
Droit du travail et de l’emploi – Février 2025
Table des matières
Délais auprès du bureau d’évaluation médicale
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail se voit ordonner par le Tribunal administratif du travail de mandater un professionnel de la santé pour évaluer une travailleuse, dans un délai de six mois, en raison de l’absence d’avis du Bureau d’évaluation médicale.
L’affaire Collège Charlemagne inc. et Desanlis[1] met en cause une cuisinière, occupant un poste dans un collège, qui subit une lésion professionnelle et dont le diagnostic est un trouble d’adaptation avec humeur mixte. Cette condition survient à la suite du harcèlement psychologique subi par la travailleuse de la part d’un collègue de travail.
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST ») accepte la réclamation de la travailleuse. En juin 2019, l’employeur obtient un rapport médical de son médecin désigné, lequel conclut à la consolidation de la lésion professionnelle, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ni limitation fonctionnelle. Quelques mois plus tard, le professionnel de la santé en charge de la travailleuse émet un rapport médical final indiquant, au contraire, qu’elle conserve une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles.
L’employeur conteste ces dernières conclusions. En novembre 2019, la CNESST transmet le dossier de la travailleuse au Bureau d’évaluation médicale (ci-après « BEM »). Sans avoir obtenu les conclusions du membre du BEM, la CNESST rend des décisions relativement au droit à la réadaptation de la travailleuse et à la détermination d’un emploi convenable ailleurs que chez l’employeur. L’employeur demande la révision de ces décisions, en vain.
À la date de l’audience devant le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT »), il s’est écoulé plus de quatre ans depuis la transmission du dossier de la travailleuse au BEM. Celle-ci n’a toujours pas été évaluée par l’un de ses membres.
Suivant ces éléments, l’employeur ainsi que la travailleuse demandent alors au TAT d’ordonner à la CNESST de désigner et de mandater elle-même un professionnel de la santé afin que celui-ci statue sur les sujets médicaux qui font l’objet d’un désaccord entre les parties, le tout conformément à la possibilité prévue au troisième alinéa de l’article 224.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (ci-après « LATMP »).
Dans le cadre de son analyse, le TAT considère qu’en rendant des décisions sans avoir reçu les conclusions du membre du BEM, la CNESST a privé l’employeur de son droit de contester les conclusions du professionnel de la santé qui avait charge de la travailleuse, lequel droit est pourtant prévu par la LATMP.
Le TAT souligne toutefois que le troisième alinéa de l’article 224.1 de la LATMP ne trouve pas application dans le présent dossier, notamment parce que le membre du BEM n’a pas encore été désigné. Pour dénouer l’impasse, le TAT décide de l’appliquer par analogie, se fondant sur des dispositions de la Loi d’interprétation[3] et sur les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi instituant le tribunal administratif du travail[4].
Considérant ces éléments, le TAT accueille la demande des parties. En raison de l’absence d’engagement de la CNESST en ce sens (elle était absente lors de l’audience) et les longs délais déjà encourus, le TAT convoquera les parties à une audience sur le fond advenant que la CNESST n’ait toujours pas rendu de décision dans un délai de six mois du jugement.
Un sentiment d’injustice ne suffit pas pour légitimer une revendication
Le Syndicat des salariés(es) de la fromagerie (CSD) a déposé un grief contestant la décision de l’employeur, Agropur, d’assigner M. Hugo Carrière, mécanicien soudeur « désigné », au quart de nuit en remplacement d’un employé absent, tout en faisant appel à un sous-traitant pour des travaux similaires sur le quart de jour[1]. Le syndicat estime que l’employeur a contrevenu aux dispositions de la convention collective encadrant la sous-traitance et réclame un dédommagement pour les semaines du 25 au 29 avril et du 2 au 6 mai 2022.
L’employeur fait valoir que l’usine fonctionne 24 heures sur 24 et que l’équipe des mécaniciens soudeurs est restreinte. Le rôle du salarié « désigné » consiste précisément à combler des absences, ce qui justifie l’affectation de M. Carrière au quart de nuit. Il soutient également que la planification des horaires et le recours à la sous-traitance ont été effectués en conformité avec la convention collective.
Le tribunal conclut que l’employeur a respecté les dispositions de la convention collective. L’analyse des faits démontre que la répartition des horaires et le recours à la sous-traitance se sont déroulés selon les procédures établies et qu’aucun droit du plaignant n’a été violé. L’assignation de M. Carrière au quart de nuit était conforme à son statut de salarié désigné et la sous-traitance a été utilisée uniquement après épuisement des autres options de comblement des besoins opérationnels.
Le tribunal rappelle également que l’organisation du travail relève du droit de gérance de l’employeur, lequel ne peut être limité que par une disposition expresse de la convention collective, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Enfin, il souligne que le sentiment d’injustice du plaignant ne saurait, à lui seul, légitimer sa revendication.
Par conséquent, le tribunal rejette le grief du syndicat, estimant qu’il ne repose sur aucun fondement valide en vertu de la convention collective.
[1] Syndicat des salariés (es) de la fromagerie (CSD) et Agropur, coopérative agro-alimentaire (Hugo Carrière), 2024 QCTA 583 (Me Maureen Flynn).
Une personne dont le permis de travail est expiré demeure une personne salariée au sens de la loi sur les normes du travail
Le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») conclut que le contrat de travail entre une personne, dont le permis de travail est expiré, et un employeur peut produire des effets, bien que nul.
