Droit du travail et de l’emploi – Mai 2024
Table des matières
Décès d’un travailleur étranger agricole : la cour d’appel entendra la succession
Il apparaissait de la trame factuelle de cette affaire[1] que le travailleur étranger agricole était à l’emploi de l’entreprise Cultures Fortin Inc. depuis plusieurs saisons au moment de son décès. Le travailleur est décédé dans le garage de la firme agricole, que le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») reconnaît être un lieu de travail.
Suivant l’événement, la succession du travailleur a fait une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST ») afin de bénéficier des prestations de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (ci-après « LATMP »). La réclamation a été refusée par la CNESST, décision que la succession a contestée devant le TAT.
Dans le cadre de son analyse, le TAT devait plus particulièrement statuer si l’accident était survenu à l’occasion du travail, afin de permettre à la succession de bénéficier des prestations de la loi.
Au moment de l’accident, le travailleur avait terminé sa journée de travail et n’était pas rémunéré. De même, en lien avec le critère relatif au lien de subordination, le TAT conclut qu’aucune demande n’avait été faite par l’employeur de procéder à la réparation du pneu du véhicule et que cette activité n’était pas en lien avec le travail du travailleur. La preuve ne démontrait pas non plus qu’il était habituel pour les travailleurs étrangers agricoles de procéder à des réparations de véhicule. Selon le TAT, le changement de pneu était une activité effectuée dans la sphère personnelle du travailleur, puisqu’il avait été mis en preuve que celui-ci se rendait à une partie de soccer avec ses collègues lorsque le pneu a crevé.
La Cour supérieure, en révision judiciaire, a confirmé la décision du TAT. C’est suivant cette décision que la succession du travailleur a déposé une demande de permission d’appeler à la Cour d’appel.
Pour la succession, le TAT a commis une erreur de droit en restreignant la définition d’accident du travail prévue à la LATMP et en altérant le cadre juridique applicable. Notamment, il est reproché au TAT de ne pas avoir considéré la situation particulière des travailleurs étrangers agricoles, qui habitent sur le lieu du travail.
La Cour d’appel a accueilli la demande de permission d’appeler, jugeant que les questions soulevées dépassaient le seul intérêt des parties.
Un grief pour harcèlement psychologique est accueilli au motif que l’employeur n’a pas rempli son obligation de prévention
Cette conclusion s’inscrit dans l’affaire Syndicat de l’enseignement de l’Outaouais et Centre de services scolaire au Cœur-des-Vallées[1] où la plaignante, une enseignante, reproche à l’employeur, un centre de services scolaire, de n’avoir rien fait pour que cesse le harcèlement que lui auraient fait subir des collègues.
Tout d’abord, l’arbitre rappelle qu’au regard de la Loi sur les normes du travail[2] (ci-après « LNT »), l’obligation de l’employeur en matière de harcèlement psychologique est double. La première se situe en amont des manifestations de harcèlement, alors que la deuxième est en aval. De manière plus précise, il soutient que l’ipséité de l’obligation de prévention exige qu’elle se situe avant que ne surviennent des actes ou gestes de harcèlement, alors que l’obligation de faire cesser résulte de l’existence de manifestations de harcèlement psychologique.
En l’espèce, la preuve présentée par la partie syndicale fait état d’une multitude d’allégations de harcèlement psychologique dont la vaste majorité concerne des comportements des collègues de la plaignante. Aux yeux du tribunal, l’analyse globale de ces comportements déplacés ne permet pas de conclure que la plaignante a été victime de harcèlement psychologique de la part de ses collègues. Toutefois, l’arbitre retient, comme l’avait constaté l’enquêteur mandaté par l’employeur, qu’elle a été victime d’incivilité et de comportements inacceptables de la part de ces derniers.
Dans une petite école qui ne comptait qu’une vingtaine d’enseignantes, l’arbitre est d’avis que le directeur ne pouvait ignorer ce qui s’y passait ni l’atmosphère qui y régnait. Le directeur étant considéré comme le maître d’œuvre de la gestion pédagogique et des ressources humaines de l’école, il doit, à ce titre, prendre des décisions lorsque surviennent des situations conflictuelles entre des employés. Or, dans la présente affaire, le tribunal est d’avis que si la nonchalance, l’indifférence et l’absence de mise en place de mesures idoines par le directeur de l’école constituent une contravention à l’obligation de l’employeur de prévenir le harcèlement psychologique, elles sont en outre des manifestations de ce harcèlement. En effet, aux yeux de l’arbitre, l’absence d’intervention du directeur de l’école représente une conduite vexatoire qui s’est répétée au fil des ans, qui dénote un caractère hostile et non désiré, qui a porté atteinte à la dignité et à l’intégrité psychologique de la plaignante et qui a eu pour conséquence d’entraîner un milieu de travail néfaste.
