Droit du travail et de l’emploi – Juin 2024
Table des matières
Qualification d’un contrat – recherche de la véritable intention des parties
Dans un récent arrêt[1], la Cour d’appel a eu à interpréter un contrat de travail afin de déterminer si celui-ci était à durée déterminée ou à durée indéterminée. En l’absence d’indices concrets démontrant l’intention des parties de transformer un contrat à durée indéterminée en un contrat à durée déterminée, la Cour d’appel conclut que la juge de première instance a erré dans la qualification du contrat.
Cette conclusion s’inscrit dans le cadre d’un recours en dommages entrepris par une salariée à la suite de sa fin d’emploi. Celle-ci occupait, depuis 1999, un poste d’adjointe comptable et d’adjointe du président. Elle a été promue directrice générale en janvier 2018. Alors que son contrat de travail était auparavant verbal, un contrat de travail écrit a été signé en date du 25 mars 2018. Ce contrat prévoyait une faculté de résiliation bilatérale pour les parties.
En mai 2018, un addendum au contrat a été signé, prévoyant ce qui suit[2] :
La présente est pour confirmer qu’un montant forfaitaire de 10,000.00 $ sera versé à l’employé pour le premier payable de décembre de chaque année pour un contrat de 5 ans à compter de ce jour soit de l’année 2018 à 2022 inclusivement. Dans le cas ou [sic] il y aurait un départ volontaire ou un congédiement le montant de l’année en cours lui sera payé et les montants des années subséquentes seront annulés.
Le 30 novembre 2018, l’employeur a avisé la salariée de son intention de mettre fin à son contrat de travail. L’employeur l’avisait par la même occasion qu’elle reprendrait ses fonctions, tâches et salaire antérieurs.
En novembre 2019, la salariée a intenté un recours en congédiement déguisé afin de réclamer des dommages à l’employeur de même que le salaire pour les années non-complétées de son contrat de travail qu’elle estimait d’une durée déterminée de cinq ans.
En première instance, la juge de la Cour supérieure détermine que le contrat est à durée déterminée et condamne l’employeur à verser notamment la rémunération prévue pour la durée restante du contrat[3].
Quant à la Cour d’appel, elle conclut que le jugement de première instance est entaché d’une erreur manifeste et déterminante concernant la qualification du contrat. Elle rappelle qu’il incombe à la partie qui prétend bénéficier d’un contrat à durée déterminée d’en faire la preuve et qu’un juge doit tenir compte de l’ensemble des dispositions du contrat pour en arriver à une telle conclusion. La Cour rappelle d’ailleurs que la recherche de la véritable intention des parties doit se déterminer à partir de l’ensemble des dispositions du contrat de travail.
Selon la Cour d’appel, la juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante puisqu’elle a omis de tenir compte de la faculté de résiliation bilatérale des parties, alors qu’il s’agit d’un élément militant en faveur de la qualification d’un contrat à durée indéterminée. De même, la Cour retient qu’il n’y a pas d’indices concrets de l’intention commune des parties de transformer le contrat initial à durée indéterminée en un contrat à durée déterminée, une telle transformation devant s’exprimer de façon claire et non équivoque. L’addendum signé en mai 2018 ne répondait pas à ces critères.
Suivant ces éléments, la Cour d’appel retient que le contrat de travail entre les parties en était un à durée indéterminée et détermine donc le délai de congé raisonnable auquel la salariée avait droit.
Un grief pour harcèlement psychologique est rejeté et le tribunal juge qu’il n’est pas habilité à déterminer si l’employeur a fait preuve de négligence dans le traitement du signalement
Le Tribunal d’arbitrage (ci-après le « Tribunal ») est d’avis qu’en l’absence de harcèlement psychologique, il n’est pas habileté à déterminer si l’employeur a fait preuve de négligence dans le traitement du signalement effectué par le plaignant.
Cette conclusion s’inscrit dans une affaire impliquant Rolls-Royce Canada ltée[1] où le plaignant, un soudeur, soutient avoir subi du harcèlement psychologique de la part de son supérieur hiérarchique qui, par son attitude, aurait abusé de son droit de direction.
Dans le cadre de l’arbitrage, le syndicat souhaite administrer une preuve démontrant que l’employeur, après le dépôt du grief, a fait preuve de négligence, notamment en tardant à déclencher une enquête. Selon lui, lorsqu’une conduite est portée à la connaissance de l’employeur, ce dernier a le devoir d’enquêter et doit intervenir de manière diligente. Cette obligation ferait partie d’un tout et serait comprise dans les obligations qui incombent à un employeur en matière de harcèlement psychologique. Pour l’employeur, une telle preuve n’est recevable que si le Tribunal conclut d’abord à l’existence de harcèlement psychologique, ce qui est nié en l’espèce.
