Droit du travail et de l’emploi – Octobre 2024
Table des matières
La cour d’appel du québec se prononcera quant à l’article 41.1 de la loi sur les normes du travail
Le 2 octobre dernier, la Cour d’appel a accueilli la demande de permission d’appeler et a autorisé l’appel de l’entreprise Répit-Ressource de l’Est de Montréal[1]. La demande de permission d’appeler faisait suite à une décision de la Cour du Québec rendue le 18 juillet 2024[2], qui a accueilli une demande introductive d’instance de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST »).
Répit-Ressource de l’Est de Montréal est une entreprise d’économie sociale en aide à domicile, offrant différents services notamment à l’entretien ménager ainsi que l’aide aux repas. En raison de la pandémie de COVID-19, plusieurs mises à pied sont survenues au sein de l’entreprise. Lors de la reprise des activités, des difficultés de rétention d’effectifs ont émergé alors que les travailleurs de la santé bénéficiaient de primes et de montants forfaitaires et que certains autres travailleurs pouvaient bénéficier de la prestation canadienne d’urgence mise en place par le Gouvernement fédéral. En réponse à ces difficultés, l’entreprise s’est inspirée des primes offertes et a décidé de verser un montant, qu’elle qualifiait de prime, de 2,00 $ de l’heure aux préposés d’aide à domicile qui étaient disponibles au moins 30 heures par semaine.
Selon la CNESST, cette pratique contrevenait à l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail (ci-après « LNT »)[3], interdisant à l’employeur d’offrir un taux de salaire inférieur en raison du statut d’emploi, ce qui a donné lieu à la demande introductive d’instance.
Selon le témoin de l’entreprise, ce montant octroyé constituait à une prime versée au prorata des heures travaillées en contrepartie d’une disponibilité à laquelle les salariés s’engageaient. Il s’agissait selon lui d’une véritable prime et non d’une hausse de salaire déguisée.
Le tribunal ne retient toutefois pas les arguments de l’entreprise et retient qu’il s’agit plutôt d’une majoration du taux de salaire, ce qui contrevient à l’article 41.1 de la LNT. Selon la juge de la Cour du Québec, l’octroi de prime avait pour effet de créer des catégories de salariés à temps plein et à temps partiel, contrevenant ainsi à l’article 41.1 de la LNT. Elle accueille donc en partie la demande de la CNESST.
Dans sa décision, la Cour d’appel estime que l’interprétation donnée par la juge de première instance à l’article 41.1 de la LNT est susceptible d’avoir un impact sur les droits des justiciables et il s’agit donc d’une décision qui dépasse l’intérêt des parties. Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de ce jugement.
Le congédiement d’un chef d’équipe des ventes faisant l’objet d’accusations criminelles de fraude est jugé discriminatoire
Le Tribunal administratif du travail (ci-après « Tribunal ») est d’avis que le congédiement d’un chef d’équipe des ventes, faisant l’objet d’accusations criminelles de fraude, est discriminatoire au sens de l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne, puisque l’employeur n’a pas démontré un lien entre ces accusations et la nature de l’emploi occupé.
Cette conclusion s’inscrit dans l’affaire Indeed Canada Corp.[1] rendue le 17 septembre dernier.
Le 15 novembre 2022, le plaignant, travaillant chez l’employeur depuis le 10 décembre 2018, d’abord comme chargé de compte puis comme chef d’équipe des ventes, a été arrêté par la police en lien avec des accusations de fraude immobilière. Il a été questionné puis remis en liberté en attente de son procès civil.
Le 21 décembre suivant, apprenant la nouvelle dans les journaux, l’employeur a décidé d’effectuer des recherches sur Internet au sujet du plaignant. Il a alors appris l’existence de jugements civils condamnant le plaignant à environ un million de dollars pour fraude. Il a suspendu ce dernier avec salaire afin de procéder à une enquête.
Le 18 janvier 2023, au terme de son enquête, l’employeur a congédié le plaignant en raison de son implication dans des activités incompatibles avec la mission et les valeurs de l’entreprise.
