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Droit du travail

Droit du travail et de l’emploi – Mars 2025

Table des matières

Un conseiller aux ventes condamné pour agression sexuelle est congédié puis réintégré dans son emploi

Dans une récente décision[1], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») a ordonné la réintégration d’un conseiller aux ventes qui avait été congédié en raison d’une condamnation pour agression sexuelle.

Le salarié en question occupait un poste de conseiller aux ventes pour un concessionnaire automobile depuis 2016. Il était le vendeur le plus expérimenté et le plus performant du concessionnaire.

En septembre 2022, lors de son enterrement de vie de garçon, le salarié a commis des gestes qui ont mené à des accusations d’agression sexuelle sur deux jeunes femmes. Il a été arrêté puis remis en liberté avec conditions quelques jours plus tard.

Suivant ces événements, l’employeur a suspendu le salarié sans salaire. Les événements ont fait l’objet d’une couverture médiatique importante. Le 30 janvier 2023, le salarié a été réintégré dans ses fonctions en attente de son procès et est demeuré en poste jusqu’à sa déclaration de culpabilité, le 11 janvier 2024. Il a été congédié le lendemain et a contesté son congédiement.

Dans le cadre de son analyse, le TAT devait se demander s’il existe un lien objectif entre les infractions d’accusation sexuelle et l’emploi de conseiller aux ventes de véhicules automobiles chez un concessionnaire. L’employeur argumentait que des clientes de l’entreprise pouvaient être à risque lorsqu’elles se retrouvaient seules avec le salarié, notamment lors des essais routiers. De même, il considérait que les accusations du salarié portaient atteinte à la réputation du concessionnaire, celui-ci se trouvant dans une petite municipalité et les événements ayant fait l’objet d’une couverture médiatique importante. Du côté du salarié, il plaidait qu’aucun lien objectif n’avait été démontré entre les infractions et son emploi. Il soulevait donc sa protection en vertu de l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (ci-après la « Charte »).

Dans le cadre de son analyse, le TAT retient que les arguments de l’employeur reposent sur une interprétation étroite de l’article 18.2 de la Charte et qu’une telle interprétation annihile l’application de cette disposition dans le cadre d’infractions à caractère sexuel. Le TAT retient que les infractions commises par le salarié n’ont aucun lien avec ses fonctions chez l’employeur, celles-ci ayant été perpétrées dans le cadre d’un événement purement personnel. Par ailleurs, il retient qu’aucun événement ne s’était produit dans le cadre de ses années à l’emploi de l’employeur. Le TAT conclut également que les craintes de l’employeur relèvent d’hypothèses et même de stéréotypes, non supportés par la preuve. Aucune restriction n’a d’ailleurs été imposée au salarié quant à sa présence avec des femmes.

Par ailleurs, la juge administrative retient que l’employeur n’a pas fait la preuve que la médiatisation des accusations contre le salarié portait atteinte à sa réputation, ce qui aurait pu permettre d’inférer l’existence d’un lien objectif.

Dans ces circonstances, le TAT accueille la plainte et ordonne la réintégration du salarié dans ses fonctions.

 

Cégep de la Gaspésie : congédiement validé grâce à la vidéosurveillance et aux rapports informatiques

Le Cégep de la Gaspésie et des Îles a congédié un concierge pour des actes répétés de « vol de temps », appuyés par des enregistrements vidéo et des rapports informatiques. Malgré l’opposition du syndicat, l’arbitre a jugé ces preuves admissibles et conclu que les manquements de l’employé justifiaient son renvoi, rejetant ainsi le grief.

Le syndicat conteste le congédiement de M. Yanny Trudel, concierge de résidence, par le Cégep de la Gaspésie et des Îles[1]. L’employeur justifie ce congédiement par des actes de « vol de temps » récurrents, des départs hâtifs et des pauses repas prises hors des résidences, s’appuyant sur des enregistrements de vidéosurveillance et des rapports informatiques.

