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Droit du travail - bulletin 72
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Travail et emploi

Droit du travail et de l’emploi – Novembre 2024

Table des matières

Congé pour raison médicale et taux régulier de salaire

Dans une récente décision[1], une arbitre de grief a eu à interpréter l’article 239 du Code canadien du travail[2] (ci-après : « Cct »), plus particulièrement la notion de « taux régulier de salaire pour une journée normale de travail ».

Le syndicat avait déposé un grief contestant le montant versé par l’employeur lors de la prise de congé pour raison médicale prévu à l’article 239 du Cct. En effet, l’employeur versait pour ces congés le salaire de base des salariés, à l’exclusion des taux bonifiés et des primes prévues à la convention collective. Pour le syndicat, le salaire versé lors de journées de congé pour raison médicale devait comprendre ces primes.

Il apparaissait de la preuve que l’ensemble des salariés visés par le grief avait un horaire fixe, mais que certaines primes pouvaient leur être payées lors des journées régulières de travail.

Dans son analyse, l’arbitre retient que le législateur n’a pas défini les notions de « taux régulier de salaire » et de « journée normale de travail » dans le Cct. L’arbitre réfère toutefois à l’article 17 du Règlement du Canada sur les normes du travail[3] (ci-après : « Règlement »), qui prévoit comment calculer le taux régulier de salaire lorsque la durée de travail d’un salarié varie d’un jour à l’autre ou que son salaire est calculé autrement qu’en fonction du temps. Elle réfère également à deux sentences arbitrales et à une décision de la Cour supérieure de l’Ontario ayant interprété les termes « taux régulier de salaire ».

Suivant ces éléments, ainsi que les principes applicables en matière d’interprétation des lois, l’arbitre accueille le grief et rejette l’argument de l’employeur à l’effet que l’article 17 du Règlement ne devrait pas s’appliquer aux salariés visés par le grief, ceux-ci ayant des horaires fixes. D’ailleurs, les décisions auxquelles l’arbitre faisait des références avaient été rendues dans un contexte où les salariés n’avaient pas un horaire fixe. Elle retient plutôt que la notion d’un « taux régulier de salaire » pour une « journée normale de travail » fait référence au salaire incluant les primes et taux bonifiés dont l’employé aurait bénéficié s’il avait travaillé lors de son congé pour raison médicale.

L’employeur a déposé une demande de pourvoi en contrôle judiciaire. Il sera intéressant de suivre l’évolution de cette décision.

 

Le Tribunal administratif du travail se prononce sur le retrait pour une employée de la possibilité d’effectuer ses tâches en télétravail

Le Tribunal administratif du travail (ci-après : « Tribunal ») est d’avis qu’en retirant la possibilité pour une employée d’effectuer ses tâches en télétravail, l’Employeur a modifié son contrat de travail d’une façon telle qu’il s’agit d’un congédiement déguisé. Toutefois, la plainte déposée selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après : « Loi ») sera rejetée, car elle a été produite hors délai.

Cette conclusion s’inscrit dans l’affaire Guérard[1]. La plaignante, madame Guérard, travaille pour SamaN inc., l’employeur, depuis environ 20 ans. À la suite de l’arrivée d’un nouveau propriétaire à la tête de l’entreprise en avril 2022, elle négocie une modification de ses tâches. Alors que l’essentiel de son travail consistait jusqu’alors à être « représentante sur la route », elle devient responsable de la coordination de la production dans l’usine de l’employeur où l’on fabrique des produits pour le bois, entre autres des teintures et des vernis. À la demande de la plaignante, il est aussi convenu que la totalité de ses tâches s’effectuera en télétravail.

À la fin novembre 2022, la plaignante constate que son accès à distance au système informatique a été bloqué par l’employeur, ce qui l’empêche d’exécuter sa prestation de travail. Quelques jours plus tard, le nouveau propriétaire exige qu’elle accomplisse dorénavant sa prestation de travail à partir de l’usine située à Victoriaville ou qu’elle reprenne son travail de « représentante sur la route », ce qu’elle refuse. Ainsi, pendant environ quatre mois à compter de la fin du mois de novembre 2022, l’employeur lui maintient son salaire sans qu’elle soit obligée d’exécuter quelque prestation de travail que ce soit. Enfin, dans les derniers jours du mois de mars 2023, il l’informe qu’il cessera de lui verser son traitement.

