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Travail et emploi

Droit du travail et de l’emploi – Juillet 2024

Table des matières

Lésion professionnelle en contexte de pandémie

Le tribunal administratif du travail (ci-après « tat ») s’est prononcé dans le cadre d’une demande de transfert d’imputation dans laquelle l’employeur allègue être obéré injustement par les coûts de la lésion professionnelle d’une travailleuse[1]. Sa prétention est à l’effet qu’en raison de la crise sanitaire liée à la covid-19, la travailleuse occupait un autre poste que son poste habituel au moment de sa lésion professionnelle.

De façon habituelle, la travailleuse occupait un poste de caissière dans un supermarché. En raison de la crise sanitaire, différents changements étaient survenus au sein de celui-ci : notamment, les salariés du supermarché devaient porter un masque pour travailler et les bouteilles consignées devaient être récupérées à l’extérieur du commerce de l’employeur plutôt qu’à l’intérieur. Un poste particulier de commis au retour de bouteilles a été créé dans ce contexte et certains salariés y avaient été assignés.

La travailleuse a obtenu de son médecin une exemption de porter un masque en raison d’une condition de claustrophobie, ce qui a généré le mécontentement des clients du supermarché et a généré des plaintes.

Dans ce contexte, l’employeur a donc décidé d’assigner la travailleuse au poste de commis au retour de bouteilles, poste ayant été créé de toute pièce dans le contexte de la pandémie.

C’est dans le cadre de cette affectation que la travailleuse a marché sur un bouchon de plastique et qu’elle a subi une lésion professionnelle. L’employeur alléguait que cette lésion professionnelle ne serait jamais survenue à l’extérieur du contexte pandémique : en effet, la travailleuse aurait poursuivi ses tâches au poste de caissière et la récupération des bouteilles se serait faite selon la procédure habituelle, à l’intérieur. Ainsi, selon l’employeur, la travailleuse n’aurait pu subir une telle lésion professionnelle dans un contexte normal.

Le tat fait droit aux prétentions de l’employeur et considère qu’il s’agit effectivement d’une situation d’injustice puisque la lésion professionnelle ne se serait pas produite, n’eût été la pandémie. De même, puisque 100 % des prestations versées relevaient de cette situation d’injustice, le tat conclut que le fardeau est significatif et accueille donc la demande de transfert d’imputation de l’employeur.

Un grief pour harcèlement psychologique est rejeté et le tribunal juge que l’employeur a pris les mesures nécessaires en matière de prévention

Le tribunal d’arbitrage (ci-après le « tribunal ») est d’avis que l’employeur n’a pas manqué à ses obligations en matière de prévention du harcèlement psychologique en réadmettant sous certaines conditions une ancienne étudiante qui avait été condamnée pour harcèlement criminel à l’endroit d’une chargée de cours.

Cette conclusion s’inscrit dans l’affaire université de sherbrooke[1] où le syndicat, au nom d’une chargée de cours, soutient que la décision de l’université de réadmettre une étudiante qui a été reconnue criminellement responsable de harcèlement envers elle est déraisonnable, abusive, contraire aux règles de la bonne foi et illégale.

En l’espèce, à la suite d’une plainte de la part d’une chargée de cours au service de police de la ville de sherbrooke ainsi qu’à l’université pour du harcèlement au cours de la période de septembre 2017 à juin 2019, une étudiante a plaidé coupable à une accusation de harcèlement criminel pour la période de septembre 2017 au 1er mars 2018. Elle a obtenu l’absolution sous réserve d’une période de probation de 30 mois. L’université, à titre de mesures provisoires, a suspendu cette étudiante le 25 juin 2019 de son inscription à la faculté de l’éducation, suspension renouvelée jusqu’à nouvel ordre le 26 août suivant, cette fois, avec interdiction de s’inscrire à toute activité académique et d’être sur un des campus de l’université. Le 29 août 2022, après des vérifications, le comité de direction de l’université a levé les mesures provisoires pour adopter des mesures définitives. Il est notamment question pour l’étudiante d’une interdiction d’entrer en contact avec la chargée de cours, de l’impossibilité de s’inscrire à des activités pédagogiques données par cette dernière et de l’impossibilité d’approcher ou chercher à être dans les mêmes lieux que la chargée de cours. Puis, l’étudiante a demandé et l’université a accepté son inscription à deux cours au trimestre d’été 2023.