Le syndicat s’oppose à l’admissibilité de ces preuves, arguant que l’intégrité et l’authenticité des vidéos ne sont pas prouvées et que leur obtention, ainsi que celle des données des rapports informatiques, viole les droits fondamentaux du plaignant. Le syndicat invoque les articles 5 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne, ainsi que l’article 2858 du Code civil du Québec, soutenant que l’utilisation de ces preuves déconsidérerait l’administration de la justice. Sur le fond, le syndicat plaide que l’employeur n’a pas prouvé les manquements reprochés et que la sanction est excessive compte tenu de la règle de la progression des sanctions.

L’arbitre a d’abord examiné l’objection du syndicat concernant l’admissibilité des vidéos et des rapports informatiques. Il note que le droit à la vie privée et à des conditions de travail justes et raisonnables sont des droits fondamentaux protégés par la Charte québécoise. Ensuite, il conclut que les preuves étaient admissibles, considérant que la vidéosurveillance était justifiée par les besoins de sécurité des résidences et que les employés avaient été informés de son existence. L’utilisation des rapports informatiques, quant à elle, a été jugée raisonnable dans le contexte de la surveillance du temps de travail.

Quant à la légitimité du congédiement, l’arbitre conclut que l’employeur a prouvé, par les vidéos et les rapports informatiques, que M. Trudel avait commis des actes de « vol de temps » de manière répétée, malgré un avertissement antérieur et une suspension d’une journée. L’arbitre a estimé que ces manquements étaient suffisamment graves pour justifier le congédiement, compte tenu de la position de confiance qu’occupait M. Trudel considérant qu’il travaillait de nuit avec peu ou pas de surveillance et de l’importance de la confiance dans la relation employeur-employé. En conséquence, le grief a été rejeté.

Une faute grave peut-elle justifier un congédiement accéléré?

Dans une affaire opposant la Société des alcools du Québec (SAQ) et le Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la SAQ (FEESP-CSN)[1], le Tribunal a confirmé qu’un employeur peut sauter des étapes de la discipline progressive en cas de faute grave. Toutefois, il doit justifier rigoureusement chaque sanction, surtout lorsque le congédiement repose sur des fautes subséquentes de moindre gravité.

À l’été 2020, le plaignant, un caissier-vendeur, est impliqué dans plusieurs incidents en succursale, dont un particulièrement sérieux où il aurait poursuivi un client à l’extérieur du magasin et l’aurait aspergé d’un produit désinfectant. L’employeur considère cet acte comme une faute grave, justifiant l’imposition d’un avis final tenant lieu de suspension en juillet 2021, une sanction disciplinaire qui précède normalement le congédiement dans la gradation des mesures disciplinaires.

Or, dans les semaines qui suivent, le plaignant adopte des comportements jugés inappropriés, notamment des propos à connotation sexuelle et des gestes déplacés devant des collègues. Bien que de l’avis du tribunal, ces nouveaux incidents soient de moindre gravité que la faute initiale, l’employeur estime qu’ils constituent une récidive rapide et démontrent un manque de remords, justifiant ainsi le congédiement du plaignant en août 2021.

Le syndicat conteste la démarche de l’employeur, arguant qu’il aurait dû respecter les principes de discipline progressive prévus dans la convention collective. Selon lui, le fait d’imposer directement un avis final, puis de congédier le plaignant pour des fautes moins graves, constitue une sanction disproportionnée. Il souligne également que le plaignant revenait d’une longue période d’invalidité et que la direction n’a pas pris en compte certains facteurs atténuants, comme le stress du retour au travail et un climat organisationnel difficile.

Le Tribunal conclut que l’employeur était en droit d’imposer directement un avis final tenant lieu de suspension, étant donné la gravité des gestes posés initialement par le plaignant. La convention collective permet en effet de sauter certaines étapes de la gradation des sanctions en cas de faute grave, et l’agression contre un client justifiait cette approche.

Cependant, le Tribunal reconnaît que les incidents ayant mené au congédiement étaient objectivement moins graves. Malgré cela, il considère que leur récidive rapide, combinée à l’absence de prise de conscience du plaignant et à leur impact négatif sur le climat de travail, justifiait la rupture du lien de confiance.