Le 30 mars 2023, la plaignante dépose une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi. Elle prétend avoir été l’objet d’un congédiement déguisé en raison du refus de l’employeur de lui permettre de poursuivre l’exécution de ses tâches en télétravail. Pour sa part, l’employeur prétend qu’il ne l’a jamais congédiée et que c’est plutôt elle qui, par son refus obstiné de consentir au réaménagement de ses tâches, a démissionné.

Aux yeux du juge administratif Fiset, la plaignante a été l’objet d’un congédiement déguisé, l’employeur ayant décidé unilatéralement de modifier de façon substantielle l’une des conditions essentielles de son contrat de travail. En effet, il ressort de la preuve que dans le cadre d’une rencontre ayant eu lieu le 13 avril 2022, le nouveau propriétaire avait consenti à ce que la plaignante change de tâches et occupe le poste de coordonnatrice de la production pour la totalité de son temps de travail. Il a été également convenu que les tâches s’effectueront en télétravail, suivant un horaire flexible et pour 25 heures par semaine. Ils s’entendent aussi sur un taux horaire de 50 $ de l’heure.

Suivant ce qui précède, le Tribunal soutient que dans la perspective de la plaignante, l’annonce effectuée le 5 décembre 2022 par le nouveau propriétaire à l’effet qu’elle ne pourra plus effectuer ses tâches en télétravail est lourde de conséquences. D’ailleurs, il ressort de son témoignage que l’entente prise en avril 2022 sur les modalités de prestation de travail était pour la plaignante une condition sine qua non à la poursuite de sa carrière au sein de l’entreprise. En appliquant le critère de la personne raisonnable, le Tribunal soutient que force est de conclure que la plaignante était en mesure de savoir qu’il y avait une condition essentielle de son contrat de travail qui était modifiée de façon substantielle par l’employeur. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’employeur a modifié le contrat de travail d’une façon telle qu’il s’agit d’un congédiement déguisé.

Malgré ce qui précède, la plainte formulée par la plaignante est rejetée puisqu’elle a été déposée en dehors du délai de 45 jours prévu à l’article 124 de la Loi.

Le Tribunal d’arbitrage maintient le congédiement d’un employé ayant manqué à son obligation de civilité et ayant usé d’un comportement intimidateur à l’endroit d’un collègue

Le Tribunal d’arbitrage (ci-après : «Tribunal») estime qu’un employé municipal ne peut bénéficier de la progression des sanctions lorsqu’il démontre une absence totale de volonté d’amender sa conduite et qu’il est tenu de faire preuve de probité. Par conséquent, il confirme le congédiement de l’employé pour avoir insulté et intimidé un collègue.

Dans une sentence arbitrale rendue récemment[1], un préposé à l’entretien du réseau d’une Ville, occupant souvent la fonction de chef de chantier, s’est vu imposer une suspension sans solde de deux jours à la suite d’un incident lors duquel il a utilisé des propos injurieux envers un collègue. Le soir de la remise de la lettre disciplinaire faisant état de la sanction, il a été porté à la connaissance de la Ville que l’employé adoptait un comportement intimidant à l’égard du collègue concerné. Lorsqu’un gestionnaire lui a remis ladite lettre, il a fait preuve d’un comportement inapproprié et a même tenu des propos à connotations raciste et discriminatoire. Visiblement mécontent, l’employé a suivi le collègue en question jusque chez lui, en voiture. La Ville l’a alors relevé de ses fonctions pour fins d’enquête et, au terme de celle-ci, l’a congédié. Les entrevues menées dans le cadre de l’enquête avaient révélé d’autres incidents survenus dans le passé. L’employé, dans un excès de colère, avait notamment lancé un outil vers le visage d’un autre collègue et avait ensuite procédé à la fermeture hâtive du chantier.