Dans le cadre de l’arbitrage, le syndicat prétend que l’université a manqué à ses obligations en matière de prévention du harcèlement psychologique et que la décision prise de réadmettre l’étudiante concernée l’a été au détriment de la dignité et de la santé psychologique et physique de la chargée de cours et des autres membres du personnel de l’université.

D’entrée de jeu, le tribunal rappelle qu’un employeur est tenu de mettre en place des moyens de prévention et, le cas échéant, des moyens de cessation du harcèlement psychologique. Il y a donc deux obligations qui s’imposent à l’employeur, l’une en aval et l’autre en amont de la problématique de harcèlement psychologique.

Après analyse de l’ensemble de la preuve, l’arbitre estime que l’université a rempli son obligation de prévention, obligation de moyen et non de résultat. Le tribunal souligne que l’employeur n’a pas à démontrer qu’il a fait cesser le harcèlement, mais plutôt qu’il a pris, de façon probante et raisonnable, les moyens à sa disposition pour y arriver. De même, l’arbitre souligne qu’il n’a pas à décider si les mesures proposées par le syndicat sont préférables à celles adoptées par l’université, mais bien si cette dernière a rempli son obligation de prévention.

Dans le cas en litige, le tribunal indique qu’il doit décider en fonction du critère de la personne raisonnable, un modèle subjectif objectif. Ainsi, l’appréciation de la victime elle-même, bien qu’elle ne soit pas dépourvue de pertinence, n’est pas déterminante. En l’espèce, l’arbitre constate que les appréhensions de la chargée de cours ont été prises en compte par l’université d’où notamment les mesures provisoires et définitives assez restrictives imposées à l’étudiante.

Ainsi, le tribunal conclut que la décision d’accepter que l’étudiante puisse à nouveau suivre de la formation à l’université en respectant les conditions adoptées par le comité de direction le 29 août 2022 ne peut être qualifiée de déraisonnable et d’abusive.

Pour ces motifs, le grief est donc rejeté.

 

Le poste d’électricien dans une ville est incompatible avec des infractions de nature sexuelle

L’arbitre Denis Nadeau a confirmé le congédiement d’un électricien reconnu coupable d’infractions criminelles de nature sexuelle envers un mineur.

L’arbitre nadeau a rendu une décision très intéressante en établissant le lien entre le poste d’électricien à la ville de montréal[1] et le fait que le salarié ait été reconnu coupable d’infractions criminelles. Les faits sont relativement simples et peuvent se résumer ainsi.

Le salarié travaillait pour la ville de montréal depuis le 9 juin 2008. Il a été titularisé dans la fonction d’électricien d’arrondissement le 2 avril 2016 (pierrefonds-roxboro).

Le salarié a été reconnu coupable des accusations suivantes :

  1. Incitation à des contacts sexuels avec un enfant âgé de moins de 16 ans;
  2. Avoir rendu accessible à un enfant du matériel sexuellement explicite.

Au moment de son arrestation, soit en 2018, l’employeur n’a pas été avisé des accusations criminelles portées contre le salarié; celui-ci a quitté en maladie.

L’employeur apprend seulement, lors de son retour au travail le 8 mai 2019,qu’il aurait eu des accusations de nature sexuelle. Il le suspend ainsi administrativement sans solde jusqu’à la fin des procédures criminelles. Lors de son retour au travail, l’employeur l’a congédié en raison du lien entre les infractions criminelles et le poste qu’il occupe à la ville.

D’abord, l’arbitre souligne que la détermination du lien avec l’emploi est essentiellement contextuelle[2].

Ensuite, l’arbitre aborde la question du fardeau de preuve de l’employeur. Il souligne ce qui suit :

  1. Tel que signalé par la juge deschamps, le fardeau de preuve de l’employeur consiste donc à établir « un lien objectif en plein faction commise et le poste occupé (…)[3]; cette analyse ne devant pas être faite in abstracto, mais doit tenir compte du « contexte réel dans lequel s’inscrit le dossier ».[4] si la preuve prépondérante et concrète révèle l’existence d’un lien objectif entre infraction et la nature de l’emploi, que celui-ci soit important s’appliquer. Dans le cas contraire, le principe fondamental d’égalité dans l’emploi s’imposera en droit.

