Droit du travail et de l’emploi – Décembre 2024
Table des matières
Conditions de travail raisonnables : le Tribunal tranche en faveur de l’installation d’une caméra dans la chambre d’une patiente
L’arbitre Me Fany O’Bomsawin a tranché la question[1] de savoir si l’installation d’une caméra dans la chambre d’une patiente dans un centre hospitalier par son conjoint constitue une condition de travail déraisonnable au sens de l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (ci-après « Charte »).
Le contexte dans lequel la caméra a été installée est le suivant. La patiente était dans un état neurovégétatif et avait une incapacité à communiquer. Après que le conjoint ait eu des doutes sur la qualité des soins prodigués, il a décidé d’installer une caméra dans la chambre. Celle-ci permettait également de veiller sur sa conjointe et à ses enfants de communiquer avec leur mère. Il est à noter que le conjoint a procédé à l’installation de la caméra sans le consentement de l’employeur.
Lorsque le personnel soignant a été mis au courant de la situation, il a dénoncé la situation à l’employeur. Celui-ci a dès lors obtenu un avis juridique afin de déterminer si le conjoint était en droit d’installer une telle caméra, ce qui lui a été confirmé.
Le personnel soignant a finalement interpellé le syndicat, pour faire cesser l’utilisation de la caméra. Il avait été mis en preuve que le conjoint de la patiente intervenait directement auprès de lui et qu’il enregistrait les bandes vidéos. La caméra filmait en continu.
Certaines discussions ont été tenues entre le syndicat, l’employeur et l’éthicienne du CIUSSS, suite auxquelles l’employeur a réitéré le droit du conjoint de la patiente d’installer la caméra. Suivant ces éléments, le syndicat a déposé un grief visant le retrait de la caméra, alléguant que son installation et son utilisation constituaient des conditions de travail déraisonnables au sens de l’article 46 de la Charte.
De son côté, l’employeur plaidait qu’il n’était pas responsable de l’installation de la caméra et qu’il n’avait pas accès (et qu’il a refusé l’accès) aux images filmées, donc l’article 46 de la Charte ne s’appliquait pas.
Analysant l’article 46 de la Charte, l’arbitre conclut que le conjoint de la patiente était dans son droit d’installer la caméra et que l’employeur devait respecter ce droit, ce qu’il a fait. De même, elle retient que les images captées n’ont pas été accessibles à l’employeur et qu’il n’a pas accepté de les visionner.
Suivant ces éléments, elle conclut que l’employeur n’a pas procédé à la surveillance des salariés. Concernant les conditions essentielles dans l’application de l’article 46 de la Charte, l’arbitre rappelle, à cet égard, les enseignements de l’arrêt Vigi Santé ltée[3], de la Cour d’appel. Elle conclut que, puisqu’il n’y a pas de surveillance de l’employeur en l’espèce, l’article 46 de la Charte ne s’applique pas dans le contexte particulier dont elle était saisie.
Elle conclut également que l’employeur a agi de façon raisonnable pour gérer la situation auprès des salariés ainsi que pour leur assurer un milieu de travail sain. Elle rejette le grief.
[1] Syndicat des professionnelles en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal (FIQ) et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal, 2024 QCTA 522 (Fany O’Bomsawin)
[2] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[3] Vigi Santé ltée c. Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ), 2017 QCCA 959.
Le Tribunal administratif du travail ordonne la réintégration d’une employée congédiée en raison de ses limitations fonctionnelles permanentes
Le Tribunal administratif du travail (ci-après « Tribunal ») est d’avis qu’une entreprise exploitant des magasins à rayons n’a pas effectué une analyse sérieuse et individualisée de la situation avant de congédier une gérante présentant des limitations fonctionnelles physiques permanentes et n’a pas non plus démontré qu’elle subirait une contrainte excessive en maintenant celle-ci en emploi.
Cette conclusion s’inscrit dans l’affaire Frenette[1]. La demanderesse, madame Frenette, occupait un poste de gérante de magasin lorsque son employeur, Les Magasins Korvette ltée, l’a congédiée. La demanderesse soutient que cette mesure est discriminatoire et qu’elle ne repose pas sur une cause juste et suffisante au sens de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après « Loi »). De son côté, l’employeur réplique qu’il a dû prendre cette décision en raison des limitations fonctionnelles de la demanderesse, lesquelles sont incompatibles avec son emploi. Selon l’employeur, aucun accommodement raisonnable n’est possible.