Au soutien de son grief, le syndicat arguait que l’employeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de prouver la survenance des manquements reprochés à l’employé. Il alléguait, en sus, que le congédiement était une mesure disproportionnée ne respectant pas le principe de la progression des sanctions. L’absence de préméditation a également été invoquée à titre de facteur atténuant qui justifiait une sanction moindre. Naturellement, l’employeur était d’avis que les manquements reprochés avaient été démontrés par prépondérance. Il soutenait que plusieurs facteurs aggravants militaient en faveur du congédiement.

Dans le cadre de son analyse, le Tribunal ne retient pas le témoignage de l’employé congédié comme étant probant. Au contraire, il souligne le contraste entre le fait que ce dernier soit en mesure de relater certains éléments avec clarté et ses pertes de mémoire opportunes. Il considère que l’enquête menée par l’employeur a été réalisée de manière diligente et qu’elle a su prouver les différents manquements reprochés. Le Tribunal retient, à titre de facteurs aggravants, la négation des fautes par l’employé, l’absence de remords ainsi que le caractère répétitif de comportements empreints de colère, de manque de civilité et d’intimidation. Il souligne également que l’employé jouissait d’un haut niveau d’autonomie dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, étant régulièrement appelé à agir comme chef de chantier. Ainsi, le Tribunal considère que l’employé devait faire preuve d’exemplarité. Il conclut également qu’en l’espèce, l’absence de préméditation des gestes posés ne saurait le disculper.

Finalement, le Tribunal ne retient pas l’argument syndical fondé sur le principe de gradation des sanctions, étant d’avis que l’objectif d’appliquer une discipline progressive est de permettre à l’employé d’amender ses comportements fautifs. Or, l’employé ne reconnaissant pas ses torts, tout porte à croire qu’il n’aurait pas corrigé ses comportements.

Pour ces motifs, le Tribunal rejette le grief et confirme le congédiement de l’employé.

Lésion psychologique en milieu de travail : le Tribunal s'en tient au critère de l’événement objectivement traumatisant

Le Tribunal administratif du travail (ci-après : « Tribunal ») reconnait, à un inspecteur de police, le diagnostic de dépression majeure et une résurgence de stress post-traumatique attribuable à un climat toxique au travail et à une attitude insidieuse de son supérieur immédiat.

En effet, dans l’affaire Levesque et Municipalité régionale de Comté des Collines-de-l’Outaouais[1], le Tribunal a reconnu que M. Levesque, inspecteur au service de police de la Municipalité régionale de Comté des Collines-de-l’Outaouais, avait subi une lésion professionnelle de nature psychologique en raison de comportements dégradants et répétés de son supérieur.

Ce jugement se distingue par l’application rigoureuse du critère de « caractère objectivement traumatisant » des événements, que le Tribunal définit comme des incidents choquants, bouleversants ou perturbants, dépassant le simple inconfort ou les désagréments inhérents au travail.

Contrairement à un courant jurisprudentiel émergent qui tend à s’éloigner du critère de l’événement « objectivement traumatisant » en privilégiant plutôt le caractère singulier ou particulier de celui-ci, le Tribunal, dans cette décision, maintient une approche plus classique. Il précise la notion de « traumatisant » en insistant sur sa portée choquante, bouleversante ou perturbante.

Le Tribunal considère ici le contexte dans lequel M. Levesque a été soumis à des critiques et à des humiliations constantes de la part de son supérieur, souvent devant ses pairs, ce qui a causé un profond malaise et une perte de confiance en lui. Ces agissements, comprenant des retraits injustifiés de tâches, des critiques infondées sur la qualité de son travail, des pressions de citer en discipline ses collègues sans raison valable, des explosions de colère aléatoires de la part du supérieur, et des tentatives de le forcer à se présenter au travail malgré une exemption pendant la COVID-19 en raison de la vulnérabilité de son état de santé ont contribué à créer un environnement professionnel toxique et hostile. Le Tribunal conclut que ces événements dépassaient le cadre normal du travail, constituant un ensemble d’événements « objectivement traumatisants », et souligne que le directeur avait manifestement abusé de son droit de gérance en instaurant un climat de travail toxique. Ce climat, d’autant plus nuisible pour M. Levesque, le plaçait dans la position de bouc émissaire, constamment dénigré et isolé.