En l’espèce, l’arbitre fait l’analyse suivante :

  1. Les infractions, la peine et les ordonnances imposées par la cour du québec

Le salarié a plaidé coupable aux infractions suivantes :

  • Incitation à des contacts sexuels avec un enfant âgé de moins de 16 ans;
  • Rendre accessible à un enfant du matériel sexuellement explicite.
  1. Nature du travail

La fonction d’électricien consiste à faire l’installation, l’entretien, la réparation et le remplacement de divers systèmes électriques sur la voie publique et mobilier urbain (poteaux, lampadaires, etc.).

  1. Organisation du travail

Le travail est réparti en tenant compte de l’évaluation des forces et faiblesses des électriciens en place à l’arrondissement (ils sont quatre). Le temps supplémentaire est volontaire.

Le travail peut être fait seul ou en équipe, selon le type de travail.

  1. Accès à un ordinateur

Les électriciens ont accès à un ordinateur, notamment afin de faire des recherches pour des pièces.

  1. Lieux de travail

L’arbitre souligne qu’il s’agit d’un point important. La preuve a révélé que les électriciens peuvent être appelés à travailler dans des parcs (ces parcs se trouvent parfois dans des cours d’école), des parcs-écoles en raison d’ententes avec des centres scolaires. Ainsi, il est possible que des enfants ou adolescents s’y retrouvent.

On retrouve dans ces endroits publics, des vestiaires, des toilettes, des salles d’exercices, piscine, etc.

L’arbitre est d’avis qu’en raison du travail dans des endroits publics, les interactions entre les électriciens et le public sont inévitables. Ainsi, il est possible que le salarié ait accès à la présence d’enfants de moins de 16 ans. Également, l’arbitre nadeau souligne qu’en raison de la nature sexuelle des infractions et de la nécessité de protéger les enfants d’infractions, il y a lieu de reconnaître le lien avec l’emploi d’électricien et de confirmer le congédiement.

En ce qui a trait à la suspension pour enquête sans solde, l’arbitre est d’avis que celle-ci se retrouve dans les cas d’exception de l’arrêt cabiakman.

Mensonges sur sa participation à des interventions dans le but d’éviter d’avoir à témoigner : son congédiement est maintenu

Le tribunal d’arbitrage a conclu que le congédiement imposé à un lieutenant qui a minimisé sa participation à trois interventions dans le but de ne pas avoir à témoigner lors d’un procès était justifié.

Dans l’affaire syndicat des pompiers et pompières du québec (section locale saint-joseph-du-lac) et municipalité de saint-joseph-du-lac[1], le plaignant occupait les fonctions de lieutenant au sein du service de la sécurité incendie de la municipalité de saint-joseph-du-lac. Dans le cadre de ses fonctions, le plaignant pouvait être appelé à témoigner à la cour, notamment pour appuyer des constats d’infraction émis par la municipalité ou par le directeur des poursuites criminelles et pénales.

Entre mars et mai 2020, le service de la sécurité incendie a remis huit constats d’infraction à une entreprise, qui les a contestés. Les constats ont ensuite fait l’objet d’un procès devant la cour municipale. Quelques jours avant la date prévue du procès, l’une des procureures de la municipalité a tenu une rencontre préparatoire avec certains pompiers, car ceux-ci étaient des témoins potentiels au procès. Le plaignant y a assisté puisqu’il était concerné par trois des huit constats d’infraction.

À la suite de cette rencontre préparatoire, la procureure a informé le directeur général de la municipalité que le plaignant ne semblait pas ouvert à l’idée de collaborer et de préparer son témoignage, et que, selon elle, il mentait pour ne pas avoir à témoigner au procès.

La municipalité a par la suite convoqué le plaignant à une « comparution en discipline » afin de le questionner sur les réponses qu’il a données à la procureure lors de la rencontre préparatoire. Le plaignant a finalement été congédié deux semaines plus tard.

Dans son analyse, l’arbitre a passé en revue la participation du plaignant aux trois interventions qui faisaient l’objet des constats d’infraction dont il était concerné.