Alléguant avoir été congédié sans cause juste et suffisante, le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après « LNT »). Il soutient que le reproche en lien avec les jugements civils n’est qu’un prétexte qu’utilise l’employeur pour camoufler la véritable cause de son congédiement, c’est-à-dire des accusations criminelles le visant. Il doit donc, selon lui, bénéficier de la protection de l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après « Charte »).
De son côté, l’employeur soutient au contraire avoir congédié le plaignant pour une cause juste et suffisante, soit en raison de la découverte de jugements civils condamnant le plaignant à environ un million de dollars pour fraude. Il précise que ce ne sont pas les accusations criminelles qui constituent la cause du congédiement, mais bien les jugements en matière civile. Il ajoute que le plaignant a failli à son devoir de loyauté en omettant de l’informer des jugements civils rendus contre lui et de déclarer qu’il faisait l’objet de poursuites criminelles.
Aux yeux de la juge administrative Drapeau, la preuve révèle de façon prépondérante que les jugements civils ne constituent pas la cause réelle du congédiement. Il ressort que ce sont plutôt les accusations criminelles qui ont été l’élément déclencheur de l’ouverture d’une enquête et qui, au surplus, ont fait en sorte que l’employeur ait décidé de mettre fin à l’emploi du plaignant. S’il n’avait pas été informé des procédures criminelles par la couverture médiatique, l’employeur n’aurait pas cherché à en savoir plus sur le passé du plaignant qui était à son emploi depuis quatre ans. Puisque les trois conditions de l’article 18.2 de la Charte sont remplies, le plaignant bénéficie donc de la protection d’emploi qui y est prévue. Pour la repousser, la juge rappelle qu’il appartient à l’employeur de démontrer l’existence d’un lien objectif entre les accusations criminelles et l’emploi du plaignant.
À cet effet, bien que les représentants de l’employeur ont exprimé leurs craintes que les gestes commis par le plaignant nuisent à l’image de l’entreprise, le Tribunal soutient que rien dans la preuve présentée ne démontre que ces craintes se soient matérialisées ou encore que des clients se soient plaints ou même qu’ils étaient au courant de la situation. De plus, le Tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas établi que l’arrestation et la publicité qui l’ont entouré lui ont causé du tort, ont nui à son image ou ont eu un impact auprès de sa clientèle. La preuve ne démontre pas non plus de risque de récidive puisque le plaignant ne manipule aucun placement financier de l’entreprise, et l’employeur n’œuvre pas dans l’immobilier. Ainsi, le Tribunal conclut que l’employeur n’a pas fait la preuve d’un lien objectif entre l’infraction de fraude dans un contexte immobilier et l’emploi de chef d’équipe aux ventes en recrutement occupé par le plaignant.
Suivant ce qui précède, le congédiement est annulé et le Tribunal ordonne à l’employeur de réintégrer le plaignant dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges.
[1] Niphakis c. Indeed Canada Corp., 2024 QCTAT 3315.
La cour supérieure freine la grève planifiée des juges administratifs du tribunal administratif du travail
Dans l’affaire Procureur général du Québec c. Association des juges administratifs du Tribunal administratif du travail – Division de la santé et de la sécurité du travail[1], la Cour supérieure du Québec a ordonné à l’Association des juges administratifs du Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») de suspendre leur projet de grève prévue les 30 septembre et 7 octobre 2024. Cette injonction interlocutoire provisoire est en vigueur jusqu’au 18 octobre 2024, dans l’attente d’une décision finale.
Le conflit découle de négociations entre les juges administratifs et le gouvernement du Québec concernant la rémunération et la durée des mandats. Estimant que ces discussions étaient dans une impasse, les juges avaient planifié deux jours de grève. Le Procureur général du Québec a alors sollicité une injonction, arguant que la grève compromettrait 114 dossiers en cours, impliquant plus de 350 parties.
L’Association a défendu que l’injonction portait atteinte à leur liberté d’association, incluant le droit de grève. Toutefois, le Tribunal a jugé que le préjudice causé aux justiciables, qui attendent parfois depuis plus d’un an une décision sur des questions importantes telles que les congédiements ou les indemnités sur le remplacement du revenu, l’emportait sur l’atteinte alléguée à la liberté d’association.