Il ressort de la preuve administrée que l’employeur exploite une soixantaine de magasins à rayons offrant une variété de produits d’usage courant. La demanderesse a été embauchée à titre de commis au magasin de Donnacona en 1989. Trente ans plus tard, elle a été promue gérante. Or, en 2022, la demanderesse a été mise en arrêt de travail en raison d’une fracture au coude droit. Un retour progressif est prescrit au mois de juin 2022 et elle doit alors éviter de forcer avec son bras droit. Comme il s’agissait de limitations fonctionnelles temporaires, l’employeur a fait droit au retour progressif, lequel s’est étalé sur six semaines. Pendant cette période, la demanderesse a consacré l’essentiel de son temps à des tâches administratives. Par la suite, son médecin spécialiste a émis de nouvelles limitations fonctionnelles qui, cette fois, étaient de nature permanente. Notamment, la demanderesse ne devait pas soulever plus de cinq livres avec son bras droit ni soulever, à répétition, plus de deux livres. Elle ne pouvait non plus faire de mouvements répétitifs avec son coude droit. C’est donc en raison de ces limitations fonctionnelles permanentes que l’employeur l’a congédiée.
En l’espèce, après analyse, le Tribunal est d’avis que l’employeur ne s’est pas acquitté de ses obligations en matière d’accommodement raisonnable. D’abord, aux yeux du Tribunal, l’employeur n’a pas cherché à obtenir des précisions sur les limitations fonctionnelles de la demanderesse alors que cela s’imposait, notamment quant au caractère répétitif des gestes prescrits. Puis, bien que l’ordonnance médicale se limitait au verbe « soulever », l’employeur a semblé comprendre que la demanderesse ne pouvait pas pousser, tirer ou faire pivoter des produits de plus de cinq livres. Pour le Tribunal, il est permis de se demander si la demanderesse aurait pu utiliser son bras gauche pour soulever des objets plus pesants, dont les contenants de détergent ou d’eau de javel, à titre d’exemple. De plus, il appert que l’employeur n’a pas rencontré la demanderesse ni ses collègues de travail pour vérifier si des accommodements étaient possibles. S’ajoute à cela le fait que l’employeur n’a nullement tenté d’accommoder la demanderesse qui cumulait près de 35 ans d’ancienneté. Pour le Tribunal, un test, ne serait-ce que d’une semaine, aurait été révélateur quant aux réels impacts de cet accommodement, mais l’employeur a préféré procéder au congédiement.
Suivant ce qui précède, le Tribunal conclut que devant si peu d’efforts, il y a lieu de conclure que l’employeur n’a pas effectué une analyse sérieuse et individualisée de la situation. Il annule ainsi le congédiement et ordonne à l’employeur de réintégrer la demanderesse dans son emploi.
[1] Frenette c. Magasins Korvette ltée, 2024 QCTAT 4034.
Indemnité de congé annuel et lésion professionnelle : l’article 242 de la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles limité au retour au travail
Dans une décision récente, le Tribunal administratif du travail se range au courant majoritaire et conclut que l’article 242 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles s’applique uniquement de manière prospective, à partir du retour au travail, sans créer de fiction juridique assimilant une absence pour lésion professionnelle à du temps travaillé.
En effet, dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs en petite enfance de la Montérégie-CSN et Centre de la petite enfance Les Poussineaux (griefs individuels, Linda Brière et une autre)[1], le litige porte sur le calcul de l’indemnité de congé annuel pour deux salariées du CPE Les Poussineaux, madame Brière et madame Lambert, après leur retour au travail à la suite d’arrêts pour des lésions professionnelles. Conformément à la convention collective, l’indemnité est calculée sur la base d’un pourcentage du salaire brut gagné pendant une période de référence. Cependant, le syndicat soutient que cette méthode contrevient à l’article 242 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après « LATMP »), qui garantirait selon lui une indemnité complète, comme si les salariées avaient travaillé pendant leur absence.