Dans l’affaire Morley c. Catelli Montréal inc.[1], le plaignant a déposé une plainte au motif qu’il a été congédié en raison de l’exercice du droit de s’absenter pour cause de maladie. L’employeur, de son côté, a fait valoir que le plaignant n’était pas un salarié au sens de la Loi sur les normes du travail[2] (ci-après « L.n.t. ») et qu’il n’a pas démontré avoir exercé un droit prévu à celle-ci.
Le TAT devait donc déterminer si le plaignant était un salarié au sens de la L.n.t. et, le cas échéant, s’il avait exercé un droit prévu à la loi.
Dans son analyse, le juge administratif note que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[3] mentionne qu’un étranger ne peut exercer un emploi au Canada que sous le régime de cette loi et qu’il est illégal d’engager un étranger qui n’est pas autorisé en vertu de celle-ci. Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés[4], lui, prévoit qu’un étranger ne peut travailler au Canada sans y être autorisé par un permis de travail ou par le règlement.
Dans les faits, le plaignant n’est pas citoyen canadien ni résident permanent et détient le statut de réfugié au Canada. Au moment de son embauche, le plaignant fournit à l’employeur son numéro d’assurance sociale (ci-après « NAS ») ainsi qu’un spécimen de chèque. Quelques jours plus tard, l’employeur fait une vérification quant à la date d’expiration du NAS du plaignant. Ce dernier lui mentionne que son NAS est expiré depuis près d’un an, mais qu’il sera mis à jour sous peu. Plus tard, il dira que Service Canada accuse du retard dans le traitement de son dossier, mais qu’il est autorisé à travailler dans l’intervalle. Finalement, quelques semaines après son entrée en poste, l’employeur informe de nouveau le plaignant qu’il a besoin d’une preuve de l’existence de son permis de travail valide. Le plaignant fait défaut de lui en fournir une. Quelques semaines plus tard, le plaignant informe son supérieur qu’il a été arrêté et placé dans un hôpital psychiatrique. À la lumière de cette information, le supérieur comprend que le plaignant n’a pas de permis de travail valide et met fin immédiatement à son emploi.
Tout compte fait, le juge administratif conclut que le contrat de travail entre le plaignant et l’employeur est illégal au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et qu’il est donc annulable, car vicié. Il retient, cependant, qu’il a produit des effets, car le plaignant a fourni une prestation de travail conformément aux attentes de l’employeur, et qu’il a reçu une rémunération en contrepartie. Ainsi, le plaignant était considéré comme une personne salariée au sens de la L.n.t., la notion de « personne salariée » devant recevoir une interprétation large et libérale.
Au final, même si le plaignant pouvait être considéré comme une personne salariée au sens de la L.n.t., le TAT a tout de même rejeté sa plainte au motif que la L.n.t. ne prévoit aucun droit de s’absenter du travail afin de purger une peine d’incarcération dans un hôpital ou ailleurs. Il n’a donc pas exercé le droit qu’il invoque et ne peut bénéficier des articles 122 et 123 L.n.t.
Congédiement d’un chef électricien pour propos racistes et attouchements sexuels [1]
L’arbitre Éric Lévesque a rendu une décision sur un grief contestant le congédiement d’un chef électricien pour avoir tenu des propos à caractère raciste à l’endroit d’un collègue et surtout, pour lui avoir fait des attouchements sexuels. L’arbitre a retenu que les faits étaient prouvés et que le lien de confiance nécessaire à la relation de travail était définitivement rompu. Il a confirmé le congédiement.
L’arbitre Éric Lévesque était saisi d’un grief contestant le congédiement d’un chef électricien suite à des propos racistes et des attouchements sexuels à l’endroit d’un collègue. Le plaignant et le collègue en question travaillaient tous les deux à une même centrale et étaient hébergés sur place. Il y avait certains espaces communs mis à la disposition de l’ensemble des résidants. Ils étaient donc appelés à se croiser de temps à autre.
Le collègue victime des comportements du plaignant était originaire de la communauté crie de Mistissini. L’arbitre souligne qu’il a été confronté à différents moments de sa vie à des préjugés liés à son origine autochtone.
La preuve révèle que le plaignant utilisait des surnoms comme « kikim, boubou et chef autochtone » pour désigner son collègue. Le tribunal décrit ensuite quatre incidents d’attouchements sexuels que la victime a mentionné comme étant les plus marquants sur environ une dizaine d’incidents au total. Essentiellement, l’arbitre retient que le plaignant a touché les parties génitales de la victime à travers ses vêtements à au moins quatre reprises.
L’arbitre précise que le manquement relatif aux surnoms n’aurait pas en soi justifié le congédiement, mais que les attouchements sont graves et qu’ils le justifient certainement. Le caractère répétitif des événements est un facteur aggravant important à considérer. Il ne retient aucun facteur atténuant. Par ailleurs, il signale que le fait que le plaignant n’ait pas été rencontré par l’employeur avant son congédiement ne change rien à sa décision, dans la mesure où le plaignant a nié en bloc les fautes reprochées ou s’est contenté de les relativiser lors de l’arbitrage. Il est donc raisonnable de croire qu’il aurait fait de même s’il avait eu l’occasion de donner sa version des faits à l’employeur.
Le grief de congédiement est donc rejeté.
[1] Hydro-Québec et Syndicat des employé-es de métiers d’Hydro-Québec, SCFP, section locale 1500, 2025 QCTA 20 (Me Éric Lévesque).