La connexité d’une activité personnelle avec le travail en contexte d’accident du travail

Le Tribunal administratif du travail (ci-après :« Tribunal ») a conclu qu’une travailleuse n’avait pas subi de lésion professionnelle lorsqu’elle a chuté sur un plancher mouillé alors qu’elle quittait le restaurant où elle travaillait, une heure après la fin de son quart de travail.

Les faits de cette affaire[1] sont simples. La travailleuse occupe l’emploi d’hôtesse au sein du restaurant Mikes. À la fin de son quart de travail, elle s’assoit sur une banquette du restaurant avec des collègues de travail en attendant que sa mère vienne la chercher. Quelques minutes plus tard, sa mère l’informe qu’elle ne peut plus venir la chercher. La travailleuse décide toutefois de demeurer sur les lieux puisqu’un ami offre d’aller la reconduire. Pendant près d’une heure, la travailleuse et ses collègues discutent et organisent un party. Au moment où le groupe décide de se lever et de se diriger vers la sortie, la travailleuse chute sur le plancher mouillé et subit une fracture au tibia gauche. Elle est ensuite indemnisée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après : « CNESST »), ce que l’employeur conteste dans le présent litige.

En effet, l’employeur prétend que la survenance de la chute n’est pas concomitante à la fin du quart de travail de la travailleuse, celle-ci étant demeurée sur les lieux du travail uniquement afin d’attendre sa mère et de discuter avec ses collègues. Ainsi, de l’avis de l’employeur, la travailleuse avait quitté sa sphère d’activités professionnelles au moment de l’accident.

Le Tribunal constate que la preuve ne permet pas de conclure que l’accident est survenu « par le fait du travail »; la travailleuse n’effectuait pas ses tâches d’hôtesse lorsqu’elle est tombée. Le Tribunal devait donc déterminer si l’accident est survenu « à l’occasion du travail » :

[14] Cette expression n’est pas définie à la Loi. Cependant, la jurisprudence établit qu’il est nécessaire de rechercher si l’activité exercée lors de l’événement est suffisamment reliée au travail. Autrement dit, s’il existe un lien plus ou moins étroit entre l’activité exercée à l’occasion de laquelle la lésion de la travailleuse survient et son travail.

[15] Certains indices sont retenus par la jurisprudence, permettant de qualifier un événement survenu à l’occasion du travail. Il est opportun de rappeler qu’il n’est pas nécessaire que tous soient réunis pour conclure en ce sens, aucun n’étant à lui seul décisif, mais l’importance accordée à chacun peut varier, tenant compte que chaque affaire doit être analysée en fonction des faits qui lui sont propres. On retrouve parmi ces indices notamment les suivants : le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur, la rémunération, la finalité ou la connexité de l’activité exercée au moment de l’événement avec le travail de même que le moment et le lieu de l’événement.

(Nos emphases)

Le Tribunal retient de ces enseignements que l’élément crucial est la finalité ou la connexité de l’activité avec le travail : la travailleuse était-elle toujours dans sa sphère d’activités professionnelles ou avait-elle plutôt vaqué à une activité personnelle?

Analyse faite, le Tribunal en est venu à la conclusion que le fait de demeurer sur les lieux du travail pendant une heure après la fin de son quart de travail constituait une activité personnelle qui a interrompu la connexité avec le travail, d’autant plus que la travailleuse n’était plus sous l’autorité de l’employeur et que cette activité ne présentait pas d’utilité significative pour lui.

La contestation de l’employeur a donc été accueillie et le Tribunal a déclaré que la travailleuse n’avait pas subi de lésion professionnelle.