
Droit du travail et de l’emploi – Récentes décisions
Table des matières
Renvoi en arbitrage – les principes
Dans une récente décision[1], la Cour d’appel s’est penchée sur un aspect procédural après que la Cour supérieure ait accueilli une demande de pourvoi en contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale qui cassait un congédiement.
Le congédiement avait été imposé à une salariée qui occupait le poste de secrétaire de rédaction pour la Société Radio-Canada, après un incident de plagiat. La salariée avait d’abord été sanctionnée par une suspension de cinq jours puis par une suspension de trois mois suite à deux incidents différents de plagiat. Ces trois mesures disciplinaires ont été contestées par griefs et ont été entendues par l’arbitre Me Maureen Flynn. Dans sa sentence arbitrale du 20 décembre 2022[2], l’arbitre Flynn rejette les deux premiers griefs relatifs aux suspensions et accueille le troisième grief, substituant une suspension de quatre mois au congédiement imposé par l’employeur. Elle a également ordonné la réintégration de la salariée dans son emploi suite à la suspension.
La Société Radio-Canada a déposé une demande de pourvoi en contrôle judiciaire auprès de la Cour supérieure[3], invoquant le caractère déraisonnable de la sentence arbitrale. La Cour supérieure a accueilli en partie le pourvoi en contrôle judiciaire, estimant que la décision de l’arbitre était déraisonnable au niveau du congédiement. Le juge de la Cour supérieure estime que les motifs retenus par l’arbitre étaient incohérents, qu’ils ignoraient le dossier disciplinaire de la salariée, et que l’arbitre tenait compte de facteurs qui n’étaient pas pertinents au dossier.
Cependant, le juge de la Cour supérieure a estimé qu’il ne lui revenait pas de statuer sur la sanction appropriée qui aurait dû être imposée à la salariée. Il a renvoyé le dossier à l’arbitre Flynn pour qu’elle statue de nouveau sur la sanction appropriée.
Une demande de permission d’en appeler a été déposée et accueillie et la Cour d’appel devait répondre à la question à savoir si le juge de la Cour supérieure avait commis une erreur révisable en renvoyant le dossier à la même arbitre qui avait initialement statué sur le grief.
La Cour d’appel a estimé que le juge de la Cour supérieure, après avoir accueilli le pouvoir en contrôle judiciaire, n’avait pas commis d’erreur en renvoyant le dossier à l’arbitrage. Conformément notamment à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Vavilov[4], il se devait de renvoyer le dossier à l’arbitrage, à moins que le résultat soit inévitable, c’est-à-dire qu’il n’existe qu’une seule issue possible au litige. La Cour d’appel souligne que ce n’était pas le cas en l’espèce et que c’est d’ailleurs très peu souvent le cas en matière disciplinaire puisqu’il existe une multitude de sanctions pouvant être imposées en fonction de circonstances aggravantes et atténuantes.
Toutefois, la Cour d’appel estime que le juge de la Cour supérieure n’aurait pas dû renvoyer le dossier à la même arbitre, mais plutôt à un autre arbitre, puisque demander à la même arbitre de réévaluer sa position initiale la placerait dans une position difficile, voire impossible, qui pourrait nécessairement soulever des craintes de partialité.
Suivant ces éléments, la Cour d’appel renvoie le dossier de congédiement à l’arbitrage pour être entendu de novo par un autre arbitre.
[1] Société Radio-Canada c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (FNCC-CSN), 2025 QCCA 196.
[2] Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (STTRC) et CBC/Société Radio-Canada, 2022 QCTA 555 (Me Maureen Flynn).
[3] Société Radio-Canada c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (FNCC-CSN), 2024 QCCS 651.
[4] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.
Accompagnement syndical : un droit protégé au-delà de la convention collective
Dans une récente affaire[1], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») a rappelé qu’un salarié syndiqué a le droit d’être accompagné par un représentant syndical en rencontre disciplinaire, et ce, même si la convention collective ne le prévoit pas expressément.
