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Travail et emploi

Droit du travail et de l’emploi – Juin 2025

Table des matières

La présomption de l’article 28 de la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles : applicable aux lésions psychologiques?

Dans une récente décision[1], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») en arrive à la conclusion qu’une lésion psychologique peut être assimilable à une blessure et ainsi donner ouverture à la présomption prévue à l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (ci-après la « LATMP »). Le TAT conclut ainsi que le travailleur, un chauffeur d’autobus à la Société de transport de Montréal, a subi un accident du travail, survenu dans les circonstances suivantes.

Alors qu’il s’affairait à préparer sa journée de travail dans un autobus, stationné en file avec d’autres autobus dans le garage de l’employeur, un accident est survenu alors que l’autobus garé devant celui du travailleur a soudainement reculé et a percuté son véhicule. Le travailleur s’est dit secoué d’avoir échappé de peu à des blessures graves, puisqu’il se trouvait entre les deux autobus quelques instants auparavant. Il a consulté son médecin traitant, quatre jours plus tard, qui a diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique.

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CNESST ») a accepté la réclamation du travailleur pour un accident du travail, mais la Direction de la révision administrative a infirmé cette décision. Le travailleur contestait cette décision devant le TAT.

L’employeur plaidait que, selon la jurisprudence quasi unanime du TAT, un travailleur victime d’une lésion psychologique ne peut pas bénéficier de la présomption prévue à l’article 28 de la LATMP, une lésion psychologique ne pouvant s’assimiler à une blessure au sens de cette disposition. Il plaidait également qu’il ne s’était pas produit d’événement imprévu et soudain au sens de l’article 2 de la LATMP, et donc que le travailleur n’avait pas subi de lésion professionnelle.

Analysant la question, la juge administrative du TAT se penche d’abord sur l’application de l’article 28 de la LATMP, notamment afin de déterminer si une lésion psychologique peut constituer une blessure au sens de cette disposition. De façon surprenante, la juge administrative conclut que les prémisses juridiques sur lesquelles s’appuyait la jurisprudence quasi unanime du TAT, pour conclure qu’une lésion de nature psychologique ne peut constituer une blessure, doivent aujourd’hui être nuancées. Elle conclut que l’article 28 doit recevoir une interprétation large et libérale pour favoriser son application.

La juge administrative s’attarde à la manifestation des symptômes et aux signes cliniques pour déterminer si la lésion psychologique d’un travailleur peut constituer une blessure. En l’espèce, elle conclut que le syndrome de stress post-traumatique du travailleur s’est manifesté comme l’aurait fait une blessure au sens de l’article 28, notamment en raison de l’apparition subite des symptômes, l’empêchant de poursuivre sa journée de travail.

Suivant ces éléments, elle conclut que la présomption trouve application et elle accueille la contestation du travailleur.

Le remboursement partiel des frais de déplacement en télétravail confirmé par le Tribunal d’arbitrage

Dans cette affaire[1], le syndicat dépose un grief contestant le refus du CISSS de Lanaudière de rembourser l’ensemble des frais d’automobile engagés par les salariés en télétravail lorsqu’ils doivent se déplacer à la demande de l’employeur. Le litige porte exclusivement sur le remboursement du kilométrage dans quatre cas types où le salarié commence, termine ou interrompt son quart de travail pour effectuer un déplacement requis.

Le syndicat soutient que, selon la convention collective et les articles 57(3) et 85.2 de la Loi sur les normes du travail[2] (ci-après la « LNT »), le temps de déplacement et les frais engagés à la demande de l’employeur doivent être compensés. Il considère que l’employeur fait une interprétation erronée de l’article 426.03 des dispositions locales, lequel, selon lui, ne visait pas le télétravail puisqu’il a été négocié avant la pandémie. Le syndicat invoque également une décision similaire rendue dans l’affaire CIUSSS de la Montérégie-Ouest[3], favorable à sa position.

L’employeur admet devoir rémunérer le temps de déplacement pendant l’horaire régulier, mais refuse de rembourser les kilomètres correspondant au trajet normal entre le domicile du salarié et son port d’attache, invoquant que ces frais ne constituent pas des frais « raisonnables » au sens de l’article 85.2 LNT. Il soutient que la convention collective prévoit clairement que seul le kilométrage excédentaire doit être remboursé dans les cas où le salarié ne se rend pas à son port d’attache.