Cela étant dit, au stade interlocutoire provisoire, le Tribunal a choisi de ne pas se prononcer sur l’existence d’un droit de grève ou sur la portée des garanties d’indépendance judiciaire des juges du TAT. Il a néanmoins exclu l’application des dispositions du Code du travail aux juges administratifs, les considérant comme n’étant pas des salariés au sens du Code.
Le Tribunal a donc ordonné la suspension des moyens de pression, préservant ainsi le bon fonctionnement du TAT dans l’intérêt des justiciables.
[1] Procureur général du Québec c. Association des juges administratifs du Tribunal administratif du travail – Division de la santé et de la sécurité du travail, 2024 QCCS 3517.
L’exigence linguistique autre que la connaissance du français dans le processus d’embauche
Le Tribunal administratif du travail (ci-après « Tribunal ») a conclu qu’il n’était pas suffisant pour un employeur de démontrer que le poste offert nécessitait de contracter à l’étranger ni de devoir communiquer avec des salariés qui s’exprimaient uniquement dans une langue autre que le français; il devait également, au préalable, avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’imposer une telle exigence.
Dans l’affaire Kim c. Ultium Cam[1], le plaignant a déposé une plainte à l’encontre d’une pratique interdite en vertu de la Charte de la langue française (ci-après « Charte »)[2], car il prétendait ne pas avoir obtenu le poste dans le département de l’approvisionnement et de la logistique en raison de l’exigence de l’employeur de la connaissance des langues anglaise et coréenne. Le Tribunal devait d’abord déterminer si le plaignant pouvait bénéficier de la présomption de pratique interdite, selon laquelle l’exigence d’une langue autre que le français était contraire à la Charte, sauf si l’employeur peut démontrer que cette connaissance est nécessaire et qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter cette exigence.
Pour bénéficier de cette présomption, les conditions suivantes devaient être remplies, ce que le Tribunal a effectivement reconnu dans cette affaire[3] :
- Avoir postulé à la suite d’une offre d’emploi de l’employeur;
- Démontrer que l’employeur exigeait la connaissance d’une autre langue que le français;
- Avoir déposé la plainte dans un délai de 45 jours suivant la pratique contestée.
L’employeur, de son côté, prétendait que l’exigence des langues anglaise et coréenne était justifiée. Selon lui, le poste à pourvoir impliquait l’acquisition d’équipements à l’international et des communications fréquentes avec des partenaires parlant uniquement coréen. L’employeur soutenait également que ces compétences linguistiques étaient nécessaires pour assurer la bonne exécution des tâches liées au poste.
Le Tribunal a ensuite évalué si l’employeur avait pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’imposer cette exigence linguistique. Pour cela, il devait remplir trois critères :
- Évaluer les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir;
- Vérifier si les connaissances linguistiques des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour accomplir ces tâches;
- Limiter au maximum le nombre de postes nécessitant la connaissance d’une langue autre que le français.
Si l’une de ces conditions n’était pas remplie, l’employeur serait réputé ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’exiger la connaissance d’une langue autre que le français. C’est précisément ce que le Tribunal a conclu dans cette affaire. Il a rappelé qu’en 2016, la Cour d’appel avait statué que l’imposition d’une exigence linguistique par un employeur devait « reposer sur une compréhension fine, et bien documentée, des contraintes réelles du service » [4].
En l’espèce, le Tribunal a relevé plusieurs manquements : l’offre d’emploi ne justifiait pas clairement l’exigence des langues anglaise et coréenne, la majorité des employés parlaient déjà coréen, et l’employeur n’avait pas démontré que les autres membres du personnel ne pouvaient pas accomplir les tâches requises. Par conséquent, le Tribunal a conclu que l’employeur n’avait pas pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’imposer ces exigences linguistiques.
Finalement, le Tribunal a noté que les dispositions de la Charte ne permettaient pas d’ajouter un moyen de défense, telle qu’une autre cause juste et suffisante, afin de s’exonérer de l’application de la Charte. Ainsi, l’employeur ne pouvait tenter de s’exonérer en démontrant que le refus d’embaucher le plaignant était étranger à ses connaissances linguistiques.