Par conséquent, le tribunal accueille le grief pour harcèlement psychologique.
Retrait préventif de la femme enceinte : l’employeur est tenu à l’équité procédurale
Cette conclusion s’inscrit dans l’affaire Ouellet c. Tribunal administratif du Travail[1] où la plaignante, une policière, contestait une décision du Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») qui déclarait irrecevable la plainte qu’elle avait déposée à la Commission des normes de l’équité et de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST »), en vertu de l’article 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2] (ci-après « LSST »). Dans cette plainte, la plaignante alléguait avoir fait l’objet de mesures de représailles ou de mesures discriminatoires dans l’exercice d’un droit prévu aux articles 40 et 41 LSST, considérant le refus de son employeur de l’affecter à d’autres tâches dans le cadre du programme Pour une maternité sans danger (ci-après « PSDM »). Elle soutenait que la décision de l’employeur était discriminatoire envers les femmes enceintes, car il affectait déjà à des travaux légers les travailleurs ayant subi notamment une lésion professionnelle.
Le TAT a rejeté la plainte de la plaignante, car il a conclu qu’elle n’avait pas exercé un droit garanti par la LSST. Il soutient que la plaignante ne pouvait prétendre à un « droit à la réaffectation » en vertu des articles 40 et 41 LSST, ce qui l’empêchait de recourir au mécanisme prévu à l’article 227 LSST. Selon lui, ces dispositions ne comportent qu’un « droit à un retrait préventif ». Il repose son raisonnement sur l’arrêt Dionne c. Commission scolaire des Patriotes[3] de la Cour suprême du Canada. Toujours selon le TAT, la possibilité de réaffectation découle de la prérogative de l’employeur pour laquelle il ne peut intervenir sans s’immiscer dans les relations de travail, ce qui outrepasserait sa compétence.
Au soutien de son pourvoi, la plaignante soumet que le TAT a erronément appliqué les principes de l’arrêt Dionne. Elle soutient que les dispositions 40 et 41 LSST prévoient un droit à la réaffectation qui crée une obligation corrélative à l’employeur de vérifier s’il est possible de l’affecter à d’autres tâches ou si un poste plus sécuritaire est disponible.
Après avoir déterminé que la norme de révision applicable est celle de la décision raisonnable, la Cour conclut que la décision du TAT est déraisonnable. Elle précise que la Cour suprême n’a jamais écarté le « droit à la réaffectation » de son interprétation des articles 40 et 41 LSST. Elle note que le TAT a adopté une interprétation restrictive, voire simpliste, de ces dispositions alors que la Cour suprême s’était déjà prononcée sur le sujet. Elle rappelle que l’objectif du régime du retrait préventif garanti par la LSST est d’assurer non seulement une protection sur le plan physique, mais également financier pour la travailleuse enceinte. Il découle donc des articles 40 et 41 LSST une obligation de moyens pour l’employeur de « considérer » ou de « donner suite » à une demande de réaffectation. Certes, il n’a pas l’obligation de réaffecter une travailleuse enceinte. Il se doit cependant d’examiner chaque demande en ce sens et fournir les motifs qui sous-tendent sa décision, qu’elle soit positive ou négative.
C’est dans cette optique que la Cour énonce que la détermination de l’existence d’une mesure de représailles, discriminatoire ou de toute autre sanction que prohibe l’article 227 LSST passe avant tout par l’examen de la raisonnabilité de la décision de l’employeur soit du refus en l’espèce de réaffecter une travailleuse enceinte. C’est ce qui témoigne à plus forte raison la nécessité que cette décision soit motivée pour en évaluer le mérite.
Pour ces motifs, la Cour casse la décision du TAT et retourne le dossier en première instance pour que le TAT statue sur la contestation originale de la plaignante.
L’obligation de négocier de bonne foi
Le contexte de l’affaire McKesson Canada c. Teamsters Québec, local 931[1] est le suivant. Quelques semaines avant l’expiration de la convention collective en vigueur à l’époque, le syndicat a envoyé un avis à l’employeur afin de commencer le processus de négociation.
