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Développements récents en matière de responsabilité des villes suivant un combat d’incendie

Table des matières

a) La Loi sur la sécurité incendie

Au cours de l’année 2000, la Loi sur la sécurité incendie[1] (LSI) est entrée en vigueur. Cette législation vise, notamment, à octroyer aux autorités municipales[2] une exonération de responsabilité à l’égard de toute réclamation pouvant être formulée suivant une intervention de leur service d’incendie lors d’une situation d’urgence. Selon les termes de cette Loi, rappelons que l’octroi de cette immunité est conditionnel à l’adoption préalable d’un Schéma de couverture de risques (Schéma) et d’un Plan de mise en œuvre (Plan).

À l’égard du Schéma, celui-ci doit faire état d’objectifs généraux pour optimiser l’efficacité d’un service d’incendie. Ces objectifs se doivent d’être conformes aux Orientations générales du ministre de la Sécurité publique[3] (Orientations). Ces Orientations traitent, notamment, de l’amélioration des mesures préventives et de la structure générale des services d’incendie. Pour sa part, le Plan comporte une série de mesures à prendre ou à réaliser afin de répondre aux exigences du Schéma, notamment en matière d’atteinte de la force de frappe requise lors d’une situation d’urgence. Pour l’essentiel, cette force requiert, suivant un appel d’urgence, l’acheminement sur les lieux d’une intervention d’un nombre minimum de pompiers, avec une quantité minimale d’eau, à l’intérieur d’un délai précis.

L’article 47 LSI[4] précise que l’exonération de responsabilité bénéficie également à l’ensemble des pompiers impliqués lors d’une situation d’urgence, à moins qu’il ne soit démontré qu’une faute lourde ait été commise lors de l’intervention. Cette exonération a été interprétée à quelques reprises par les tribunaux depuis l’adoption de la LSI.

Mentionnons, notamment, que cette immunité couvre non seulement l’intervention des pompiers lors du combat d’un incendie, mais englobe également les procédures de déblai et de recherche dans les décombres[5].

b) L’arrêt Ville de Trois-Rivières

Récemment, la Cour d’appel a précisé à nouveau la portée de l’immunité conférée par l’article 47 LSI. Ainsi, dans l’affaire Ville de Trois-Rivières[6], la Cour s’est prononcée quant au pourvoi de la Ville à l’égard d’un jugement de la Cour supérieure la condamnant à 25% des dommages réclamés par les intimés suivant une intervention de ses pompiers. Essentiellement, le juge de première instance avait écarté l’exonération de responsabilité de la LSI au motif qu’un des objectifs du Schéma n’avait pas été respecté dans le cadre de cette intervention. La Cour supérieure avait retenu la responsabilité de la Ville dans un contexte où le Schéma prévoyait, suivant un appel d’urgence, une arrivée sur les lieux de dix pompiers en 10 minutes, ce qui n’avait pas été respecté dans cette affaire. La Cour d’appel a confirmé qu’une erreur avait été commise par la Cour supérieure en ce que la perte de l’immunité doit découler du non-respect du Plan de mise en œuvre, et non du Schéma dans sa totalité. Néanmoins, la Cour a estimé que cette erreur ne modifiait pas les conclusions du jugement de première instance puisque l’omission de l’appelante d’atteindre le nombre minimal de pompiers requis dans le délai imparti contrevenait également au Plan et entretenait bel et bien un lien de causalité avec l’aggravation des dommages. De plus, la Cour d’appel a précisé que le non-respect du Plan de mise en œuvre n’entraîne que la perte de l’immunité et n’équivaut pas à la présence automatique d’une faute civile. La démonstration d’une telle faute au sens de l’article 1457 C.c.Q. doit être complétée pour retenir la responsabilité de l’autorité concernée[7].

Lorsqu’il y a perte de cette immunité, il serait permis de se référer aux principes déjà dégagés dans l’affaire Chubb du Canada[8]. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a indiqué qu’il est nécessaire qu’une faute caractérisée du service d’incendie soit démontrée pour satisfaire le fardeau de preuve d’un réclamant. La Cour a rappelé, dans cette décision, que la moindre erreur tactique ou stratégique des pompiers lors du combat d’un incendie ne saurait nécessairement constituer une faute. Ces derniers sont appelés à prendre des décisions urgentes sans toutefois disposer de l’ensemble des informations pour les guider adéquatement. Ils devront avoir commis une erreur flagrante dans le respect des règles de l’art.

Ainsi, dans l’arrêt Ville de Trois-Rivières, bien qu’une majorité de la Cour ait estimé que le nombre insuffisant de pompiers dans les premières minutes de l’intervention avait fait entorse au Plan et causé une aggravation des dommages, le juge dissident a plutôt considéré que l’obligation prévue à ce Plan de déployer dix pompiers en 10 minutes était d’application graduelle et n’entrait pleinement en vigueur qu’en 2015. Par conséquent, il a conclu qu’aucune contravention au Plan n’avait été démontrée puisque l’incendie s’était produit le 22 juin 2012. Par conséquent, ce dernier aurait donc rejeté le recours et maintenu l’application de l’immunité.

Finalement, il convient de préciser que les juges majoritaires ont appliqué une interprétation restrictive de la portée de l’immunité prévue à la LSI puisque ce privilège déroge des règles habituelles du droit commun. Quant au juge dissident, il a plutôt été d’opinion que l’immunité doit s’interpréter d’une façon large et inclusive afin de refléter l’intention du législateur d’octroyer une protection aux municipalités dans le cadre de leurs interventions lors de situations d’urgence.

Suivant ces derniers enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Trois-Rivières, nous devons retenir que seule une contravention au Plan de mise en œuvre, et liée aux actes reprochés, pourra faire échec à l’application de l’immunité prévue à l’article 47 LSI. Il est donc très important de bien distinguer les objectifs du Schéma par rapport aux mesures du Plan. Lorsqu’il y a perte de l’immunité, un réclamant devra ensuite démontrer, par prépondérance de probabilités, la présence d’une erreur flagrante dans les règles de l’art en matière de combat d’incendie. Il sera dès lors nécessaire d’administrer une preuve pour démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la faute reprochée et l’étendue finale des dommages.

En date de la rédaction de la présente, le délai pour formuler une demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême n’est toujours pas expiré. Ainsi, le plus haut tribunal du pays pourrait être appelé à analyser l’opinion du juge dissident quant à la portée large et inclusive de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 47 LSI.