
Droit du travail et de l’emploi – Mai 2025
Table des matières
Geste déplacé du DG : la ville exemptée de verser des dommages punitifs
Dans la décision Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4790 et Ville de L’Ancienne-Lorette [1], l’arbitre, Me Alain Turcotte, devait se prononcer sur un grief de harcèlement psychologique et sexuel déposé par un salarié col bleu. Le grief a été déposé après que le directeur général de la Ville, qui souhaitait répliquer à un tour que lui avait joué le plaignant, a baissé son pantalon devant des employés, le dénudant à partir de la taille.
Le salarié a déposé une réclamation pour un accident du travail à la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité du travail (ci-après la « CNESST »), qui a été accueillie par celle-ci.
Par le grief, le syndicat réclamait des dommages exemplaires et punitifs pour le compte du plaignant, ce à quoi la Ville répliquait qu’elle avait rempli ses obligations prévues à la Loi sur les normes du travail[2] (ci-après la « LNT »). De même, puisque le plaignant était indemnisé par la CNESST, la Ville argumentait que le syndicat ne pouvait réclamer pour son compte des dommages punitifs en fonction du texte de loi en vigueur à ce moment.
D’abord, l’arbitre conclut que la Ville a respecté ses obligations pour prévenir le harcèlement. Il avait été mis en preuve qu’une politique était en vigueur à la Ville, conformément à l’article 81.19 de la LNT, tel qu’il se lisait au moment des faits, soit en 2023. Il est à noter que cette disposition a depuis été modifiée.
Ensuite, l’arbitre conclut que la Ville a pris les mesures raisonnables pour faire cesser le harcèlement psychologique et sexuel une fois qu’il a été porté à sa connaissance, conformément à l’article 81.18 de la LNT. À ce sujet, puisque le poste à la direction des ressources humaines était vacant au moment des événements et que le deuxième responsable de l’application de la Politique était le directeur général, le maire a pris en charge le dossier et a nommé une consultante externe pour le soutenir dans le cadre de l’enquête à faire. Par ailleurs, une interdiction de contact entre le directeur général et le plaignant a été demandée par le maire. Il avait été demandé au directeur général d’effectuer ses tâches en télétravail. Il appert de la preuve que le directeur général avait également transmis une lettre d’excuses au plaignant et à ses collègues de travail.
Puis, une fois l’enquête terminée, la consultante a recommandé plusieurs mesures, notamment, l’imposition d’une mesure disciplinaire au directeur général, l’absence de communication entre le directeur général et le plaignant, etc. L’ensemble des recommandations de la consultante ont été mises en place.
Si l’arbitre conclut que l’employeur aurait dû communiquer avec le syndicat et avec le plaignant les mesures mises en place, ce qu’il n’avait pas fait, il en arrive tout de même à la conclusion que l’employeur a pris les mesures raisonnables pour faire cesser le harcèlement psychologique et sexuel.
Sur la question des dommages punitifs, l’arbitre rappelle qu’au moment des événements, l’article 123.16 de la LNT ne permettait pas d’octroyer des dommages lorsqu’une personne était victime d’une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (ci-après la « LATMP »). Cette restriction a été retirée en mars 2024, mais l’arbitre retient que le droit applicable au dossier est celui qui existait au moment des événements et que la modification législative n’a pas de portée rétroactive.
Il rejette donc la prétention syndicale au niveau des dommages ainsi que le grief.
Accès non autorisé à des dossiers médicaux : congédiement annulé jugé disproportionné
Le Tribunal d’arbitrage a jugé excessif le congédiement d’une archiviste pour avoir consulté, sans autorisation, son propre dossier médical ainsi que ceux de ses proches. Bien que des manquements aient été reconnus, l’arbitre souligne l’absence de malveillance, la collaboration de la salariée et l’incohérence des sanctions appliquées dans des situations comparables.
Dans cette affaire[1], Nancy Bastien, archiviste à temps partiel au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, a été congédiée en novembre 2023 après avoir accédé à quatre reprises, entre mars et octobre, à des dossiers médicaux la concernant ou concernant des membres de sa famille. L’employeur a dénoncé des bris répétés de confidentialité et a affirmé que le lien de confiance était irrémédiablement rompu.
Le syndicat (APTS) reconnaît certaines fautes, mais conteste la qualification de tous les gestes comme des atteintes à la confidentialité. Il soutient que la sanction est excessive, invoquant notamment un traitement disciplinaire incohérent dans des dossiers similaires, et réclame une suspension plutôt qu’un congédiement.
L’employeur, de son côté, insiste sur la gravité des gestes posés, leur caractère répété et la responsabilité accrue de la salariée en matière de confidentialité, compte tenu de ses fonctions.
L’arbitre conclut que les quatre accès étaient fautifs, même lorsque les informations consultées concernaient la plaignante ou ses proches. Toutefois, seule une des consultations s’est faite sans consentement, ce qui atténue la gravité globale des manquements.
L’arbitre rejette l’objection de l’employeur quant à la preuve de comparables et estime qu’une suspension d’un mois sans solde aurait constitué une sanction juste et proportionnée. Il souligne, entre autres facteurs atténuants, l’absence de mensonge, la collaboration de la salariée pendant l’enquête, l’absence d’antécédents disciplinaires et les précédents internes plus cléments.
Le grief est accueilli partiellement : le congédiement est annulé et remplacé par une suspension d’un mois sans solde. L’employeur devra réintégrer la plaignante, lui verser le salaire perdu au-delà de la période de suspension, avec intérêts, et assumer les frais d’arbitrage.
[1] Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Santé Québec – Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (Nancy Bastien), 2025 QCTA 136 (Julie Blouin).