Dans un établissement hospitalier, une technicienne est convoquée à une rencontre avec sa gestionnaire et les ressources humaines au sujet de son taux d’absentéisme. À l’invitation de l’employeur, elle choisit d’être accompagnée par un représentant syndical. Lors de la rencontre, ce dernier intervient fermement, qualifiant certaines questions de l’employeur d’intrusives. Moins d’une semaine plus tard, l’employée reçoit une lettre l’informant qu’à l’avenir, toute absence devra être justifiée par un billet médical, sans quoi des mesures administratives ou disciplinaires pourraient suivre. C’est dans ce contexte que la salariée dépose une plainte pour représailles en vertu de l’article 16 du Code du travail (ci-après le « Code »)[2], estimant que la lettre découle directement de l’intervention de son représentant. De son côté, l’employeur soutient que le fait d’être accompagné par un représentant syndical lors d’une rencontre visant à obtenir la version des faits d’une salariée n’est pas l’exercice d’un droit prévu par le Code, mais relève plutôt des dispositions de la convention collective.
Dans son analyse, le TAT devait trancher une question importante : un salarié qui demande l’accompagnement d’un représentant syndical lors d’une rencontre disciplinaire exerce-t-il un droit protégé par le Code, et ce, même si la convention collective ne le prévoit pas expressément?
Sans hésiter, la juge administrative saisie du dossier répond par l’affirmative. Elle rappelle que le droit d’association reconnu à l’article 3 du Code englobe la participation à l’ensemble des activités syndicales, y compris le recours à un représentant dans un contexte disciplinaire. L’interprétation doit être large et libérale, insiste-t-elle, afin de donner plein effet aux protections prévues aux articles 15 et 17 du Code.
Quant à la lettre remise, l’employeur plaidait qu’il s’agissait d’un simple rappel administratif, ce qui n’a pas convaincu le TAT. La lettre impose des conditions nouvelles et plus lourdes que celles prévues à la convention collective, notamment l’obligation systématique de fournir un billet médical. Elle évoque en outre la possibilité de sanctions futures, ce qui suffit, selon la jurisprudence, à la qualifier de « mesure » au sens du Code.
La concomitance entre la rencontre syndicale et la lettre active la présomption de mesure illégale prévue à l’article 17. L’employeur n’a pas réussi à démontrer que la mesure avait été prise pour des motifs totalement étrangers à cette intervention syndicale. Pire encore, le TAT constate que l’intervention du représentant, pourtant autorisée, a été indirectement reprochée à la salariée elle-même, notamment dans la mise en doute de sa bonne foi. Ce glissement a été fatal à la défense de l’employeur.
La leçon ici est claire. Lorsqu’un salarié syndiqué exerce son droit à l’accompagnement, ce geste est protégé, peu importe le libellé de la convention collective. Ce que cette décision vient surtout rappeler aux employeurs, c’est qu’il ne suffit pas de tolérer la présence syndicale : il faut composer pleinement avec celle-ci, même si l’attitude du représentant peut compliquer la gestion
Agression sexuelle et voies de fait sur une civile : la destitution d’un policier confirmée par un tribunal d’arbitrage
La Sûreté du Québec a suspendu sans solde, puis destitué un policier ayant commis une agression sexuelle avec voies de fait sur une personne civile[1]. L’arbitre conclut à la survenance des faits reprochés et à la commission de fautes graves, incompatibles avec la conduite exemplaire à laquelle tout policier est tenu.
Dans cette affaire, il est reproché au plaignant, un patrouilleur, d’avoir agressé sexuellement et infligé des voies de fait à une femme qu’il fréquentait de manière sporadique depuis le printemps 2019. Bien que leur relation reposait sur une dynamique de domination par laquelle le plaignant avait le contrôle sur sa partenaire, les évènements, survenus en janvier 2021 lors d’une soirée, se seraient écartés de manière marquée de leurs pratiques sexuelles habituelles. Le plaignant aurait ignoré les nombreux refus verbalisés par la victime, l’aurait forcée à prendre part à des activités sexuelles violentes et lui aurait causé des blessures conséquentes. À la lumière de ces accusations, l’employeur a entamé un processus disciplinaire qui a donné lieu à une suspension sans solde de 60 jours et, finalement, une destitution.