Au regard de la preuve, en ce qui concerne la question du harcèlement psychologique, le Tribunal constate l’existence d’un conflit interpersonnel plutôt qu’un exercice abusif du droit de direction. En effet, pour l’arbitre, les conduites alléguées ne peuvent porter les qualificatifs de vexatoires, hostiles ou non désirés. Le Tribunal conclut que le plaignant et son supérieur se livrent davantage une guerre ouverte et se confrontent mutuellement.
Par la suite, il soutient que l’obligation de prendre les moyens raisonnables pour prévenir et faire cesser le harcèlement suppose une obligation inhérente et préalable, soit celle d’évaluer s’il y a existence ou non d’une situation de harcèlement. Ainsi, le comportement d’un employeur à la suite d’un signalement pour harcèlement psychologique peut faire l’objet de la preuve et de l’analyse. Cependant, il est clair pour l’arbitre que le simple fait d’invoquer l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail (ci-après « LNT ») dans un grief de harcèlement psychologique n’accorde pas compétence à l’arbitre de griefs sur toutes les questions relatives au harcèlement. En effet, le grief à l’étude demeure l’assise juridique de la compétence de l’arbitre.
En l’espèce, l’arbitre affirme que le présent grief dénonce une situation de harcèlement psychologique. Il constitue également le premier signalement qui a été fait à l’employeur pour une telle situation. Ainsi, au moment du dépôt du grief, les allégations de négligence n’existaient pas puisque les faits à leur soutien se sont produits subséquemment. Par conséquent, il conclut que l’objet du grief n’englobe pas cette question de négligence et, si le Tribunal acceptait d’en traiter, cela aurait pour effet de dénaturer la portée du grief.
En terminant, l’arbitre soutient que les pouvoirs d’intervention de l’arbitre de griefs en matière de harcèlement psychologique sont exposés à l’article 123.15 LNT. Or, les conditions donnant ouverture à l’exercice par le Tribunal des pouvoirs qui y sont énumérés sont cumulatives : il faut conclure que la personne visée est victime de harcèlement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et que l’employeur a violé les obligations qui lui incombent aux termes de l’article 81.19 LNT.
Suivant ce qui précède, l’arbitre conclut que même si le Tribunal concluait à la négligence de l’employeur en l’espèce, il ne serait pas habilité à rendre des ordonnances remédiatrices puisqu’aucun constat de harcèlement psychologique n’a été fait.
Le grief est donc rejeté.
[1] Syndicat des travailleuses et travailleurs de Rolls-Royce Canada – CSN et Rolls-Royce Canada ltée, 2024 QCTA 194 (Isabelle Leblanc).
Le tribunal administratif du travail déclare que le lien de subordination est un critère déterminant dans la reconnaissance du statut de travailleur au sens de la latmp
Le Tribunal conclut qu’un chauffeur de taxi est un travailleur au sens de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (ci-après « LATMP ») principalement en raison du contrôle de l’exécution du travail qu’exerce l’entreprise pour laquelle il travaille.
Plus particulièrement, dans l’affaire Taxi Rive-Nord (9029-2814 Québec inc.) et Azizi[2], la plaignante conteste son statut d’employeur ainsi que le statut de travailleur de M. Azizi, un chauffeur de taxi. Ce dernier a produit une réclamation auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST ») pour une lésion professionnelle survenue après qu’un client l’ait agressé en tentant de le voler. Dans le cadre de cette affaire, la CNESST a rendu deux décisions, dont une qui reconnaît l’admissibilité de la lésion du travailleur et la seconde qui reconnaît son statut de travailleur et désigne la plaignante comme l’employeur.
Au soutien de ces contestations, la plaignante soumet que M. Azizi est un travailleur autonome et non un travailleur au sens de la LATMP. Elle nie être son employeur, car elle allègue que M. Azizi exerce ses activités pour plusieurs employeurs en même temps. Dans l’éventualité où le Tribunal retiendrait que M. Azizi est un travailleur, la plaignante soumet subsidiairement que le véritable employeur devrait être M. Latreille, un de ses actionnaires, puisqu’il louerait à M. Azizi le taxi avec lequel il travaille.
Afin de déterminer si M. Azizi est un travailleur au sens de la LATMP, le Tribunal repose son analyse sur les trois critères qui caractérisent le contrat de travail : la prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination juridique. Il estime qu’à la lumière de la preuve administrée, ces trois critères sont rencontrés, faisant M. Azizi un travailleur et la plaignante, son employeur.
En effet, il conclut qu’une prestation de travail est effectuée lorsque le travailleur effectue une course de taxi.
Pour ce qui en est du second critère, le Tribunal estime que le travailleur reçoit une rémunération, bien qu’une partie lui soit versée directement par la clientèle. Il rappelle que pour qu’il y ait rémunération, il n’est pas nécessaire que le travailleur reçoive un salaire ou une somme d’argent ou encore que l’employeur effectue des déductions à la source comme le prétend l’employeur. Tant que la contrepartie pécuniaire qu’il reçoit est proportionnelle à la prestation de travail effectuée, le critère de la rémunération peut être satisfait, ce qui est le cas en l’espèce.
