Droit du travail et de l’emploi – Septembre 2024
Table des matières
Entrave et ingérence dans la campagne de syndicalisation chez Amazon
Le 31 juillet dernier, le tribunal administratif du travail a accueilli une plainte déposée par le syndicat des travailleuses et travailleurs d’Amazon Montréal – CSN, déposée en vertu des articles 3 et 12 du Code du travail[1].
Dans sa plainte, le syndicat reprochait à Amazon de s’être ingéré dans la campagne de syndicalisation et de l’avoir entravée, en plus d’avoir usé de menaces et d’intimidation envers les salariés. Ce dernier volet de la plainte a toutefois été rejeté par le tribunal administratif du travail.
Il avait été mis en preuve qu’une première campagne de syndicalisation des salariés avait eu lieu en avril 2022. Toutefois, celle-ci avait été suspendue en août 2022 en raison des difficultés rencontrées par le syndicat. Elle a repris en avril 2023.
Or, au cours des mois de mai et juin 2023, il a été mis en preuve qu’Amazon avait publié plusieurs messages en lien avec la campagne de syndicalisation, et ce, sur de multiples écrans se trouvant dans le milieu de travail ainsi que sur des panneaux d’affichage se trouvant à la cafétéria et dans les toilettes. Ces messages étaient notamment les suivants : « une carte syndicale est un document juridique. », « les syndicats ne peuvent pas garantir les changements en milieu de travail. », « vous n’avez pas à fournir vos renseignements personnels. », « les syndicats vous facturent des cotisations. », « joining a union is a personal choice – it should not be taken lightly. », « you have the right to decide whether or not to sign a card. »[2].
Il était également mentionné aux salariés de protéger leur signature et de se référer à leur supérieur pour en savoir plus.
Dans sa décision, le juge administratif retient d’abord qu’au moment de la campagne de syndicalisation, le syndicat était particulièrement vulnérable, étant en cours de formation et faisant alors sa deuxième campagne de syndicalisation. Il retient également que le profil des travailleurs d’Amazon pouvait engendrer des difficultés pour le syndicat, ceux-ci étant pour la plupart des travailleurs immigrants aux statuts précaires qui sont peu informés sur les lois encadrant les relations de travail au Québec.
Enfin, la preuve révèle que les gestionnaires recevaient une formation pour répondre aux questions des salariés, sous forme de PowerPoint où il y était spécifiquement indiqué que la culture d’entreprise d’Amazon était incompatible avec un syndicat.
Suivant ces éléments, le juge administratif conclut que ceci constitue de l’entrave à la campagne de syndicalisation et qu’il y a contravention à l’article 12 du Code du travail. Il condamne Amazon à verser au syndicat un montant de 10 000 $ à titre de dommages moraux et 20 000 $ à titre de dommages punitifs.
Lock-out chez Terrapure Br : le tribunal met fin à l'utilisation de briseurs de grève
Le tribunal administratif du travail a ordonné à Terrapure BR LP de cesser d’utiliser les services de onze personnes identifiées comme briseurs de grève pour remplacer des salariés en lock-out. Cette ordonnance provisoire est en vigueur jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue sur le fond de l’affaire[1].
Le conflit a débuté après l’expiration de la convention collective le 30 septembre 2023. Le 11 mars 2024, après le rejet d’une offre de l’employeur, un lock-out a été déclaré. Le syndicat, soupçonnant l’utilisation de briseurs de grève, a demandé une enquête. Celle-ci a révélé que onze employés remplissaient les fonctions de salariés en lock-out, en violation des articles 109.1 a) et g) du Code du travail[2].
Le syndicat a demandé une ordonnance provisoire pour interdire à Terrapure Br d’utiliser les services de ces onze personnes. L’employeur a soutenu que ces individus étaient des cadres employés avant le début des négociations et qu’ils n’étaient donc pas concernés par les dispositions anti-briseurs de grève.
Le tribunal a conclu que le syndicat disposait d’une apparence de droit suffisante pour obtenir l’ordonnance demandée. Il a aussi jugé qu’un préjudice irréparable serait causé en l’absence d’intervention et que la balance des inconvénients penchait en faveur du syndicat. Pour finir, le tribunal a conclu que le critère d’urgence était rempli, car les questions relatives aux dispositions anti-briseurs de grève ont un impact direct sur le droit du travail, la durée des conflits et la qualité des négociations, conformément à la jurisprudence majoritaire.
Ainsi, il a ordonné à l’employeur de cesser immédiatement d’utiliser les services des personnes identifiées jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue.
Cette décision renforce l’importance de respecter les dispositions anti-briseurs de grève, qui visent à maintenir l’équilibre des forces entre les parties lors des négociations de conventions collectives.
