’était pas contesté que l’accident était survenu sur les lieux du travail. Cela dit, la juge administrative retient que la travailleuse avait terminé sa journée de travail lorsqu’elle s’est prêtée au jeu du lancer du sapin, alors qu’elle n’était plus rémunérée. Elle retient également que le lancer du sapin ne faisait pas partie des tâches que devait réaliser la travailleuse et que l’événement organisé par l’employeur ne l’était pas au bénéfice de ses employés, mais plutôt au bénéfice des citoyens. Or, tous les citoyens avaient quitté au moment où la travailleuse s’est blessée.

La juge retient ainsi que le lancer du sapin n’avait aucune utilité pour l’employeur qui ne pouvait contrôler ce que ses employés choisissaient de faire à la fin de leur quart de travail. La preuve démontrait également que de l’alcool avait été consommé sur les lieux à la suite du départ des citoyens alors que l’événement organisé par l’employeur n’impliquait aucunement la présence d’alcool. Ce facteur constituait un indice démontrant que la journée de travail était effectivement terminée.

Il a ainsi été déterminé que l’accident subi par la travailleuse ne s’est pas produit à l’occasion du travail alors que le jeu auquel elle a participé relevait de sa sphère professionnelle. La réclamation a été rejetée pour ce motif.

L’obligation de divulgation d’informations médicales d’un candidat à l’embauche

Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec)[4], la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après la « Commission ») s’est pourvue devant la Cour d’appel contre une décision rendue par le Tribunal des droits de la personne qui a partiellement rejeté sa demande introductive d’instance et a conclu que le refus de la Sûreté du Québec (ci-après la « SQ ») d’embaucher le plaignant n’était pas discriminatoire et qu’il était justifié par les fausses déclarations de ce dernier dans le cadre du processus d’embauche.

Désirant poursuivre sa carrière comme policier à la SQ, le plaignant a décidé d’entamer le processus de recrutement au cours duquel il a dû notamment remplir un questionnaire médical ainsi qu’un questionnaire administratif de préembauche et se soumettre à une évaluation médicale. Or, en aucun temps au cours de ce processus, il n’a divulgué qu’il souffrait d’un syndrome de Gilles de la Tourette (ci-après le « SGT ») ou encore fait état des consultations psychologiques qu’il a eues en lien avec ses relations difficiles avec les femmes.

La Cour d’appel rappelle tout d’abord que, bien que le fait de demander des informations de nature médicale dans un questionnaire préembauche constitue une violation de la Charte des droits et libertés de la personne[5] (ci-après la « Charte »), l’employeur peut être justifié de requérir ce genre d’informations dans le cadre d’un processus d’embauche dans la mesure où cela lui permet « […] de s’assurer que le candidat possède les aptitudes et qualités requises afin d’exécuter les tâches qui lui sont confiées de manière sécuritaire pour lui et pour autrui ». Ce genre de questions ne doit pas avoir pour objectif le recrutement de candidats en bonne santé afin de se prémunir contre un taux d’absentéisme élevé. Dans un tel contexte, le fardeau appartient à l’employeur de démontrer que « les renseignements sont requis dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause et qu’ils sont raisonnablement nécessaires pour réaliser ce but légitime lié au travail ».

Ensuite, la Cour d’appel conclut que, considérant les aptitudes et qualités requises par le travail de policier, la SQ est justifiée de requérir des informations sur l’état neurologique ainsi que psychologique des candidats. Par ailleurs, elle énonce que le caractère discriminatoire d’une question ne libère pas le candidat de divulguer les informations médicales qui, à sa connaissance, pourraient préoccuper un futur employeur. Elle rappelle qu’en l’espèce, le SGT avait été une source de préoccupation pour le plaignant pour ses emplois antérieurs aux Forces armées canadiennes et lorsqu’il a occupé un poste d’agent correctionnel. Il aurait dû savoir que ce genre d’information était pertinente aux fins de son embauche à la SQ et ne pouvait être dissimulée.

Pour conclure, la Cour d’appel fait siennes les prétentions de l’intimé et conclut que la SQ était justifiée de ne pas embaucher le plaignant, non pas en raison de ses conditions médicales, mais bien pour avoir dérogé au devoir d’intégrité que commande la fonction de policier en vertu de la Loi sur la police[6] en omettant volontairement de divulguer des informations médicales qu’il devait savoir pertinentes à l’embauche. Les agissements du plaignant ont ainsi ébranlé le lien de confiance avec son potentiel employeur.

Pour ces motifs, l’appel a été rejeté.

La suspension disciplinaire de 15 jours imposée à une enseignante en raison de gestes violents à l’endroit d’un élève est confirmée

Dans l’affaire Syndicat de l’enseignement de l’Ouest de Montréal (FAE) c. Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys[7], l’arbitre avait à analyser une preuve contradictoire afin de déterminer si l’employeur avait démontré de manière prépondérante les faits reprochés à la plaignante et si, le cas échéant, ceux-ci justifiaient la mesure disciplinaire imposée.

La plaignante, une enseignante au primaire, avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire, soit une suspension disciplinaire de 15 jours, au motif d’inconduite et pour avoir manqué de jugement professionnel en raison d’agissements violents à l’endroit d’un élève de sa classe. En somme, l’employeur lui reprochait d’avoir crié après un élève, de l’avoir tiré par le capuchon de son chandail, de l’avoir pointé du doigt au niveau de son visage, de l’avoir empoigné par le chandail au niveau de l’épaule et de l’avoir secoué pendant environ 10 secondes. Tant lors de la rencontre disciplinaire que lors de l’audition, la plaignante a admis qu’elle était en colère, qu’elle a perdu patience contre l’élève et qu’elle a parlé fort, voire crié après l’élève. Elle n’a toutefois pas admis les autres gestes reprochés.