Quant au lien de subordination, le Tribunal conclut qu’il existe un tel lien entre le travailleur et la plaignante. C’est d’ailleurs à ce critère qu’il accorde le plus d’importance dans la détermination du statut de travailleur et du véritable employeur.
Selon le Tribunal, les motifs qui suivent démontrent l’existence d’un tel lien :
- La clientèle et l’achalandage sont la propriété de l’employeur;
- Le contrat de location conclu entre M. Latreille et le travailleur constitue un contrat type préparé par l’employeur qui ne prévoit pas les éléments essentiels du contrat de travail soit les modalités d’exercice du travail;
- Bien que le travailleur exerce un contrôle sur son horaire de travail et ses congés, il n’exerce aucun contrôle sur le travail effectué une fois qu’il s’affiche comme étant disponible pour effectuer ses courses de taxi. L’attribution de son travail dépend du système de répartition de la plaignante;
- Le travailleur n’a pas la liberté de se faire remplacer lorsqu’il doit s’absenter du travail;
- La plaignante exerce un contrôle et une supervision sur le travail effectué par le travailleur. Il s’expose à des mesures disciplinaires s’il n’effectue pas sa prestation de travail conformément au Règlement d’éthique et de discipline de la plaignante auquel il est soumis;
- Le travailleur peut obtenir un crédit de la plaignante pour suivre des formations;
- Le travailleur n’a pas la propriété de ses principaux outils de travail, tels que sa voiture de taxi ou encore le système de répartition des appels;
- Le travailleur n’assume pas réellement les risques de profits et de pertes.
Pour ces motifs, le Tribunal rejette la contestation de l’employeur.
Nous portons à votre attention que cette décision fait présentement l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire.
Appelée d’urgence par son gendre : une première répondante est-elle intervenue à titre personnel ou dans le cadre de son travail?
Le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») devait déterminer si la travailleuse, qui a reçu un appel d’urgence directement de son gendre plutôt que par l’entremise d’un centre d’appel, est intervenue sur les lieux d’un accident à titre personnel ou à titre de première répondante. La lumière est mise sur la réalité des premiers répondants bénévoles en région.
Les faits de l’affaire Lepage et Municipalité de Caplan[1] sont tristes, mais simples. La travailleuse, une première répondante dans la municipalité de Caplan en Gaspésie depuis plusieurs années, reçoit un appel d’urgence afin d’intervenir sur les lieux d’un accident suite à l’explosion, dans un feu domestique, d’une petite bonbonne d’isolation.
Au mois d’avril 2021, un homme et sa conjointe ont décidé d’allumer un feu dans leur cour afin de brûler les restes de certains matériaux de construction. Alors que sa conjointe était à l’extérieur assise près du feu, l’homme se trouvait à l’intérieur de leur résidence lorsqu’il a entendu le bruit d’une explosion et les cris de sa conjointe. Arrivé à ses côtés, l’homme a constaté que sa conjointe était couchée au sol avec une plaie ouverte à la gorge, qu’il y avait du sang en abondance et qu’elle était en détresse respiratoire. Leur voisine, qui est arrivée en même temps, a téléphoné au 911 pendant que l’homme appelait la travailleuse, car il savait qu’elle était première répondante et qu’elle habitait très près. Il importe de savoir que la victime, qui est malheureusement décédée peu de temps après les événements, était la fille de la travailleuse et que l’homme était son gendre. La victime travaillait par ailleurs comme première répondante en compagnie de sa mère, la travailleuse.
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et la sécurité au travail (ci-après « CNESST ») accepte d’abord la réclamation de la travailleuse pour un accident du travail ayant causé un syndrome de stress post-traumatique puis, quelques mois plus tard, reconsidère sa décision au motif que la travailleuse est plutôt intervenue sur les lieux de l’accident à titre personnel et non à titre de première répondante.
Le TAT a pris plusieurs éléments en considération afin de conclure que la travailleuse était intervenue dans le cadre de son travail de première répondante :
- Le fait que la travailleuse et sa fille étaient les seules premières répondantes pour la municipalité de Caplan;
- Le fait que dans certaines situations, même si les premiers répondants sont généralement affectés à un appel d’urgence par un centre d’appel, ceux-ci peuvent intervenir sur des appels impromptus ou à la demande directe d’un citoyen, tel qu’en a témoigné le docteur Roy;
- Le fait que dans une petite communauté comme Caplan, les gens se connaissent bien;
- Le fait que la travailleuse a déjà été appelée à intervenir dans d’autres situations immédiates et imprévues à au moins trois reprises, et;
- Le fait que la travailleuse a complété le rapport d’intervention préhospitalière du premier répondant.
Analyse faite, le TAT a accueilli la contestation de la travailleuse. Cette dernière avait donc droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2].