Grief patronal déclaré irrecevable : le syndicat, seul interlocuteur légitime
Le tribunal d’arbitrage a récemment rappelé qu’un employeur ne peut utiliser la procédure de grief directement contre un salarié, car cela viole le monopole de représentation du syndicat.
Cette décision est survenue dans l’affaire opposant le centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-centre-du-québec (ciusss) et le syndicat du personnel paratechnique, des services auxiliaires et de métiers du ciusss de la Mauricie-et-du-centre-du-québec – csn (Billy Dumas)[1]. Le ciusss avait déposé un grief contre un salarié, m. Dumas, pour récupérer un trop-perçu de salaire, mais le tribunal a jugé ce grief irrecevable.
Les faits remontent à mai 2022, lorsqu’une entente de la dernière chance avait été conclue entre l’employeur, le salarié et le syndicat, à la suite de la perception par m. Dumas d’avances salariales en même temps que des indemnités de la saaq, sans en informer son employeur. Après avoir été congédié en août 2022, m. Dumas n’avait pas entièrement remboursé le trop-perçu, et l’employeur a alors déposé un grief patronal pour recouvrer le solde.
Le syndicat a contesté cette démarche en soulevant deux objections, dont la principale concernait le fait que le grief était dirigé directement contre le salarié, ce qui contrevient au principe du monopole de représentation syndicale. Le tribunal a retenu cette objection, affirmant que, selon le Code du travail[2] et la convention collective en vigueur, l’employeur ne peut pas utiliser la procédure de grief pour poursuivre directement un salarié. Le syndicat est le seul représentant autorisé des salariés, et toute réclamation de l’employeur doit nécessairement passer par lui, et ce, même au-delà de la fin d’emploi d’un salarié.
Le tribunal n’a pas reproché à l’employeur d’avoir utilisé la procédure de grief pour recouvrer sa créance, reconnaissant que la réclamation était bien fondée sur l’application de la convention collective. Cependant, puisque le droit revendiqué par l’employeur découlait de cette convention, l’action devait être intentée contre le syndicat, qui est l’unique partie cocontractante de ladite convention.
Intimidation ou exercice du droit d’association?
Le tribunal administratif du travail a rejeté les plaintes de deux salariés cols bleus au motif qu’ils ont participé à une action concertée qui constituait non pas l’exercice légitime de leur droit d’association, mais plutôt une forme d’intimidation.
Dans l’affaire Malenfant c. Ville de Montréal[1], les plaignants, accompagnés de six autres salariés cols bleus, ont suivi sans autorisation, jusque dans le bureau des contremaîtres, un de leurs collègues, un délégué syndical, qui y avait été convoqué pour lui apporter du soutien. Les deux contremaîtres se sont sentis intimidés par la présence des huit autres salariés cols bleus. L’employeur a donc décidé de sanctionner les plaignants ainsi que les autres accompagnateurs pour leur geste en leur imposant une suspension de deux jours. Les plaignants ont contesté cette suspension devant le tribunal administratif du travail, car ils estimaient que cette sanction constituait une mesure de représailles découlant de l’exercice légitime d’un droit prévu au Code du travail[2].
Le tribunal devait donc déterminer si l’action des plaignants à l’origine de leur suspension constituait l’exercice de leur droit d’association prévu à l’article 3 du Code du travail.
Dans son analyse, la juge administrative a noté que la jurisprudence interprétait la notion d’exercice d’« un droit qui lui résulte du présent Code » de manière large et libérale, mais que seul l’exercice légitime d’un tel droit était protégé.
Cette même jurisprudence a reconnu que la liberté d’expression dans un contexte de relations du travail pouvait se traduire par du piquetage, la distribution de tracts, la pose de collants sur des véhicules de l’employeur, le port de vêtements non réglementaires, le boycottage d’un commerçant ou, encore, d’une manifestation pacifique sur les lieux de travail afin de dénoncer des modifications aux conditions de travail, et ce, qu’on soit ou non en présence d’un conflit de travail.
À la lumière de ces enseignements, la juge administrative a conclu que les plaignants n’avaient pas exercé leur droit d’association, car leurs gestions résultaient d’une décision spontanée de quelques salariés et n’avaient pas été coordonnés avec le syndicat. Leur intervention de groupe ne s’inscrivait pas non plus dans un contexte de conflit de travail. On ne pouvait donc pas dire des plaignants qu’ils participaient à une activité syndicale, bien au contraire.
En effet, aux yeux du tribunal, ce regroupement a plutôt été perçu comme de l’intimidation envers les contremaîtres : les salariés cols bleus étaient en surnombre significatif par rapport aux deux contremaîtres, les fixaient dans les yeux, et l’un d’eux se tenait devant la porte, bloquant ainsi la sortie.
Le tribunal a ainsi rejeté les plaintes des plaignants, les gestes posés par ces derniers ne pouvant constituer l’exercice d’un droit protégé par le Code du travail.