Pour la première intervention, l’arbitre a retenu que le plaignant avait menti à la procureure lors de la rencontre préparatoire en affirmant n’avoir participé d’aucune façon à l’intervention en question. Pour ce qui est de la deuxième intervention, l’arbitre a retenu que le plaignant avait bel et bien été témoin de l’altercation et qu’il avait donc menti à la procureure. Finalement, en ce qui a trait à la troisième intervention, l’arbitre a retenu que le plaignant avait minimisé sa participation, en prétendant qu’il ne pouvait témoigner au sujet du feu dans le conteneur puisqu’il n’avait pas lui-même vu les flammes, et ce, malgré le fait que ses collègues aient déployé un boyau afin d’éteindre les flammes.

L’arbitre a donc conclu que les faits reprochés au plaignant avaient été prouvés et que son comportement constituait une faute grave. En effet, après avoir analysé les règles d’éthique de la municipalité, l’arbitre a noté que le plaignant avait manqué à ses devoirs de loyauté et d’intégrité, en plus d’avoir fait passer ses intérêts personnels avant ceux de l’intérêt public et de la municipalité.

Par ailleurs, de l’avis de la procureure de la municipalité, la collaboration du plaignant dans le cadre de la préparation du procès, de même que son témoignage à l’occasion de celui-ci était nécessaire afin d’assurer l’application et le respect de la règlementation municipale.

L’arbitre devait ensuite déterminer si la faute, bien qu’il la considérait de grave, justifiait le congédiement du plaignant. Comme facteurs atténuants, l’arbitre a retenu l’ancienneté du plaignant ainsi que son dossier disciplinaire vierge. Quant aux facteurs aggravants, l’arbitre s’est exprimé ainsi :

[105] d’abord, le plaignant occupe un poste de lieutenant, soit un poste de supervision dans lequel il faut veiller à la sécurité d’une équipe et à celle du public. Un lieutenant a pour devoir de se comporter de façon exemplaire. Dans le cas du plaignant, il était en outre investi du pouvoir d’émettre des constats d’infraction, c’est-à-dire de veiller à faire respecter la loi et les règlements municipaux. Ces responsabilités impliquent un degré de confiance de la part de la municipalité dont la contrepartie est un devoir de loyauté à la hauteur des responsabilités dévolues.

L’arbitre a finalement retenu que le plaignant n’avait pas admis ses fautes, qu’il avait menti à l’audience et que, tout compte fait, la municipalité était justifiée d’alléguer que le lien de confiance était rompu.

Le tribunal annule un congédiement fondé sur une plainte anonyme

Un congédiement basé sur une plainte anonyme a été annulé par le tribunal, car cette preuve documentaire ne faisait pas foi de son contenu sans le témoignage de son auteur.

Dans l’affaire syndicat des employé-es de l’hôtel clarendon (csn) et hôtel clarendon inc.[1], l’employeur avait congédié le plaignant, un chasseur, pour conduite automobile dangereuse. Dans le cadre de ses fonctions, le plaignant était chargé de stationner et de récupérer les voitures des clients de l’hôtel. Alors qu’il allait récupérer le véhicule d’un client, il aurait été coupé par un autre véhicule, ce qui l’aurait amené à freiner brusquement et à klaxonner pour signaler sa présence. Suite à cet incident, un résident du secteur a envoyé une plainte anonyme à la boîte courriel des chasseurs, reprochant au plaignant d’avoir abusé de son klaxon et d’avoir manqué de civisme en ne laissant pas passer un autre véhicule.

Dans ce contexte, l’employeur a considéré la plainte reçue comme avérée et a décidé de sanctionner le plaignant malgré sa version contradictoire. Il a fondé sa décision uniquement sur la plainte anonyme, qui était l’élément de preuve central produit à l’audience pour démontrer le manquement reproché.

Le tribunal a déploré cette approche. Il a déclaré que l’employeur ne pouvait imposer une mesure disciplinaire uniquement sur la base d’un ouï-dire. La plainte anonyme justifiait une enquête sur les allégations, mais l’employeur aurait dû, au minimum, prendre en compte la version du plaignant et obtenir celle de l’auteur anonyme de la plainte pour évaluer les versions respectives. La décision de l’employeur était donc précipitée et irréfléchie.

Par ailleurs, le tribunal a rejeté l’argument subsidiaire de l’employeur selon lequel le dossier disciplinaire antérieur du plaignant confirmerait qu’il aurait conduit dangereusement en raison du manque de jugement dont il aurait fait preuve dans le passé. Il ne peut présumer que des manquements reprochés sont prouvés sur la base de sanctions disciplinaires antérieures.

Pour ces motifs, le grief est accueilli.