Cette décision met en lumière une réalité importante du droit du travail : une faute grave initiale peut accélérer le processus disciplinaire et fragiliser la position d’un employé en cas de récidive, même pour des gestes moins graves.

Pour les employeurs, elle réaffirme le droit de passer outre certaines étapes de la discipline progressive lorsqu’une faute grave est commise, mais elle souligne aussi que chaque nouvelle sanction doit être bien justifiée.

Pour ces motifs, le congédiement a été maintenu et le grief a été rejeté.

Fermeture du service téléphonique de prise de plaintes de la CNESST : un motif valable pour relever le plaignant de son défaut?

Le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») conclut qu’il s’agit bel et bien d’un motif raisonnable de relever le plaignant de son omission de s’exécuter dans le délai prescrit par la loi et déclare sa plainte recevable.

Dans l’affaire Montoya Alvarez c. Caldic Canada inc.[1], le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[2] (ci-après la « LNT ») suite au congédiement dont il a fait l’objet après 15 ans de service. À la suite du dépôt de sa plainte, l’employeur a contesté sa recevabilité, invoquant le non-respect du délai de 45 jours prévu par la LNT. Selon lui, la plainte, déposée le 6 janvier 2023, dépasse ce délai, puisque le congédiement a eu lieu le 17 novembre 2022. Le TAT devait donc déterminer si le plaignant pouvait être relevé de son défaut.

Dans son analyse, le TAT détermine d’abord le délai dans lequel le plaignant pouvait déposer sa plainte. Il conclut qu’en la matière, ce sont les Règles de preuve et de procédure du Tribunal administratif du travail[3] (ci-après les « RPPTAT ») qui doivent trouver application et, plus particulièrement, l’article 44. Suivant ces règles, il établit que le plaignant avait jusqu’au 3 janvier 2023 pour contester son congédiement.

Afin de justifier le retard dans le dépôt de sa plainte, le plaignant a expliqué avoir mandaté son ex-conjointe pour s’en charger, se sentant psychologiquement incapable de le faire lui-même après la perte de son emploi. Le TAT note qu’il a pris cette initiative avant son départ en Colombie, le 14 décembre 2022, soit plus de deux semaines avant l’expiration du délai. Il retient de la preuve, par ailleurs, que le 3 janvier 2023, la cousine de son ex-conjointe a contacté la CNESST pour déposer la plainte, mais en raison de la fermeture du service téléphonique, elle a laissé un message. Une préposée de la CNESST a retourné l’appel le lendemain, le 4 janvier 2023. Plus tard dans la journée, un appel regroupant le plaignant, son ex-conjointe, sa cousine et un préposé de la CNESST a permis de transmettre les informations nécessaires au dépôt de la plainte. Ce n’est toutefois que le 6 janvier 2023 que le préposé de la CNESST a envoyé un courriel au plaignant pour qu’il signe la plainte, ce qu’il a fait immédiatement.

Cela dit, le TAT indique que la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[4] n’exige pas la preuve d’une impossibilité d’agir de la part de la personne qui est en défaut. Il peut suffire de démontrer que les démarches initiales afin de déposer la plainte ont été effectuées à l’intérieur du délai prescrit. En l’espèce, le TAT note que la tentative de déposer la plainte le 3 janvier 2023 n’a pas été fructueuse dû au fait que le service téléphonique de la CNESST était fermé. Or, cette situation ne pouvait être opposable au plaignant, cette journée n’étant pas fériée au sens des RPPTAT.

Le TAT conclut finalement que le délai excédentaire nécessaire au dépôt de la plainte était attribuable au traitement administratif par la CNESST, que le plaignant et ses représentantes n’ont pas été négligents durant cette période et que l’employeur ne subirait pas de préjudice grave découlant du fait de relever le plaignant de son défaut de s’exécuter dans le délai prescrit.

Pour ces motifs, la plainte est jugée recevable.