Le syndicat plaide que la disposition législative, d’ordre public, prime sur la convention collective et vise à atténuer les préjudices découlant des lésions professionnelles. L’employeur rétorque que l’article 242 LATMP ne s’applique qu’à partir du retour au travail et ne rend pas rétroactivement l’absence équivalente à du temps travaillé. Il souligne que la méthode de calcul est conforme à la convention collective et que l’indemnité versée reflète strictement le salaire brut gagné pendant la période de référence.
Le Tribunal conclut que la clause 18.5 de la convention collective est claire et compatible avec l’article 242 LATMP, ce dernier ne créant pas une fiction juridique permettant de considérer l’absence pour lésion comme du temps travaillé. Il rejette les griefs en adoptant le courant jurisprudentiel majoritaire, selon lequel les droits prévus par l’article 242 LATMP s’appliquent prospectivement à compter du retour au travail.
[1] Syndicat des travailleuses et travailleurs en petite enfance de la Montérégie-CSN et Centre de la petite enfance Les Poussineaux (griefs individuels, Linda Brière et une autre), 2024 QCTA 281 (Me Yves Saint-André).
Le congédiement d’une employée pour avoir empêché la réservation de chambres infestées de vermine et de souris est annulé
Le Tribunal d’arbitrage ordonne la réintégration d’une préposée à la réception de l’hôtel Comfort Inn Aéroport Dorval après que celle-ci ait enregistré des réservations fictives dans le système informatique de l’hôtel et ainsi bloqué certaines chambres qu’elle savait infestées de coquerelles et de souris. Le Tribunal retient que le seul objectif de la plaignante était de protéger la réputation de son employeur et d’éviter que les clients se retrouvent dans une chambre affectée.
Dans cette affaire[1], la plaignante est préposée à la réception de l’hôtel Comfort Inn Aéroport Dorval et cumule 12 ans d’expérience. Dès la fin du mois d’avril 2023, la plaignante ainsi que deux de ses collègues ont commencé à recevoir des plaintes de clients relativement à la présence de coquerelles et de souris dans les chambres et les corridors de l’hôtel. Ceci a engendré plusieurs annulations ou changements de chambres. En réponse à cette situation, des étiquettes ont été apposées sur les chambres affectées. La plaignante a également demandé à la directrice de l’hôtel de faire appel à un exterminateur et a acheté, elle-même, des produits afin de capturer les souris. Les trois collègues ont ensuite bloqué les chambres affectées dans le système de réservation afin qu’elles ne puissent pas être attribuées à des clients. Cette situation a duré environ un mois. Après avoir été rencontrée par la direction au sujet des réservations fictives, la plaignante a été congédiée alors que ses deux collègues s’en sont sorties indemnes. Par le dépôt de son grief, la plaignante conteste son congédiement.
Au soutien du congédiement de la plaignante, l’employeur allègue qu’il a subi d’importantes pertes de revenus dues au fait qu’elle a bloqué plusieurs chambres dans le système informatique.
La preuve a toutefois démontré que tous les jours où la plaignante a effectué des réservations fictives, il restait entre 18 et 42 chambres disponibles. Les revenus de l’employeur n’ont donc pas été affectés de façon aussi importante qu’il le soutenait.
Par ailleurs, l’arbitre déclare, dans sa décision, que le congédiement de la plaignante était disproportionné et injuste. Il note que les chambres qui ont été bloquées étaient infestées de coquerelles ou de souris et qu’elles ne pouvaient donc pas être attribuées à des clients de toute manière. Il retient également que la plaignante n’a pas effectué de manœuvre particulière ou inhabituelle qui ne relevait pas de ses tâches quotidiennes, qu’elle n’a retiré aucun avantage de ses actes et qu’elle ne cherchait qu’à protéger la réputation de son employeur.
L’arbitre mentionne également que l’employeur n’a pas tenu compte de l’ancienneté de la plaignante, de son dossier disciplinaire vierge, de sa transparence et de sa coopération lorsqu’il lui a demandé de ne plus effectuer de réservations fictives. Il conclut donc que le lien de confiance n’a pas été irrémédiablement rompu et accueille le grief.
[1] Syndicat des travailleuses et travailleurs du Comfort Inn Dorval — CSN section réception et 883455 Canada inc. (Comfort Inn Aéroport Dorval), 2024 QCTA 459 (Me Maureen Flynn).