La plainte du plaignant a donc été accueillie
Calcul des heures supplémentaires; arrêt récent de la cour d’appel sur l’étalement et les périodes de repas rémunérées[5]
La Cour d’appel s’est penchée sur les dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives à l’étalement des heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire et sur la question de l’inclusion des périodes de repas rémunérées dans le calcul des heures à être payées à taux majoré.
Dans l’affaire 4036409 Canada inc. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail[6], la Cour d’appel était appelée à réviser un jugement de la Cour supérieure ayant conclu que l’employeur ne pouvait bénéficier des dispositions relatives à l’étalement des heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire (article 53 de la Loi sur les normes du travail (ci-après « LNT »)[7]) et que le calcul des heures à être payées à taux majoré devait tenir compte des périodes de repas rémunérées et d’une semaine de travail débutant le lundi (articles 55, 57 et 59 de la LNT). La Cour d’appel a infirmé le jugement de première instance concernant l’inclusion des périodes de repas et la question de la semaine de travail débutant le lundi.
- Faits
L’employeur, 4036409 Canada inc., faisait affaires sous le nom de Gestion Danis & Frères (Gestion Danis). Depuis plusieurs années, l’employeur fournissait de la main-d’œuvre à la mise en cause PF Résolu Canada inc., qui exploitait une papetière à Gatineau. La papetière était en opération 24 heures sur 24, 365 jours par année. L’horaire de travail était de 84 heures sur deux semaines, incluant les périodes de repas rémunérées. Plus particulièrement, les salariés travaillaient sur des quarts de travail de 12 heures, de jour (7 h à 19 h) ou de nuit (19 h à 7 h), en alternant avec une semaine de 48 heures (quatre jours) et une autre de 36 heures (trois jours), la semaine de travail débutant le dimanche. Ainsi, il y avait 77 heures de travail pendant ces deux semaines et 84 heures au total en incluant les périodes de repas.
Saisie d’une plainte anonyme, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST ») estimait que l’employeur ne respectait pas les modalités de paiement des heures à taux majoré, ce qui fut confirmé par la Cour supérieure à trois égards :
- L’employeur ne pouvait se prévaloir de l’étalement des heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire;
- La rémunération du temps supplémentaire devait prendre en considération les périodes de repas rémunérées;
- Le calcul des heures supplémentaires devait tenir compte d’une semaine de travail débutant le lundi.
La Cour d’appel a analysé chacune de ces questions.
- Analyse
- L’employeur ne pouvait se prévaloir de l’étalement des heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire
Concernant l’étalement, l’employeur faisait valoir la validité d’ententes individuelles conclues avec 16 salariés sur les 34 salariés visés par la réclamation de la CNESST. Ces ententes avaient été signées par les salariés concernés au mois de décembre 2019 et énonçaient s’appliquer rétroactivement au 1er septembre 2018. Elles prévoyaient que seules les heures travaillées au-delà de la semaine normale de travail de 40 heures, une fois réparties sur la période d’étalement de quatre semaines, devaient être rémunérées à un taux majoré de 50 %.
Analysant l’article 53 de la LNT, qui permet d’étaler les heures de travail des salariés autrement que sur une base hebdomadaire, la Cour supérieure a conclu que les conditions permettant l’étalement n’étaient pas remplies, dont notamment la nécessité d’une autorisation de la CNESST.
La Cour d’appel a confirmé la conclusion de la Cour supérieure suivant laquelle l’employeur ne pouvait bénéficier de l’étalement, mais en apportant certaines nuances au raisonnement. Elle rappelle que l’article 53 de la LNT a été modifié en juin 2018 pour prévoir dorénavant trois situations où un étalement est possible :
- Avec l’autorisation de la CNESST (alinéa 1);
- Lorsque l’étalement est prévu dans une convention collective ou un décret (alinéa 2);
- Depuis 2018, par le biais d’une entente entre l’employeur et le salarié, à certaines conditions (alinéa 3).