Lors de l’audition, la preuve présentée de part et d’autre reposait sur les versions contradictoires des deux seuls témoins présents lors de l’incident survenu dans la classe, soit la plaignante et une collègue. L’arbitre a rappelé dans sa décision les critères ayant été élaborés par la Cour suprême du Canada en regard à l’évaluation de la crédibilité devant être accordée aux témoignages contradictoires, tels que « le comportement, la cohérence et la compatibilité avec d’autres éléments de preuve ». Cela dit, l’arbitre a également rappelé que l’appréciation de la crédibilité d’un témoin ne doit pas se limiter à l’analyse de son comportement à l’occasion de sa comparution à l’audience. De plus, l’intérêt d’un témoin à rendre témoignage est également un critère à considérer.

En l’espèce, l’arbitre a évalué que le témoignage de la collègue était plus crédible que celui de la plaignante, étant plus affirmatif et moins hésitant. La plaignante s’était quant à elle montrée sur la défensive lors de son témoignage et avait tenté de se justifier par tout moyen, ce qui a entaché sa crédibilité. Par la suite, le seul élément n’ayant pu être prouvé par une preuve directe était le fait que la plaignante ait tiré l’élève par le capuchon, cet élément ayant été rapporté par un autre élève qui n’a pas témoigné à l’audition. Le syndicat ne s’étant opposé à cette preuve par ouï-dire que lors des représentations finales, l’arbitre n’a donc pas rejeté cette preuve. En effet, ce dernier a jugé que l’objection n’avait pas été présentée en temps opportun et que les principes fondamentaux de justice avaient été respectés.

Enfin, l’arbitre a déterminé que les faits reprochés à la plaignante ont été prouvés et que ceux-ci n’ont pas révélé qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait évalué que l’usage de la force était inévitable ou même nécessaire. De plus, la gravité des gestes en l’espèce permettait de passer outre le principe de la gradation des sanctions. À cet égard, l’arbitre a souligné l’importance du rôle d’une enseignante, soit d’être un modèle pour ses élèves et d’intervenir avec vigilance et bienveillance.

Ainsi, la suspension disciplinaire de 15 jours a été maintenue et le grief a été rejeté.

L’employeur ne pouvait congédier une employée en raison de son absence pour des obligations familiales

Dans l’affaire Lehuquet c. Fersten Mondial inc.[8], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») devait statuer concernant la plainte pour pratique interdite et la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante déposées par la plaignante.

La plaignante, une chargée de compte sénior, a informé l’employeur qu’il ne lui était pas possible d’être présente au travail à la date demandée, soit le 1er juin 2020. Elle a indiqué ne pas avoir été en mesure de bénéficier de solution alternative pour assumer la garde de ses enfants. L’employeur a alors répondu qu’à défaut d’être présente à la date demandée, un processus disciplinaire serait enclenché, pouvant aller jusqu’au congédiement. Or, l’employeur a mis fin à l’emploi le 2 juin 2020 en raison de son absence.

Tout d’abord, le TAT analyse la prétention de l’employeur selon laquelle la plaignante aurait volontairement démissionné de son emploi en omettant de se présenter au travail, tentant d’utiliser le contexte de la pandémie afin de modifier unilatéralement son contrat d’emploi. Le TAT rejette cette prétention, rappelant que pour être valide, la démission d’un salarié doit être libre et volontaire. Or, la preuve n’a révélé aucune intention de la plaignante de quitter son emploi, au contraire, elle a proposé des alternatives afin de pouvoir fournir sa prestation de travail. C’est plutôt l’employeur qui a pris l’initiative de considérer qu’elle a démissionné après avoir pourtant annoncé l’amorce d’un processus disciplinaire.

Ensuite, le TAT retient que la non-disponibilité de la plaignante en raison de ses obligations liées à la garde de ses enfants a été à l’origine du congédiement. Or, lorsque le droit exercé contribue à la décision de congédier, même dans une infime proportion, la décision de l’employeur s’en trouve alors irrémédiablement corrompue.

Par ailleurs, l’employeur prétendait qu’il était justifié de mettre fin à l’emploi de la plaignante en raison de son défaut de se présenter sur les lieux du travail. Le TAT retient à cet égard que, s’il est vrai que l’employeur est en droit d’exiger que le mode d’exécution de la prestation de travail se déroule en présence physique, il doit exercer sa prérogative de manière raisonnable. Il retient de la preuve que, n’eût été le refus d’effectuer du télétravail, la plaignante aurait pu reprendre son travail.

En conclusion, le TAT retient que la plaignante a été congédiée et a exercé un droit de manière concomitante à sa fin d’emploi, soit de s’être absentée pour des obligations familiales. De plus, cette absence a été la cause du congédiement, l’employeur n’ayant pas fait la preuve ni d’une autre cause réelle et sérieuse dans le cas de la plainte pour pratique interdite ni d’une cause juste et suffisante dans le cas de la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante.

Le TAT accueille les plaintes, mais n’ordonne pas la réintégration de la plaignante, considérant l’impossibilité pour les parties de rétablir un lien de confiance.

Cela dit, cette décision fait présentement l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire, dont il sera intéressant de suivre l’issue.