L’article 426.03 de la convention collective locale en litige se lit comme suit :

426.03 Frais d’automobile

Le calcul de l’indemnité à être versée pour les frais d’automobile prévue aux dispositions nationales est effectué à partir du port d’attache de la personne salariée. Le kilométrage remboursé est basé sur la distance nécessaire et effectivement parcourue par une personne salariée lors de l’exercice de ses fonctions.

Toutefois, lorsque la personne salariée n’a pas à se présenter à son port d’attache en début ou en fin de journée, elle n’est indemnisée pour le premier et le dernier déplacement que pour le kilométrage excédentaires’il y a lieu, à celui entre son domicile et le port d’attache.

[Nos soulignements]

L’arbitre conclut que l’article 426.03 est ambigu et qu’il doit être interprété selon l’intention commune des parties au moment de sa rédaction en 2019, soit avant l’essor du télétravail. Il estime que le télétravail, bien qu’avantageux, ne peut justifier un traitement plus favorable pour les salariés en matière de remboursement. Il retient que les frais d’automobile doivent être remboursés uniquement pour le kilométrage excédentaire par rapport à celui normalement parcouru entre le domicile et le port d’attache, et ce, même si le déplacement s’effectue pendant l’horaire de travail. Toutefois, le Tribunal donne raison au syndicat sur la rémunération du temps de déplacement en vertu de l’article 57(3) LNT.

En conséquence, le grief est accueilli partiellement : le temps de déplacement est rémunéré, mais le remboursement des frais d’automobile est limité au kilométrage excédentaire.

Congédiement et enquête interne : une décision annulée par manque de rigueur

Dans une décision récente[1], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») a annulé le congédiement d’un employé, en poste depuis 14 ans au sein d’une association syndicale, en concluant que l’employeur n’avait pas mené une enquête suffisante ni respecté les principes de gestion disciplinaire avant de mettre fin à son emploi.

Le litige portait sur une plainte déposée par l’employé en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[2], à la suite de son congédiement pour faute grave. L’employeur reprochait à l’employé d’avoir falsifié ses rapports d’activités en surestimant les kilomètres parcourus, d’avoir dormi au travail, d’avoir manqué de respect envers les assignations territoriales et d’avoir eu des relations tendues avec certains collègues. L’employé niait ces accusations et faisait valoir qu’il n’avait jamais été sanctionné auparavant et qu’aucune rencontre disciplinaire n’avait eu lieu avant l’annonce de son congédiement.

Le Tribunal a souligné que le congédiement disciplinaire exige, en principe, le respect d’une progression des sanctions. Une rupture immédiate du lien d’emploi ne peut être justifiée que si une faute grave est démontrée de façon probante, après une enquête sérieuse où l’employé a pu faire valoir sa version des faits.

Dans le cas présent, la preuve a révélé que plusieurs des reproches formulés contre l’employé s’appuyaient sur des soupçons ou des indices non validés. Quant aux comportements observés, tels que des visites de chantiers hors territoire ou des épisodes de repos au travail, ils avaient fait l’objet de rappels verbaux informels, sans aucune sanction disciplinaire formelle ni aucun avertissement écrit. Le Tribunal a jugé que ces rappels étaient insuffisants pour constituer une véritable gradation des sanctions.

L’élément central du congédiement, à savoir la prétendue falsification des rapports d’activités, reposait sur une vérification sommaire du kilométrage déclaré, effectuée à l’aide de Google Maps, sans recourir aux données GPS pourtant disponibles. De plus, l’employé n’avait jamais été interrogé sur ces éléments avant son congédiement et n’avait pu fournir des explications ou des précisions.

Le Tribunal a également noté que certaines pratiques internes de l’employeur, telles que la demande faite à l’employé d’effectuer des travaux personnels pour des dirigeants sur les heures de travail, avaient contribué à entretenir un flou sur les attentes en matière de loyauté et d’utilisation du temps de travail.

Enfin, la décision a mis en lumière le fait que la décision de le congédier avait été arrêtée plusieurs jours avant la rencontre avec l’employé, sur la base des conseils juridiques obtenus par l’employeur, et que cette rencontre avait servi uniquement à lui annoncer la fin de son emploi, et non à recueillir sa version des faits.