La CNESST prétendait que l’alinéa 3 de l’article 53 de la LNT ne pouvait servir d’échappatoire à la règle prévue à l’alinéa 1 exigeant l’autorisation de la CNESST. L’employeur plaidait plutôt que, puisque le troisième alinéa trouvait application en raison des ententes individuelles signées avec les salariés, l’approbation de la CNESST prévue au premier alinéa n’était pas requise.
Vu sa conclusion sur la validité des ententes individuelles, la Cour d’appel n’a pas tranché ce débat. En effet, elle souligne que les ententes ont été signées en décembre 2019, alors que la période visée par l’enquête de la CNESST était du 1er janvier 2018 au 31 mai 2019 et que le premier avis d’enquête a été transmis le 25 avril 2019 à l’employeur. Elles se voulaient donc rétroactives puisqu’elles précisaient que la première période d’étalement débutait le 1er septembre 2018. La Cour conclut que l’effet rétroactif recherché par ces ententes est contraire à la lettre et à l’esprit de l’article 53, alinéa 3 de la LNT.
- La rémunération du temps supplémentaire devait prendre en considération les périodes de repas rémunérées
L’employeur contestait la conclusion de la juge de première instance suivant laquelle les périodes de repas rémunérées devaient être considérées comme du temps travaillé aux fins du calcul des heures supplémentaires.
La Cour d’appel a donné raison à l’employeur, en résumant ainsi son avis :
[31] Une telle analyse est à mon avis incorrecte. Ce n’est pas parce que durant une période de repas, par ailleurs rémunérée, un salarié reste sur les lieux du travail que cette période doit nécessairement être considérée comme étant du temps travaillé aux fins du calcul des heures devant être rémunérées à taux majoré. Il faut plutôt déterminer si, durant la pause repas, le salarié exécute son travail ou est présumé exercer son travail. Je m’explique.
Rappelant le raisonnement retenu dans l’arrêt[8], la Cour d’appel conclut ainsi :
[38] À mon avis, la juge de première instance devait appliquer ces principes aux faits de l’espèce et ne pouvait arrêter son analyse au motif que les pauses repas étaient rémunérées et que les salariés pouvaient être disponibles en cas d’urgence. Tout comme dans l’affaire Plastique Micron, Gestion Danis, sans interdire à ses salariés de quitter l’usine, préfère qu’ils demeurent sur place vu le peu de temps alloué, la grandeur de l’usine et leur disponibilité éventuelle en cas d’urgence et, pour ces raisons, met à leur disposition un local. Toutefois, ceux-ci ne sont pas requis de rester au lieu de l’exercice normal et habituel des tâches assignées ni d’exécuter leur travail durant ces périodes. Dès lors, bien que les périodes de repas soient rémunérées, les art. 57 et 79 al. 2 LNT ne s’appliquent pas. Partant, ces périodes ne doivent pas être prises en considération aux fins du calcul de la semaine normale de travail ni, par conséquent, pour celui des heures devant être rémunérées à taux majoré (art. 55 LNT).
[39] L’affaire Commission des normes du travail c. 3979229 Canada inc., sur laquelle s’appuie la Commission, ne lui est d’aucune aide. Les faits de cette affaire se distinguent de ceux de l’espèce en ce que l’horaire de travail des salariées concernées, serveuses dans un bar, ne comportait aucune plage pour les pauses repas, que les salariées n’étaient pas autorisées à quitter les lieux du travail et qu’elles devaient répondre en tout temps aux besoins des clients.
[40] Dès lors, l’intervention de la Cour s’impose sur cette question.
- Le calcul des heures supplémentaires devait tenir compte d’une semaine de travail débutant le lundi
L’employeur prétendait que la juge de première instance avait erré en retenant les semaines de travail débutant le lundi et se terminant le dimanche. Il prétendait que la semaine de travail était plutôt du dimanche au samedi, ce qui aurait eu une incidence sur le quantum.