Lors des négociations entre les parties, le syndicat souhaitait que l’article 19.04 de la convention collective soit modifié afin de permettre aux salariés temporaires de bénéficier de l’assurance collective et du régime de retraite. Cette demande n’a toutefois pas été retenue par l’employeur, et ne se retrouve pas non plus dans l’entente de principe intervenue entre les parties.
Lors de l’assemblée syndicale, les articles de la convention collective avec les modifications convenues ont été lus aux membres du syndicat. Le syndicat a ensuite soumis l’entente de principe à un vote au scrutin secret pour ratification auprès de ses membres. 57 pour cent des membres ont voté en faveur de la signature de la convention collective.
La veille de la date prévue de la signature de la convention collective, le syndicat informe l’employeur de son refus de procéder à la signature au motif qu’une erreur a été commise. En effet, lors de la lecture aux membres, l’article 19.04 a été lu comme si la demande du syndicat avait été accordée par l’employeur, sans que personne ne s’en aperçoive.
Selon le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT »), « la démarche de contestation à laquelle le syndicat donne suite [n’était] rien d’autre qu’une tentative non dissimulée de renverser le vote de ratification dans le but de reprendre la négociation et d’obtenir des concessions supplémentaires de la part de l’employeur »[2] en lien avec le salaire, la durée de la convention collective et l’introduction d’un poste de chef d’équipe.
Par ailleurs, lors de l’audience, les parties avaient admis qu’il n’existait aucune ambiguïté ou mésentente quant au contenu de l’entente de principe survenue entre elles.
Le TAT a donc conclu que le refus du syndicat de donner effet au vote majoritaire obtenu lors de l’assemblée syndicale faisait en sorte qu’il contrevenait à son obligation de négocier de bonne foi, et lui a ordonné de signer la convention collective découlant de l’entente de principe.
L’obligation d’accommodement prévaut sur une lettre de dernière chance
L’arbitre était saisi d’un grief contestant le congédiement d’un résident en médecine familiale[1]. L’enquête menée par l’employeur a révélé que le médecin résident s’est présenté au travail alors qu’il avait consommé de l’Ativan. En raison de la gravité des gestes, des responsabilités et des devoirs d’un médecin résident ainsi que la lettre de dernière chance qui avait été signée par ce dernier, l’employeur a conclu que le lien de confiance était irrémédiablement rompu, mettant ainsi fin à l’emploi.
L’employeur prétendait que l’analyse devait être faite à la lumière des principes reconnus en matière disciplinaire. Selon lui, les comportements du médecin résident constituaient un manquement grave aux obligations inhérentes à sa fonction et contrevenaient à l’entente de dernière chance, laquelle prévoyait que toute violation à l’une des conditions énumérées entraînait un congédiement immédiat. Quant au syndicat, il soutenait que les principes reconnus en matière administrative devaient guider l’analyse du tribunal.
L’arbitre retient la position du syndicat à cet égard. En effet, malgré l’entente entre les parties, la compétence de l’arbitre s’étend à l’application des dispositions de la Charte des droits et libertés[2] (ci-après « Charte »). Il est important de préciser que le médecin résident souffrait d’un problème de dépendance, ce qui constitue un handicap au sens de la Charte.
De plus, l’arbitre retient que l’entente ayant pour but de permettre au plaignant de régler son problème de dépendance ne peut être qualifiée d’entente de dernière chance, en ce qu’elle constitue une mesure discriminatoire en raison du caractère automatique du congédiement qui y est prévu. Cette entente a pour effet de priver le médecin résident de toute opportunité d’accommodement. L’arbitre ajoute cependant que l’employeur pourra être justifié de mettre fin administrativement à l’emploi en cas d’incapacité de contrôler sa dépendance l’empêchant ainsi de rencontrer ses obligations.
Appliquant les principes au cas sous étude, l’arbitre retient qu’en l’absence d’ordonnance médicale attestant d’une prescription d’Ativan nécessaire à la condition médicale du médecin résident, l’employeur a raison de prétendre à une violation de l’entente. Toutefois, au moment du congédiement, l’employeur était au fait de la condition médicale, soit un trouble d’anxiété généralisée, un trouble de déficit de l’attention et une dépendance à l’alcool. De ce fait, il devait mettre en place un processus d’accommodement, sous réserve d’une contrainte excessive.
Ainsi, l’arbitre accueille le grief et annule le congédiement.