Liberté d’expression au travail : jusqu’où peut aller la critique d’un supérieur?
Peut-on critiquer ouvertement la direction d’une école sans risquer de sanction disciplinaire? Dans un contexte de climat de travail tendu, le Tribunal d’arbitrage a tranché : bien que la liberté d’expression soit protégée, elle doit s’exercer avec rigueur, bonne foi et exactitude. En diffusant sciemment des propos erronés visant la directrice, trois enseignantes ont contrevenu à leur obligation de loyauté[1].
Dans cette récente affaire, les plaignantes travaillent à titre d’enseignantes dans une école primaire de la région de Montréal. Elles s’impliquent également dans les divers conseils et comités créés au sein de l’école. De surcroît, au moment de la survenance des faits en litige, le climat de travail à l’école est, selon l’arbitre, « tendu ». Ainsi, une « lutte de pouvoir » semble s’esquisser entre la direction et certains enseignants, dont des membres des comités précités. C’est dans ce contexte que surviennent les trois fautes reprochées aux plaignantes et qui ont fait l’objet de sanctions disciplinaires.
Plus précisément, lors d’une rencontre du conseil d’établissement, l’une des enseignantes prend la parole et demande aux membres du conseil de ne pas approuver la recommandation de la directrice de l’école quant à certains services éducatifs. Ce faisant, elle se dit appuyée dans sa démarche par deux comités paritaires, ainsi que par l’ensemble des enseignants de l’école. Quelques jours plus tard, deux autres enseignantes transmettent à plusieurs de leurs collègues et à la directrice des courriels critiquant vertement la gestion.
En mettant en doute la transparence, l’objectivité et le jugement de la directrice par divers moyens et devant des témoins, l’employeur allègue que les plaignantes ont dérogé à leur obligation de loyauté, en plus de contrevenir aux lignes directrices en matière d’utilisation des technologies qui s’appliquent dans le cadre de leur emploi.
Quant à la partie syndicale, elle avance que les plaignantes n’ont fait qu’exprimer leur opinion relativement aux décisions de la directrice. À ce titre, elles bénéficient de la protection que leur octroie l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne[2]. Leur obligation de loyauté à l’égard de l’employeur, prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec[3], ne peut avoir préséance sur leur liberté d’expression. Il est alors question, pour le Tribunal, de se prononcer sur les limites raisonnables qu’un employeur peut imposer à l’exercice de la liberté d’expression de ses salariés.
En l’espèce, le Tribunal estime que les plaignantes ont diffusé des informations erronées, inexactes ou incomplètes en toute connaissance de cause. En outre, elles ont agi dans leur intérêt personnel avec l’intention de miner l’autorité de la directrice auprès de leurs collègues enseignants, voire de porter atteinte à sa réputation. Si, comme le rappelle l’arbitre, les salariés ont le droit de s’exprimer au travail, leur démarche doit respecter certaines limites. Ainsi, elle doit être désintéressée, empreinte de bonne foi et motivée, à titre d’exemple, par la volonté de partager une information au public ou à un auditoire particulier. Les propos critiques, s’ils sont exhaustifs et véridiques, peuvent avoir leur place dans le contexte du travail. Toutefois, des paroles mensongères, s’apparentant à des attaques non justifiées à l’égard d’un supérieur, ne peuvent pas être tolérées sous couvert de l’exercice de la liberté d’expression. Le tribunal conclut donc que les plaignantes ont contrevenu à leur obligation de loyauté. Il confirme deux des sanctions disciplinaires imposées et modifie la dernière, substituant un avertissement écrit à la lettre de réprimande donnée par l’employeur.
Demande de partage de coûts : une ordonnance de non-divulgation du dossier médical accordée à l’employeur
Dans une décision rendue en avril 2025[1], le Tribunal administratif du travail accueille la demande de la Ville A visant à obtenir une ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion à l’égard de l’ensemble des renseignements contenus dans le dossier d’une demande de partage de coûts. Il conclut que la divulgation de ces informations comporterait un risque sérieux de préjudice pour la travailleuse concernée, en raison notamment de la nature hautement sensible des documents médicaux et du contexte particulier entourant l’affaire.
La lésion psychologique reconnue par la CNESST découle d’allégations de harcèlement psychologique et sexuel attribuées au supérieur immédiat de la travailleuse, une personnalité publique bien connue. Cette circonstance accroît le risque d’identification des personnes concernées et de diffusion massive des renseignements en cas de publicité des débats. En soutien à sa demande de partage de coûts, l’employeur a versé au dossier des documents médicaux obtenus sans que la travailleuse ait été informée, incluant des consultations psychiatriques et psychologiques remontant à son adolescence, et contenant également des informations sur des tiers non impliqués dans le litige.
Appliquant les critères établis par la Cour suprême dans l’arrêt Sherman[2], le Tribunal conclut d’abord à l’existence d’un risque sérieux pour un intérêt public important, à savoir la protection de la vie privée et de la dignité humaine. Ce risque est aggravé par la présence de renseignements liés à des problèmes de santé stigmatisés et par la possibilité d’identification malgré l’anonymisation. Ensuite, il juge qu’aucune autre mesure raisonnable – ni l’anonymisation, ni le huis clos, ni le dépôt sous scellé – ne permettrait de prévenir efficacement ce risque, notamment en raison du volume et de la sensibilité des informations. Enfin, le Tribunal estime que les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs, puisqu’elle assure une protection adéquate de la vie privée sans compromettre de manière significative la transparence du processus judiciaire.
Il ordonne donc la non-divulgation, non-publication et non-diffusion de l’ensemble des renseignements contenus dans le dossier, jugeant cette mesure nécessaire et proportionnée dans les circonstances.