Sur cette question, la Cour d’appel intervient également pour infirmer le jugement de première instance :
[45] Une telle erreur justifie à mon avis l’intervention de la Cour. La détermination des heures devant être rémunérées à taux majoré est fonction du « […] travail exécuté en plus des heures de la semaine normale de travail / any work performed in addition to the regular work-week » (art. 55 LNT). Or, la juge retient que la semaine normale de travail au sein de l’entreprise s’échelonne du dimanche au samedi. Cette semaine normale de travail pour les salariés est une semaine de 3 jours consécutifs, cumulant 36 heures, et une deuxième semaine de 4 jours consécutifs, pour 48 heures. Compte tenu du calendrier de travail déposé en preuve, un tel horaire, 36 h / 48 h, n’est possible que si la semaine de travail débute un dimanche.
[46] Il est vrai que les registres de Gestion Danis ne reflètent pas cette réalité d’une semaine de travail du dimanche au samedi puisque ceux-ci seraient plutôt fonction des heures de travail indiquées sur les feuilles de poinçon (du lundi au dimanche). Toutefois, je ne peux y voir un motif pour interpréter la « semaine normale de travail » du salarié en fonction de cette preuve documentaire. Cette semaine doit correspondre à la réalité des salariés, que la LNT vise à protéger. Le défaut de l’employeur de tenir ses registres correctement, conformément à ses obligations documentaires, peut être autrement sanctionné, mais il ne peut être source d’avantages non recherchés par le législateur. Dès lors, vu les circonstances de l’espèce et la bonne foi de l’employeur, tel que noté par la juge, une application de l’art. 55 LNT qui tient compte de la réalité des salariés, de leur horaire de travail et donc de leur « semaine normale de travail » permet d’atteindre l’objectif du législateur.
[47] Somme toute, le quantum de la réclamation devait être établi en fonction d’une semaine de travail débutant le dimanche, et non pas le lundi, comme l’a conclu la juge en accordant le montant réclamé par la Commission.
- Conclusion
La Cour d’appel n’a pas tranché la question de la nécessité d’une autorisation de la CNESST lorsque des ententes individuelles interviennent entre l’employeur et ses salariés pour l’étalement des heures de travail, conformément à l’article 53, alinéa 3 de la LNT. Elle a toutefois souligné, sans se prononcer sur le bien-fondé des prétentions de la CNESST, que cette dernière semblait ajouter au texte de la loi en plaidant que le troisième alinéa ne pouvait s’appliquer si l’employeur pouvait par ailleurs obtenir l’autorisation de la CNESST selon le premier alinéa. Il est sous-entendu que c’est cette conclusion que la Cour aurait retenue si elle s’était prononcée formellement.
Comme l’a indiqué la Cour d’appel, il demeure qu’un employeur, dont les opérations sont 24 heures sur 24, a tout intérêt à obtenir l’autorisation de la CNESST plutôt que de dépendre de l’accord individuel de chacun de ses salariés.
Quant à l’inclusion des heures de repas rémunérées dans le calcul du temps supplémentaire, nous retenons que lorsque les employés n’exécutent pas leurs tâches durant ces périodes et qu’ils ne sont pas non plus obligés d’attendre sur les lieux du travail qu’on leur confie une tâche (selon l’article 57, paragraphe 1 de la LNT), ces périodes n’ont pas à être prises en considération aux fins du calcul du temps supplémentaire, et ce, même si les salariés peuvent être disponibles en cas d’urgence comme c’était le cas en l’espèce.
[1] Kim c. Ultium Cam, 2024 QCTAT 3295.
[2] RLRQ, c C-11.
[3] Articles 47.2 de la Charte et 17 du Code du travail.
[4] Gatineau (Ville de) c. Syndicat des cols blancs de Gatineau inc., 2016 QCCA 1596.
[5] Rédigé par Me Frédéric Poirier et Me Stéphanie Lalande du cabinet Bélanger Sauvé s.e.n.c.r.l.
[6] 4036409 Canada inc. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail 2024 QCCA 1250 (CanLII).
[7] RLRQ, c. N-1.1.
[8] Plastique Micron inc. c. Blouin, 2003 CanLII 14708 (QC CA); Domtar inc. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 1492, 1991 CanLII 3378 (QC CA).