Le Tribunal a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de démontrer une cause juste et suffisante au congédiement, et a annulé celui-ci.

Cette décision rappelle à nouveau que toute démarche disciplinaire menant à un congédiement doit être rigoureuse, bien documentée et respectueuse du droit de l’employé d’être entendu.

Le Tribunal administratif du travail adhère au courant jurisprudentiel associant le cancer à certaines formes d’intoxication

Dans une récente décision[1], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») a reconnu le cancer développé par un travailleur âgé de 26 ans comme une maladie professionnelle attribuable à son exposition à des agents chimiques dangereux.

Le travailleur occupe le poste de superviseur dans une entreprise de nettoyage de bonbonnes de propane. En 2020, il allègue la survenance d’une maladie professionnelle. Le diagnostic révèle l’existence d’intoxications aiguës à répétition à des solvants et d’une leucémie myéloïde chronique en phase blastique. L’employeur conteste les décisions de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail qui acceptent la réclamation du travailleur et lui imputent les coûts des prestations de la maladie professionnelle précitée. Plus précisément, il avance que la pathologie diagnostiquée n’est pas une maladie professionnelle et qu’il n’existe aucun lien entre l’intoxication aiguë et l’exposition à des solvants présents dans le milieu de travail. En sus, selon l’employeur, le rapport médical émis par le professionnel de santé en l’espèce en est un de complaisance, basé sur des informations incohérentes. Le Tribunal devrait donc considérer le diagnostic comme faux.

Cette décision d’intérêt traite de diverses questions litigieuses, dont nous faisons un court résumé ci-dessous.

Dans un premier temps, le TAT précise que les dispositions de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail[2] (ci-après « la Loi »), entrées en vigueur le 6 octobre 2021, ne s’appliquent pas en l’espèce. Ainsi, il rappelle qu’un tribunal doit rendre une décision en s’appuyant sur le droit applicable au moment de la survenance des faits allégués. Il ajoute qu’en matière de maladie professionnelle, le fait générateur de droit est l’émission du diagnostic à l’origine de la réclamation du travailleur. Dans le cas qui nous occupe, les diagnostics précités ont été posés le 25 février 2020 et le 14 mai 2020, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la Loi. Elle ne s’applique donc pas au litige.

En second lieu, le TAT se penche sur l’argument de l’employeur, selon lequel le diagnostic d’intoxications aiguës à des solvants doit être écarté. À ce sujet, il estime que cette demande revient indirectement à contester une question d’ordre médical à laquelle le Tribunal est lié en vertu des articles 224 et 358 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[3] (ci-après la « LATMP »). Néanmoins, la jurisprudence nous enseigne que, dans certaines circonstances exceptionnelles, le Tribunal peut déroger à cette règle, notamment s’il constate que le diagnostic est manifestement faux ou que le professionnel de la santé émet un rapport médical de complaisance. En l’espèce, aucun élément de preuve ne permet de mettre en doute le témoignage du travailleur sur ses symptômes et sur son milieu de travail. Son diagnostic repose, en outre, sur des signes cliniques concrets et identifiés de manière contemporaine à la survenance de la lésion professionnelle. Il n’y a donc aucune raison d’écarter le diagnostic d’intoxications aiguës à des solvants.

Enfin, le Tribunal considère que la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la LATMP s’applique, et n’a pas été renversée par l’employeur. Ainsi, il adhère au courant jurisprudentiel selon lequel certaines formes de cancer peuvent être assimilées à une intoxication, une maladie incluse à l’Annexe I de la LATMP, s’il est démontré que l’exposition à des substances toxiques est suffisante pour en être la cause. En s’appuyant sur les expertises médicales versées en preuve, le TAT constate que le travailleur a été exposé à des agents chimiques dangereux, mentionnés à l’Annexe I de la LATMP, et que la preuve de leur effet cancérigène est amplement illustrée par la littérature scientifique. Les arguments de l’employeur, selon lesquels le travailleur devrait démontrer le bien-fondé du diagnostic d’intoxication, il n’y aurait pas de preuve de la présence de certains agents chimiques sur le lieu de travail ou encore de leur caractère cancérigène, sont tous écartés. Le Tribunal conclut que la maladie dont souffre le travailleur est présumée d’origine professionnelle. L’employeur est imputé de la totalité des coûts qui y sont liés.