Dans le cadre de son analyse et en l’absence de témoins directs pouvant corroborer les évènements allégués, le tribunal examine avec précision les versions des faits contradictoires du plaignant et de la victime. Il conclut que le témoignage de cette dernière est soutenu par une preuve documentaire conséquente, dont des échanges de messages textes contemporains aux évènements, des photos des blessures subies et un rapport médicolégal détaillant la gravité de celles-ci. Les faits reprochés sont donc prouvés de façon prépondérante.
En outre, l’arbitre écarte la défense fondée sur la croyance sincère, mais erronée quant au consentement présenté par le plaignant. Au regard des faits prouvés, ce dernier ne pouvait pas ignorer que la victime n’avait aucunement consenti aux gestes posés. Son comportement lors de ladite soirée, notamment le fait qu’il ait filmé la victime après leur relation sexuelle et lui ait demandé de confirmer qu’elle y avait consenti, le démontre. De plus, les messages textes que les parties s’étaient échangés avant la soirée, et dans lesquels ils exprimaient tous les deux vouloir s’adonner à certaines pratiques sexuelles, ne sont d’aucune pertinence pour l’analyse. Sur ce dernier point, l’arbitre s’appuie sur le nouvel article 100.1.9 du Code du travail, jugé d’application immédiate.
Enfin, le tribunal souligne que le statut de policier du plaignant induit un devoir d’exemplarité et des normes de conduite élevées qu’il est tenu de respecter en tout temps. Le fait que les actes soumis à l’analyse aient été commis en dehors du travail ne remet pas en question ce constat.
Quant aux mesures prises, soit la suspension sans solde de 60 jours et la destitution, elles sont jugées appropriées par le tribunal. En ayant agressé sexuellement une victime et en lui ayant infligé des voies de fait, le plaignant a irrémédiablement brisé le lien de confiance qui l’unissait à l’employeur. Par conséquent, les griefs sont rejetés.
[1] Association des policières et policiers provinciaux du Québec et Sûreté du Québec, 2025 CanLII 17163 (QC SAT) (Me Jean-François La Forge).
Absence de double sanction : la perte du boni de performance validée comme mesure administrative
Le Tribunal d’arbitrage a récemment conclu que la perte d’un boni de performance consécutive à l’imposition d’une mesure disciplinaire ne constitue pas une double sanction lorsque les conditions d’admissibilité à cet avantage sont prévues dans une politique administrative appliquée de manière uniforme par l’employeur.
Dans une décision rendue le 14 mars 2025[1], le Tribunal d’arbitrage a rejeté le grief de Steeve Pépin, employé chez Manac inc., qui contestait une suspension d’une journée et la perte du boni de performance qui en résultait. L’employeur reprochait à M. Pépin d’avoir entreposé une palette de tambours à un niveau élevé sans l’avoir correctement sécurisée, contrevenant ainsi à une règle claire en matière de santé et sécurité. Bien que le syndicat ait invoqué un flou dans l’application de cette consigne, le tribunal a estimé que le plaignant connaissait bien les règles en vigueur, ayant reçu plusieurs rappels à l’ordre et même une suspension antérieure pour des manquements similaires.
L’arbitre a conclu que la suspension imposée était justifiée au regard du comportement fautif et répétitif du plaignant. Quant à la perte du boni, il a statué qu’elle ne constituait pas une sanction disciplinaire additionnelle, mais une simple conséquence administrative découlant de l’application objective d’une politique interne bien connue. Puisque l’exclusion du programme de bonification s’applique systématiquement à tout employé ayant fait l’objet d’une mesure disciplinaire au cours d’un trimestre, elle ne contrevient pas au principe d’unicité de la sanction. Le grief a donc été rejeté.
[1] Syndicat des métallos, section locale 9471 et Manac inc. (Steeve Pépin), 2025 QCTA 89 (Me Dominic Garneau).